Bruit : tendre l’oreille pour aménager la ville  

Rédigé par

Jean Paul van Cuyck

Diriegeant - acousticien

1116 Dernière modification le 02/01/2024 - 15:10
Bruit : tendre l’oreille pour aménager la ville  

Le bruit lié à l’urbanisme, la construction et la vie en ville impacte fortement la santé des citoyens. La qualité de l’environnement extérieur et intérieur des bâtiments passe donc par une prise en compte de l’acoustique dans le processus d’aménagement et de construction. 


Le bruit a un impact sur la qualité de vie des individus, en générant des nuisances dans les espaces publics ou en limitant l'accès à des espaces calmes et préservés. L’ADEME définit le Coût Social du Bruit comme l’impact négatif que le bruit peut avoir sur la santé (perte d’audition, trouble du sommeil, tension artérielle et impact sur le système cardio-vasculaire), la qualité de vie et l'environnement. Il englobe les coûts directs et indirects liés au bruit, tels que les dépenses de santé, les pertes de productivité, les dommages aux biens, les nuisances nocturnes, les conflits sociaux, etc. Il est estimé à 147 milliards d’euros par an en France, et   60% de ce montant est lié au bruit des transports.
      
Répartition du CSB selon les grandes familles de coûts    Estimation de l’ensemble des coûts du bruit des transports par mode de transports et type de coût

Anticiper et maitriser les « paysages sonores » de la ville de demain 

L’organisation de la ville actuelle sur un modèle horizontal étalé (travail, commerces, loisirs, résidence) tend à être réimaginée vers un format plus vertical et multiactivité (commerces en pied d’immeubles, espaces sportifs, lieux de loisirs et de lien social, etc.). Les nouveaux « îlots urbains » donnent également de plus en plus la part belle aux espaces extérieurs à vivre, privatifs comme partagés. Ceci a été renforcé par la prise de conscience qui s’est opérée durant la pandémie et l’évolution des usages des bâtiments (télétravail, etc.).

Dans ce contexte de mixité d’usages aux temporalités et préoccupations différentes, la prise en compte dès les premières phases de conception de la dimension sonore au même titre que les autres (visuelle, thermique, économique, etc.), apparait aujourd’hui indispensable pour la réussite des projets. Et l’expérience de vie des futurs occupants. 

Cette anticipation des ambiances ou « paysages » sonores qui seront donnés à vivre dans les espaces extérieurs et dans les bâtiments qui les entourent, permet d’optimiser et garantir leur valeur d’usage à terme (avec des solutions de ventilation/rafraichissement cohérentes). 

Les bureaux d’études acoustiques disposent de nombreux outils de modélisation pour accompagner les maitres d’ouvrage, aménageurs et concepteurs dans cette démarche dès les premières étapes de réflexion à l’échelle du quartier, de l’ilot ou plus globalement de la ville. 
Et la R&D menée à ce sujet depuis de nombreuses années nourrit continuellement les possibilités d’anticipation (simulations dynamiques, maquettes sonores…). 

Il est depuis longtemps devenu courant de simuler l’effet de différents scénarii d’implantation et formes de bâtiments vis-à-vis du bruit des infrastructures de transports. Et il est aujourd’hui également possible d’anticiper les effets et interactions des ambiances sonores engendrées par les activités humaines (terrasses extérieures, zones de jeu, de jardinage…), et la géométrie et matérialité des aménagements envisagés au sein d’un ilot (types de sols, végétation, types de revêtements de façades, etc.). 

Avec, à la clef, des recommandations que les aménageurs, urbanistes et architectes peuvent prendre en compte avec les autres éléments décisionnels (flux, orientations, architecture, esthétique, lutte contre les ilots de chaleur, etc.). Dans ce cadre il est également important de valoriser les aménagements apportant des contributions sonores perçues comme positives par les futurs occupants (oiseaux, sons « naturels », eau qui coule, etc.) et pouvant contribuer à « diluer » ou « masquer » d’autres composantes moins « agréables » du paysage sonore urbain. 

Concilier ces données avec le confort d’été et la ventilation naturelle 

À l’heure du réchauffement climatique, le confort d’été dans les bâtiments devient un sujet prépondérant, et la gestion de qualité de l’air intérieur est également un point important avec le renforcement de l’étanchéité des bâtiments. Le recours à la ventilation naturelle est encouragé pour rafraîchir l’intérieur du bâtiment, notamment via la RE2020, et les démarches bas carbone, car climatiser tous les locaux n’est sans doute pas la piste la plus frugale.   

Ces bonnes intentions sont souvent challengées par la nécessité de construire dans des zones déjà denses et bruyantes pour limiter l’artificialisation des sols. Il devient donc un enjeu déterminant que les occupants aient la possibilité de ventiler naturellement les locaux lorsque c’est possible tout en pouvant maîtriser et moduler la perception des ambiances sonores extérieures selon la teneur de celles-ci et leurs besoins ou sensibilités du moment. 

La première étape réside donc dans la bonne anticipation de « l’éligibilité » des bâtiments existants ou futurs à la « ventilation naturelle par ouverture des fenêtres », selon l’exposition de ces dernières aux sources sonores environnantes. En effet, le foncier restant disponible est souvent situé dans des zones complexes du point de vue des ambiances sonores : urbain dense avec mixité d’usages et de temporalité d’usages (logements, télétravail, commerces, bureaux, associatif, loisirs, artisanat, agriculture urbaine, résidences séniors, etc.), et soumis aux bruits d’infrastructures de transports (montée en puissance du transport sur rail en milieu urbain, etc.). 

Dans le même temps, les occupants des bâtiments sont de plus en plus sensibilisés, et le confort sonore devient une exigence déterminante dans le choix et la valeur d’usage (et donc économique) d’un lieu… Cette réalité n’est plus à occulter : les occupants ne doivent plus devoir choisir entre avoir trop chaud ou avoir trop de bruit. 

Là encore, les bureaux d’études acoustiques disposent de tous les outils requis pour accompagner les concepteurs dans la bonne prise en compte de cet aspect qui sera déterminant dans la réussite des stratégies d’adaptation et résilience des bâtiments.  

•    La mesure (pour l’existant), ou l’analyse des aménagements futurs (pour le neuf), permet d’effectuer un recensement des sources sonores existantes ou à venir susceptibles d’engendrer une gêne des futurs occupants (infrastructures de transports, véhicules isolés bruyants, zones de sports et loisirs, terrasse de cafés, terrasses privatives ou partagées, etc.). 
•    Les modélisations acoustique 3D des futurs bâtiments permettent d’anticiper les situations en tenant compte des aspects géométriques et techniques impactant (effets d’écrans, matérialité des sols et façades, végétalisations, etc.) et de l’implémentation des sources sonores identifiées (y compris les sources mobiles), 
•    Ces outils combinés permettent d’analyser l’éligibilité des différentes façades à la ventilation naturelle par ouverture des fenêtres, et le cas échéant de déterminer les atténuations idéalement requises en fonction de l’objectif souhaitable dans les locaux (logements, bureaux, enseignement, autres tertiaires).

À partir de ces données, il est ensuite possible de travailler avec les architectes, thermiciens et autres intervenants pour imaginer, dimensionner et optimiser des systèmes permettant de ventiler les locaux tout en atténuant le bruit extérieur de manière à le ramener dans une plage compatible avec les usages envisagés.   

Autant de défis à relever lors de la conception, et qui se traduisent par le besoin d’intégrer des systèmes idéalement passifs ou actifs (qui peuvent alors également impacter les ambiances sonores intérieures et extérieures). La R&D est très dynamique autour de ce sujet, avec par exemple des développements de systèmes passifs d’ouvrant de ventilation naturelle acoustique », ou parfois motorisés, ou « à ventilation naturelle assistée ». L’objectif est d’avoir des débits d’air extérieur similaires à ceux obtenus par ouverture ou entrebâillement des fenêtres classiques, mais avec une atténuation du bruit extérieur rendant cette ouverture compatible avec les usages des locaux. 

Le contexte actuel semble être de nature à ce que ces principes deviennent des solutions durables permettant de répondre aux enjeux de confort d’été et frugalité qui se dessinent et vont s’accélérer dans les années à venir. Les bureaux d’études acoustiques sont armés et motivés pour travailler avec tous les intervenants de l’acte de construire sur ces sujets et accompagner la conception de bâtiments résilients, économes et adaptés à leurs usages. 

Un article signé par le GIAc, Groupement de l’Ingénierie Acoustique : Samuel Tochon Danguy - LASA  ingénierie acoustique et vibratoire ; Louison Méhu - EKKOIA ; Jean-Paul Van Cuyck - A2MS. 


Article suivant : Perception du bruit dans les logements sociaux : impuissance, tolérance, ou résignation ?


Revenir à la page d'accueil du dossier

Partager :