Unisson(s) : un Mouvement pour réinventer l’architecture


La nécessité d’économiser les ressources et de réaliser des bâtiment bas carbone place l’architecture face à un nouveau paradigme. Comment allier ces nouvelles contraintes tout en garantissant l’esthétique et la désirabilité des projets de construction ? Pour répondre à cette question le Mouvement Unisson(s) lance une grande réflexion pour informer et mobiliser l’ensemble de la profession. Laurent Morel, Président de a4mt et de l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment (Ifpeb) détaille les ambitions de cette initiative. 

Comment est né le mouvement Unisson(s) ?

Le mouvement part d’une prise de conscience générale dans nos sociétés qu’il faut consommer différemment, pour faire mieux et plus intelligemment dans le respect des ressources disponibles. Représentant environ un tiers des émissions de CO2 dans le monde, le bâtiment est particulièrement concerné par ces changements. Ce qui le distingue cependant, c’est qu’il recèle une grande part de la solution. Contrairement à d’autres secteurs où il sera compliqué de réduire les émissions, dans le bâtiment nous savons construire autant et aussi bien, en consommant et en émettant beaucoup moins.

À cela s’ajoute un contexte de réglementation nouvelle en France, notamment avec la RE2020, qui est très structurante. Elle oblige les maîtres d’ouvrages et les maîtres d’œuvres à recalculer complètement leurs modes constructifs pour respecter des seuils légaux qui constituent désormais une éco-conditionnalité du permis de construire. Les réglementations ont en plus vocation à être de plus en plus exigeantes pour que la filière bâtiment contribue à respecter la stratégie bas carbone à l’échelle 2030 ou 2050.

Vous avez fait le choix de mettre les architectes au cœur du projet, pour quelle raison ?

Tous ceux qui ont suivi un chantier savent qu’une construction est un faisceau de contraintes : le terrain dont on dispose, le permis de construire, les fonctionnalités du bâtiment, les règles d’urbanisme… L’architecte a pour mission de transformer ce faisceau de contraintes pour en faire quelque chose d’envisageable, désirable et habitable. Pour exercer ce métier aujourd’hui et répondre au nouveau paradigme évoqué précédemment, il est indispensable de maîtriser toutes les composantes de la construction et ses nouveaux modes de construction.

On a considéré que le meilleur moyen d’engager les architectes, c’était de les faire adhérer à ces nouvelles façons de faire. C’est pour cette raison qu’Unisson(s) commence par un manifeste. En le signant, on peut affirmer qu’en tant qu’architecte qu’on a envie de participer au mouvement général, d’apporter sa pierre parce qu’on a compris l’importance de cette transformation environnementale, ses nouvelles contraintes et qu’on relève le défi pour s’en occuper avec le reste de la profession.

Enfin, comme dans notre pays les architectes œuvrent massivement en entrepreneuriat individuel ou en petites communautés, il est très difficile de les adresser tous et encore plus de les former. Nous avons pourtant tellement besoin de leur éveil à ces nouvelles réglementations et très vite. Si on ne les a pas à bord de cette transformation, tous les efforts qu’on aura faits par ailleurs resteront lettre morte.

Quelles actions proposerez-vous ?

Notre objectif est d’accompagner les architectes et la transformation de leur vision. Les deux grandes priorités sont de les documenter, et de les faire travailler en groupes.  Nous ferons en sorte qu’ils puissent parler de leurs expériences et faire émerger de nouvelles idées.

Pour cela, nous partagerons avec cette communauté des contenus, des vidéos, des documents et des comptes-rendus. Ils pourront en plus participer à des ateliers de design thinking que nous allons mener avec des architectes de tous horizons, et que nous allons encadrer avec des architectes déjà formés sur le sujet. Enfin, dernier aspect du projet : il sera nomade, c’est-à-dire qu’on va mener cette réflexion « en marchant ». On va se déplacer d’une maison de l’architecture à l’autre partout en France parce que l’architecture est une aussi une affaire de territorialité.

En effet, on avait un peu oublié qu’on n’utilise pas forcément les mêmes matériaux partout. Les anciens n’ayant pas les mêmes capacités industrielles que nous et devaient faire avec ce qu’ils avaient sous la main. Ce sera donc une caravane itinérante qui mènera ces ateliers avec des gens des régions, des intelligences variées, et portera ainsi ces messages au-delà d’une initiative purement centralisée.

Comment est-il possible faire mieux avec moins dans le bâtiment ?

Depuis plusieurs années, avec Ifpeb et a4mt nous développons des pratiques collectives destinées à rassembler les acteurs de terrains sur l’usage des bâtiments ou leur construction. C’est notre façon à nous de faire émerger de nouvelles pratiques vertueuses et ensuite de les diffuser le plus largement.

Par exemple, nous portons en partenariat avec Carbone 4, le hub des prescripteurs bas carbone, qui est un rassemblement de maîtres d’ouvrages, de bureaux d’études et d’architectes pour sélectionner les modes constructifs les moins émetteurs de carbones. Le projet met en lumière de nouveaux usages et des nouvelles prescriptions pour construire bas carbone en s’appuyant notamment sur de nouveaux matériaux ou en remettant au goût du jour de matériaux qu’on a toujours connus, comme les matériaux biosourcés ou géosourcés.

Avec le Booster du réemploi, nous montrons que construire moins carboné, c’est aussi réemployer des matériaux. Malheureusement, on sait que dans le secteur du bâtiment de nombreux matériaux sont jetés. Et comme le carbone qu’on économise, c’est d’abord le carbone qu’on ne consomme pas, remettre en circulation des portes, des revêtements de sols, des sanitaires et bien d’autres éléments des bâtiments, c’est autant de matières et de carbone embarqués qu’on ne réémet pas.

Enfin, nous portons le concours Cube qui récompense les économies d’énergie dans les bâtiments tertiaires, les bâtiments scolaires et demain les data centers et les centres commerciaux.

Avec ces initiatives opérationnelles, nous démontrons tous les jours qu’on peut mieux gérer les bâtiments existants et qu’il existe de nombreuses solutions décarbonnées pour construire tout aussi bien, avec la même qualité et la même programmation, les mêmes performances économiques et d’usage.

Le nouveau Bauhaus européen est partenaire la démarche Unisson(s), qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que le mouvement ne se limitera pas à la France ?

A l’origine, le Bauhaus est une école d’architecture et d’arts appliqués fondée en 1919 en Allemagne par Walter Gropius. Il visait à définir une construction utile pour le plus grand nombre. À l’époque le problème qui se posait était celui de la massification face à une croissance démographique nouvelle. La contrainte était alors d’avoir des besoins immenses et des moyens limités. Ce qui change aujourd’hui avec le nouveau Bauhaus européen, c’est simplement la contrainte à laquelle nous faisons face, c’est-à-dire l’obligation de décroissance des quantités de matières qu’on va utiliser.

Ce partenariat va effectivement permettre à nos travaux de dépasser le cadre national. Cela sera utile pour confronter nos idées et les contenus réalisés avec ceux qui vont émerger dans d’autres pays d’Europe. Porté par la Commission européenne, l’initiative du nouveau Bauhaus européen a les mêmes origines que notre mouvement Unisson(s), et vise à définir une nouvelle architecture.

Sous quels délais pensez-vous que l’architecture peut opérer une si profonde mutation ? 

Le bâtiment idéal, celui qui répond à la fois à des exigences esthétiques, du vivant et du bas carbone n’existe pas encore. On y sera arrivés lors qu’on aura fait une synthèse de tout ce qu’on doit faire maintenant. Nous n’atteindrons pas tout de suite à l’optimum. De même, quand on a découvert le béton au début du 20ème siècle, on n’en pas exploité pleinement toutes les potentialités tout de suite. Il a fallu 70 ans pour arriver à faire des infrastructures comme le viaduc de Millau.

La construction renouvelée sera un mix d’utilisation de matériaux déjà connus, de digitalisation, d’ingénierie ultra-moderne, et d’urbanisme renouvelé. Il y a des années de travail et d’invention devant nous, et modestement, avec Unisson(s), nous souhaitons donner une impulsion à ce mouvement qui nous dépasse et contribuer à son accélération.

Qui sont les partenaires et les soutiens d’Unisson(s) ?

Unisson(s) a la chance de pouvoir compter sur des partenaires qui ont fait émerger l’initiative : a4mt, Contrast-e, l’Ifpeb, le New Bauhaus Européen et Construction21 ; mais également sur des parrains qui permettent au projet de se déployer : BNP Paribas Real Estate, Bouygues Immobilier, Bureau Veritas France, Celsius Energy, Cabinet Malaquin, Espaces Ferroviaires, Nexity, Société de la Tour Eiffel et Sogelym Dixence.

Je tiens aussi à remercier spécialement pour leur implication : Cédric Borel, Directeur de l’Ifpeb et d’a4mt, Laetitia George, Fondatrice de Contrast-e, Christophe Rodriguez, Directeur adjoint de l’Ifpeb, Claire Chabrol, Architecte et Chargée du projet Booster du réemploi, Pierre Darmet, Directeur Marketing et Développement des Jardins de Gally et Dominique Boré, Présidente d’honneur de la Maison d’architecture d’Île-de-France et commissaire générale du mouvement. Ce n’était pas un projet facile à formuler, mais depuis que l’on a réussi à le faire on a vu qu’il suscitait tout de suite un fort engouement autour de lui !

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