[Entretien] La production de gaz vert local, un modèle rentable : l’exemple de Lorient

Installée sur un centre d’enfouissement de déchets ultimes non dangereux, l’unité de production de biométhane mise en place à Kermat (Morbihan) par Lorient Agglomération et la jeune entreprise innovante Waga Energy permet de valoriser le gaz produit. Celui-ci, provenant de la décomposition des déchets, est capté, puis le méthane est isolé et injecté dans le réseau de gaz de GRDF. L’agglomération de Lorient et ses partenaires ont su élaborer un modèle économique viable, assurant la rentabilité du projet, qui pourrait bien inspirer d’autres collectivités souhaitant se lancer dans une telle démarche. Entretien croisé avec Mathieu Lefebvre, PDG de Waga Energy, Laurent Le Devedec, Responsable Energies de Lorient Agglomération et Bruno Paris, Vice-Président de Lorient Agglomération.

 

Est-ce compliqué de transformer un centre d’enfouissement en une unité de production de biométhane ?

Laurent Le Devedec : La transformation s’est faite plutôt facilement. En fait, le gaz émis par le centre d’enfouissement était déjà capté afin d’éviter les rejets dans l’atmosphère puis brûlé. C’est pourquoi le passage d’un centre d’enfouissement à une unité de production de biométhane ne nous a demandé qu’une légère adaptation. Schématiquement, il nous a suffi d’installer l’unité WAGABOX® (en coulant une dalle et en plaçant la boîte dessus), de déconnecter la torchère et de raccorder le réseau de captage du gaz à l’unité WAGABOX®.

Mathieu Lefebvre : Effectivement, la préparation du site n’a pas nécessité de gros travaux. En France, les sites de stockage des déchets ont l’obligation de capter le gaz des déchets pour le détruire ou pour le valoriser. Le site de Kermat était donc équipé d’un réseau de collecte qui amenait le gaz jusqu’à une torchère, où il était brûlé. Nous avons simplement débranché la torchère pour relier l’unité d’épuration WAGABOX® à ce réseau. Nous avons également raccordé le site au réseau de gaz de GRDF, pour pouvoir écouler la production de biométhane.

 

Le coût du raccordement au réseau de gaz est parfois présenté comme un frein important pour ce type d’initiative. Est-ce le cas ?

ML : Le coût de l’opération est souvent un argument présenté contre le raccordement. Dans le cas présent, nous avions la chance d’être à seulement 3,7 km du réseau. Cela permet de faciliter le raccordement, donc de diminuer les coûts associés. Ce dernier nous coûte environ 2€ par MWh. Mais même à 20 km du réseau, le coût du raccordement est un faux problème. Il faut savoir que cette opération coûte environ 50 000€ par km. Sur un projet bien étudié sur le plan économique, cela ne représente quasiment rien par rapport au coût par MWh. De plus, l’opérateur prend en charge 40 % du raccordement ce qui appuie favorablement le montage financier du projet.

Il est vrai que dans certains pays avec un réseau de gaz diffus, le coût du raccordement peut devenir un obstacle pour les initiatives locales. Mais en France, le réseau de gaz naturel est très bien développé. Grâce à ces 220 000 km de canalisations, on est rarement loin de celui-ci, quel que soit le projet. Et, même pour les sites éloignés, les projets peuvent bénéficier du droit à l’injection, dispositif mis en place par l'Etat français pour permettre des renforcements de réseaux lorsque jugé nécessaire et pour lesquels les opérateurs de réseaux sont mobilisés techniquement et financièrement dans leur réalisation.

LD : Il faut aussi considérer ce coût au regard des bénéfices globaux que notre installation génère, notamment environnementaux. Par exemple, nous produisons à présent une énergie renouvelable qui était brûlée auparavant. De plus, notre installation participe à une réflexion territoriale. Elle s’intègre dans un plan d’énergie à l’échelle du territoire mais aussi dans les objectifs énergétiques nationaux. Aujourd’hui, grâce à l’usage du gaz, nous pouvons alimenter des particuliers, tout en ayant une demande continue de la part des clients industriels en été. Je pense que l’impact final vaut le coup d’investir dans le maillage du réseau.

 

Existe-t-il un modèle économique fiable autour de cette installation ?

LD : Bien sûr. Il est important qu’une unité de production de biométhane puisse fonctionner contractuellement. Le rendement garanti par la technologie utilisée à un grand rôle dans la fiabilité de notre modèle économique (voir encadré principe de fonctionnement). Le modèle d’affaire de l’installation de Lorient est basé sur la vente avec obligation d’achat auprès d’un énergéticien. En plus de cette vente, qui suffit à rendre l’unité bénéficiaire, nous bénéficions d’un abattement sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Bruno Paris : A Lorient, nous avons mis en place une régie autonome et les bénéfices dégagés sont réinvestis dans le développement des énergies renouvelables. C’est un cercle vertueux : nous suivons une feuille de route économiquement viable qui nous permet d’investir. Plus nous investissons, plus nous sommes autonomes en énergie et plus la collectivité peut optimiser les dotations de l’Etat sur ses autres arbitrages budgétaires, puisque le poste énergétique est réduit. De ce point de vue, une installation comme une unité de production de biométhane est un véritable actif pour la collectivité. Le débat récent autour du poids carbone du gaz naturel, offre une véritable opportunité pour le biométhane. Il est important de conserver notre réseau gaz tout en le rendant plus vertueux.

ML :  La production du gaz d’un site d’enfouissement des déchets suit une courbe en cloche : elle augmente pendant la période où le site reçoit des déchets, puis diminue progressivement après la fin de l’exploitation. Les déchets qui sont enfouis aujourd’hui vont produire du gaz pendant une quinzaine d’années. Nous sommes donc en mesure de prévoir la quantité de gaz que nous aurons à traiter dans les années à venir, et donc le chiffre d’affaires qui sera généré par la vente du biométhane.

 

 

Le dimensionnement est un point essentiel pour atteindre la rentabilité. Comment avez-vous procédé à Lorient ?

ML : Les unités WAGABOX® que nous installons sont dimensionnées en fonction des caractéristiques du gisement de gaz à exploiter. L’unité que nous avons mise en service à Kermat est l’une des plus petites que nous exploitons. Nous construisons aujourd’hui des unités sept à huit fois plus grosses sur des sites de stockage des déchets de grande capacité en France, au Canada ou en Espagne.

LD : C’est un aspect un peu technique mais nous avons veillé à ne pas déclarer un débit élevé (Cmax) trop important. En effet, l’objectif de la loi de transition énergétique n’est pas de produire du biogaz à tout prix à partir des déchets, mais bel et bien de limiter l’enfouissement. Le type de valorisation pour lequel nous avons opté a ainsi un avantage important sur une usine d’incinération : le retour sur investissement est différent et permet de réduire les déchets à la source en les valorisant autrement sans prendre de risques financiers ou de pénurie d’énergie. Par exemple, notre unité d’épuration est à proximité d’une centrale solaire ainsi que d’une station bioGNV, située dans la zone industrielle de Lorient. A terme d’autres solutions complémentaires pourront être développées sur notre territoire si la demande en biogaz reste élevée.

 

En guise de conclusion, avez-vous connu une opposition à l’implantation de ce site ?

LD : Nous n’avons pas rencontré de grande opposition. Pour les populations, il est difficile de s’opposer à ce type d’initiatives : elles s’inscrivent dans une amélioration importante des lieux de retraitement des déchets. De plus, l’unité de production de biométhane est située sur un site industriel. Cela a permis de créer du vertueux autour d’une activité qui ne l’est pas toujours. Surtout, nous avons mené un travail pédagogique auprès de la population, à travers des visites du site (visites de classes, etc.) afin d’expliquer notre démarche. Pour toutes ces raisons, le projet a été bien accepté.

 

Produire du biométhane à partir du gaz d’un site d’enfouissement – la technologie WAGABOX®

ML : Waga Energy a été créée en 2015 pour déployer une technologie d’épuration unique au monde, permettant de récupérer le méthane contenu dans le gaz des sites de stockage des déchets, afin de produire du biométhane pouvant être injecté directement dans les réseaux de gaz.  La valorisation de ce gaz variable et imprévisible est très complexe : les technologies existantes, principalement en Amérique du Nord, s’avéraient compliquées, coûteuses et peu performantes. Waga Energy exploite aujourd’hui dix unités WAGABOX® en France et six autres sont en construction en France, en Espagne et au Canada.

La technologie WAGABOX® combine deux procédés d’épuration : la filtration par membranes et la distillation cryogénique. Cela nous permet de séparer le méthane du CO2, de l’oxygène et de l’azote, avec un rendement de l’ordre de 90 %.

 

Consulter l’étude de cas de cette unité de production de gaz vert.

 

Propos recueillis par Construction21, la rédaction

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