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La construction sur pilotis

Rédigé par

Mélanie De Lima

31572 Dernière modification le 17/01/2019 - 00:00
La construction sur pilotis

Selon les dictionnaires consacrés, il s’agit d’un ensemble de pilots enfoncés dans le sol pour supporter un ouvrage construit dans l’eau ou sur un terrain instable, ou encore d’un système de fondation par pieux foncés et recepés portant radier en terrain meuble et aquifère. Nous vous laissons le choix de la formule pour cette technique remontant à la préhistoire, notamment pour la construction de cités lacustres, et qui concomitamment aux huttes, tentes et premières maisons, permettait de se prémunir des animaux sauvages ou d’ennemis potentiels et de profiter des ressources directes de la pêche.

Plus proche de nous, à côté d’illustres cités telles que l’ancienne Amsterdam ou Saint-Petersbourg par exemple, Venise demeure probablement l’archétype et l’ensemble le plus connu d’architecture et d’urbanisme sur pilotis ; ces mêmes pilotis, en chêne ou en mélèze, seront dans ce cas entièrement dissimulés et serviront d’appuis habiles aux premiers rangs de madriers et de maçonneries en pierres d’Istrie.

Hors sol, l’architecture traditionnelle sur pilotis saura également se faire apprécier au travers de l’élégance et de l’élancement de ses pieux, comme en témoignent de nombreux exemples de maisons de pêcheurs à travers le monde, depuis Ine au Japon, Trondheim en Norvège, Ganvié au Bénin ou encore depuis le lac Inlé en Birmanie.

D’une nécessité constructive, l’architecture contemporaine donnera aux pilotis une saveur bien différente conjuguant poésie et théorie, comme en témoigne une partie de l’œuvre de Le Corbusier dont la conception sur pilotis faisait partie intégrante des « cinq points de l’architecture moderne » qu’il avait développés en collaboration avec Pierre Jeanneret, cette théorie elle-même inspirée par les principes constructifs de l’Ecole de Chicago ; les explications qu’il en fournira : transformation du rez-de-chaussée en un espace dégagé destiné aux circulations, suppression des locaux humides et obscurs, passage du jardin sous le bâtiment. Ce principe constituera l’un des fondements de l’architecture moderne et du Style International dont Oscar Niemeyer, notamment, usera fréquemment.

Pourquoi construire sur pilotis ?

Ce bref contexte nous amène à considérer deux usages distincts. Même si le terme « pilotis » disparaît, le premier usage sur lequel nous serons brefs concerne l’utilisation de pieux permettant de fonder un ouvrage lorsque le terrain est incapable de porter -supporter- en surface la masse de ce dernier ou lors de charges fortement concentrées ; les techniques conventionnelles de fondation telles que semelles filantes ou radier sont alors inadéquates et il y a donc lieu de fonder en profondeur. Deux phénomènes distincts entrent alors en jeu, éventuellement combinables : premièrement le report de la charge et cette faculté de pouvoir s’appuyer sur une couche sous-terraine plus résistante et deuxièmement la faculté du pieu, au travers des couches successives du sol, à exercer un effort de frottement latéral. Il existe des pieux battus, des pieux forés, foncés ou encore les micro-pieux au sujet desquels nos brillants ingénieurs pourront nous expliquer l’ensemble des caractéristiques de forme et d’usage.

Le deuxième usage qui nous occupe plus précisément est celui des pilotis aériens. Le vocable « pilotis » paraît aujourd’hui légèrement galvaudé et pourtant le terme « colonne » ou « ensemble de colonnes » ne paraît pas plus adéquat.

La conception d’un ouvrage « surélevé » procède d’une volonté forte de dégager l’ouvrage de son assise naturelle, avec toute la symbolique qui en découle ; certains parleront d’élévation, de spiritualité, tandis que d’autres exprimeront une sensation de masse bancale reposant sur de simples béquilles. A chacun sa position et tout notre respect pour l’énergie qui sera déployée pour en justifier les contours et pour transformer une conviction ou une vision créatrice en vérité.

Quels effets dans le détail avec l’usage de pilotis aériens?

En pratique, l’usage et la mise en place de pilotis sur fondations individuelles réduit considérablement les volumes de terres excavés par rapport à des solutions plus classiques ; moins de manipulations du sous-sol et pour ce faire, moins d’énergie à y consacrer ; moins de moyens de préservation et d’étanchéisation des ouvrages enterrés ; conception plus aisée des réseaux,… et de manière globale un plus grand respect du « lieu » et des sols.

La typologie de construction sur pilotis peut également s’avérer être un allié précieux lorsque la topographie des lieux est complexe, permettant à l’auteur de projet de se libérer d’une masse de considérations techniques, dont le relief lui-même, dont le respect des niveaux hors-sol mais aussi la réalisation et la gestion des réseaux de drainage, la reprise et la canalisation des effluents de surface, la prise en compte des zones faiblement à totalement inondables.

La suppression d’une quantité importante des ouvrages enterrés permet d’éviter, par extension, une somme tout aussi importante de désordres y relatifs. Ces désordres et pathologies diverses, qu’il s’agisse de défauts d’étanchéité ou d’humidité ascensionnelle, de défauts d’isolation, de problèmes internes d’hygroscopicité, de faiblesses quant à la stabilité du gros-œuvre, de défauts relatifs à des impétrants mal exécutés,… sont nombreuses et sont à la base de sinistres parfois difficile à juguler. Quand les interventions à posteriori sont toujours possibles, elles demeurent souvent et malheureusement onéreuses. Loin de nous l’idée de remettre fondamentalement en cause nos habitudes constructives, fort heureusement bien servies par une technique et une technologie bien maîtrisées, le souhait étant de rappeler à chacun l’importance de bien concevoir et suivre cette part de l’édifice.

Objectivement, les principes théorisés par Le Corbusier et ses confrères sont toujours d’actualité. Le rez-de-chaussée libéré, totalement ou partiellement, permet au bâtiment de s’insérer différemment dans son environnement et facilite le dialogue avec le sol, avec le végétal ; le bâtiment ne s’approprie pas et n’occupe pas littéralement l’espace, il le partage. Cette surface au sol peut dès lors être valorisée d’un point de vue paysager.

Par extension, les locaux de vie étant relégués à un niveau supérieur, les occupants peuvent jouir de vues plus larges et de panoramas plus intéressants. La privatisation des espaces est renforcée car les vues directes des piétons depuis l’extérieur sont réduites. Quant à bénéficier d’ouvertures vers l’extérieur plus amples, il n’y a qu’un pas qui favorisera l’éclairement naturel des espaces.

Aussi, et même si ce point ne constitue à notre époque plus un point d’attention particulier, une grande majorité des petits nuisibles est mise à l’écart (insectes ou petits mammifères rongeurs)… sans même parler d’éventuels tigres en fuite ou grizzly affamés !

Dans un autre registre, les performances demandées aux ouvrages enterrés nécessitent l’emploi de matériaux de protection, d’isolation et d’hydrofugation à hautes performances qui pour la très grande majorité sont issus de la chimie organique ou pour être plus généraliste, sont de nature synthétique. Ce point mérite que l’on y porte une attention particulière à une époque où le caractère de durabilité des composants de nos constructions prend une place de plus en plus prépondérante dans les choix que nous opérons. Ainsi, l’une des implications directe de la construction sur pilotis est la possibilité de supprimer quasi totalement l’usage de tels matériaux ; on pense par exemple à la suppression de membranes d’étanchéité imputrescibles ou de produits d’étanchéisation sous forme liquide, ou encore à la suppression éventuelle d’isolants de synthèse ou d’origine minérale rendus non obligatoires.

L’autre avantage direct et consécutif à la réduction d’une grande série d’ouvrages enterrés à réaliser in situ est une plus forte capacité à la préfabrication… avec les gains de temps d’exécution et la diminution de la gestion de chantier qui en découlent.

De manière globale, nous pouvons donc avancer le postulat selon lequel, au travers de la réduction ou de la suppression de nombreux postes rendus non nécessaires, les constructions sur pilotis sont globalement plus vertueuses pour l’environnement et moins onéreuses, bien que ce dernier point soit plus complexe à justifier.

Pour quels inconvénients

En devenant aériennes, les constructions ne bénéficient plus de l’inertie des sols, ce point n’étant pas à négliger dans l’étude thermique du projet. Par ailleurs, l’étude des sols deviendra quasi inévitable tandis que l’étude de stabilité sera plus complexe, ces deux points d’attention indispensables modifiant le budget consacré aux études à la hausse. L’accès des occupants n’est pas à négliger, tant dans une perspective d’usage par des personnes valides que par des personnes moins ou non valides ; par extension, vos amis seront probablement moins nombreux à vous apporter un coup de main le jour du déménagement ! D’autre part, il y a pour les projets qui en comportaient, une perte de surface et de volume exploitables par suppression des caves et autres locaux à vocations techniques et diverses ; cette perte est non négligeable et devra, à défaut de modification des habitudes de vie, être sérieusement réfléchie lors de l’élaboration du programme. Enfin, il va sans dire que les autorités locales et leur service de l’urbanisme auront un rôle particulier à jouer dans l’accompagnement des maîtres d’ouvrage et auteurs de projet, avec une démarche moins conventionnelle.

Quelle part pour l’innovation ?

Mis à part les opérations de forage et d’exécution des pieux, nous pouvons considérer que l’entièreté de la construction peut être préfabriquée, avec les vertus et avantages qui en découlent. De cette préfabrication découle une faculté de planification complète du projet et la possibilité de mener une étude statique poussée, propres à optimiser les coûts, l’étude des structures et réduire l’impact écologique des constructions. Face aux changements climatiques dont nous commençons à subir les conséquences, la construction surélevée présente de nombreux avantages indéniables qui permettront d’exploiter des terrains moins favorables ou de prévenir certains désastres humains et écologiques survenus ces derniers temps.

SOURCE : NEOMAG n°19 - www.neobuild.lu 

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