[Replay] Parole d'experts : Le Stockage pour une meilleure efficacité énergétique du bâtiment

Faisant le lien entre performance énergétique du bâtiment et optimisation des solutions de mobilité, le stockage hydrogène est un enjeu majeur de ces prochaines années. Cité en exemple, mais encore peu mature tant sur le plan de son impact environnemental que de celui des performances, il doit nécessairement évoluer. Cela demande de perfectionner les solutions techniques, mais également d’affiner l’approche du stockage.

Le Pôle Fibres-Energivie et l’université de Strasbourg, dans la continuité du salon Build & Connect, ont lancé le format Parole d’experts afin d’approfondir les enjeux du bâtiment. L’épisode « le stockage pour une meilleure efficacité énergétique du bâtiment » du mardi 29 juin a permis à Etienne Wurtz, chef du service Intégration et Réseaux Energétiques au CEA / Liten, Hubert Hoeltzel, responsable marketing pour les solutions de stockage d’énergie à la Socomec, Nicolas Guillet, ingénieur en recherche au CEA / Liten, et Marc Helfter, directeur de l’innovation chez Hager Group, de revenir sur ces enjeux.

 

Les grands enjeux du stockage

Faire correspondre la production et les besoins en énergie

Selon Etienne Wurtz, l’objectif principal du stockage, avant toute autre chose, est de « compenser le déphasage entre l’énergie disponible et les besoins ». En effet, il existe bien souvent une inadéquation entre la production d’énergie et les besoins énergétiques. Par exemple, le photovoltaïque permet une forte production en été alors que les consommations sont plus importantes en hiver. Sans système de stockage, cette énergie risque d’être gaspillée, malgré son potentiel. Etienne Wurtz précise : « nous avons besoin d’une énergie au bon moment, quand il faut », afin de bien répartir la consommation d’énergie.

Or, comme l’affirme Marc Helfter, la plupart des solutions qui existent aujourd’hui ne permettent le stockage que sur du court terme. Sur le long terme, les technologies ne sont pas encore économiquement viables. Hubert Hoeltzel le confirme : dans le photovoltaïque, il est possible de stocker l’énergie pendant 4h, 8h, voire 10h sur les grands champs de panneaux, mais pas sur des durées plus importantes. L’enjeu est donc de développer des technologies de stockage sur le long terme afin d’optimiser au mieux la relation entre production et consommation d’énergie.

Atouts et usages du stockage

Ecrêtage des pointes, déplacement de la consommation, maximisation de l’autoconsommation, alimentation de secours, optimisation de la flexibilité des réseaux, etc. : le stockage offre bien des services aux bâtiments. Pour Marc Helfter, l’intérêt principal du stockage réside dans sa capacité à rendre un bâtiment autonome, donc plus résilient. Couplé à des réseaux intelligents, le stockage permet de développer la flexibilité énergétique des bâtiments. Cela aide le bâtiment à optimiser la gestion de ses consommations, c’est-à-dire à consommer mieux et moins. C’est également l’avis d’Etienne Wurtz, selon lequel le stockage permet d’augmenter la part d’énergie décarbonée. En effet, grâce à la complémentarité entre stockage et réseau intelligent, le bâtiment devient capable de détecter quand de l’énergie renouvelable arrive dans son réseau et de la stocker. Cette énergie décarbonée pourra être utilisée par la suite, plutôt que de consommer de l’énergie carbonée. Etienne Wurtz le résume ainsi : l’objectif est que « chaque fois que j’aurais besoin d’une énergie carbonée, je puisse m’effacer ».

Selon Hubert Hoeltzel, au-delà du bâtiment, le stockage peut apporter des bienfaits à chaque étape de la chaine de valeur de l’énergie. Au niveau de la production, il permet de « lisser l’injection en fonction d’un profil défini préalablement avec l’opérateur ». Au niveau de la distribution, le stockage est une aide à la « régulation de fréquence » et évite un renforcement des lignes, souvent coûteux. Au niveau du compteur, le stockage intervient pour « réduire la facture énergétique du bâtiment » des occupants et permettre de « fonctionner de façon autonome » en cas de coupure temporaire du réseau. Enfin, le stockage peut avoir de nombreux autres usages : mobilité (recharge de véhicules électriques), ponctuel (« pour certains lieux, certains endroits » comme « un concert, un camp de réfugié, un chantier ponctuel ») ou encore en remplacement de générateurs diesel pour les réseaux qui ne sont pas connectés au réseau principal, etc.

Quels critères pour choisir le moyen de stockage adéquat ?

Tous les intervenants de la conférence s’accordent sur le point suivant : le système de stockage utilisé doit être adapté en fonction du contexte. Il va dépendre notamment de la quantité à stocker et de la durée pendant laquelle il faut stocker. Comme le souligne Nicolas Guillet, il est important de ne pas surdimensionner son système de stockage afin d’en utiliser pleinement les capacités et de le rentabiliser. Par exemple, détaille Etienne Wurtz, il vaudra mieux privilégier le stockage dans le sol pour une grande quantité d’énergie sur le long terme. Pour un stockage dans la même journée, il sera préférable de se tourner vers des matériaux à changement de phase, comme la paraffine, à même de capter et relâcher de l’énergie en 24h. En cas de besoin d’une très forte concentration de stockage, il sera conseillé d’opter pour du stockage thermochimique via déshydratation puis réhydratation de sel. Le système de stockage devra également dépendre de l’usage qui sera fait de l’énergie. Par exemple, les ombrières sont bien adaptées à la recharge des véhicules électriques.

En complément, Hubert Hoeltzel insiste sur les objectifs d’autoconsommation. Le choix d’une solution de stockage plutôt qu’une autre doit permettre d’atteindre l’indépendance énergétique du bâtiment. Selon Marc Helfter cependant, plutôt que l’autoconsommation, il faut se concentrer sur le degré d’autonomie que permet la technologie de stockage retenue. Le plus important est d’avoir une solution de production et une solution de stockage bien adaptées au bâtiment concerné mais aussi entre elles, afin d’optimiser son autonomie.

Enfin, Nicolas Guillet précise que le choix du système de stockage dépend également de critères géographiques, économiques mais aussi socio-économiques : les différentes technologies n’ont pas la même acceptabilité selon les territoires. Il faudra donc le prendre en compte.

Parmi les multiples solutions de stockage disponibles, la plus développée et connue actuellement est la batterie lithium-ion. Véritable « couteau suisse du système électrochimique » selon Nicolas Guillet, cette technologie a révolutionné le stockage grâce à son prix bas et sa densité d’énergie. De plus, elle convient pour à peu près tous les usages. Cependant, il est important de bien gérer sa batterie : « la bonne gestion du fonctionnement des batteries est indispensable pour assurer une bonne durée de vie, une sécurité importante et une bonne efficacité des systèmes ». Pour Marc Helfter, la durée de vie d’une batterie doit être un critère de plus à prendre en compte dans le choix d’un système. Un bâtiment va par exemple fonctionner par cycle de charge puis de décharge. La capacité des batteries mobilisées commencera à diminuer au bout de 10 ans. Il faut donc choisir un équipement à même de durer dans le temps.

Les limites technologiques et environnementales du stockage

« Nous sommes confrontés à un certain nombre d’enjeux » sur le stockage, admet Hubert Hoeltzel, appuyé par les autres intervenants. Selon lui, quatre problématiques majeures se détachent :

  • « La disponibilité des batteries ». Aujourd’hui, le marché de la batterie lithium-ion, qui est le plus développé, se concentre surtout sur la voiture électrique. Le secteur du bâtiment a donc moins l’opportunité de se doter de cette technologie.
  • « L’emballement thermique des batteries ». Les batteries peuvent être sujettes à un emballement thermique quand le système de stockage est actif, avec un risque d’incendie. La sécurité de cette technologie est donc encore à développer.
  • « L’installation des batteries à l’extérieur ». Les batteries sont pour l’instant installées en grande partie à l’extérieur des bâtiments alors qu’elles ont toute leur place à l’intérieur également.
  • « La fin de vie des batterie ». Le recyclage des batteries est encore à développer.

Les intervenants ont particulièrement insisté sur ce dernier point. Selon Nicolas Guillet et Etienne Wurtz, la nécessité de mettre en place une filière de recyclage performante s’explique par l’impact environnemental élevé de la production de batterie. En effet, cette technologie dépend de minerais dont la quantité et la qualité ne pourrait pas suffire pour assurer le développement massif des batteries. De plus, précise Etienne Wurtz, la fabrication d’une batterie engendre « une énorme production de CO₂ » : « la batterie, c’est du CO₂, c’est de l’épuisement des ressources ». Ce système de stockage ne sera donc pertinent qu’à condition d’être « particulièrement bien utilisé » et recyclé.

Il existe deux fins de vie possible pour les batteries, explique Hubert Hoeltzel. La première consiste à « donner une deuxième vie à la batterie ». Il s’agit principalement d’utiliser la batterie d’un véhicule (qui sont les batteries les plus utilisées) pour en faire du stockage stationnaire, ce qui demande un vrai travail de repackaging. L’autre solution réside dans le recyclage. L’objectif est de récupérer le cobalt, le nickel, le phosphate, etc., par procédé de pyrolyse afin de les réutiliser. Cependant, déplore Marc Helfter, « les filières de recyclage des batteries existent aujourd’hui mais sont encore artisanales ». Il faut donc les structurer.

Les perspectives de développement national et international des technologies de stockage

Pour Marc Helfter, « le futur sera électrique », et ce à horizon 5/10 ans. Il est donc nécessaire de développer des moyens pour stocker l’énergie électrique. Selon celui-ci, cela passe par la globalisation du système de smart grid. Hubert Hoeltzel complète : « le futur, ça va être la complémentarité des différentes technologies ». Il mise notamment sur l’alliance entre le stockage court terme d’une batterie lithium-ion et l’hydrogène, qui « apporte cette perspective d’un stockage saisonnier ». Cependant, il faut encore améliorer l’efficacité et le rendement des technologies : « aujourd’hui, on a une efficacité de l’ordre de 90% sur les batteries » (il y a donc une perte d’environ 10% de la prod lors du processus), tandis que l’hydrogène se situe « plutôt autour de 50% de rendement ». Il insiste également sur l’importance de développer des systèmes de stockage locaux : « l’échelle du local, du quartier, me semble particulièrement pertinente pour atteindre une cohérence entre la production et la consommation ». Dans l’avenir, au vu des investissements considérables réalisés dans les systèmes de stockage, le nombre de batteries sur le marché va fortement augmenter, constate Nicolas Guillet. Les industries devront réussir à vendre en masse leurs produits pour rentabiliser la production. Cela devrait encourager le développement du stockage.

Au niveau européen, la France « a raté le train de la batterie lithium-ion », admet Marc Helfter. L’Allemagne a pris la tête, en devenant le plus gros marché du continent dans le résidentiel. Cependant, même dans ce pays, les technologies demeurent chères et pas accessible à tous. De plus, l’électricité coûtant plus cher en Allemagne qu’en France (presque le double), l’amortissement des technologies de stockage sera différent. Au niveau mondial, complète Hubert Hoeltzel, « le marché en Amérique du Nord est plus mature » qu’en Europe sur le stockage de l’énergie électrique. Il dispose de filières organisées, d’incitations financières, etc. Cependant, tout cela se met en place en Europe.

Ouverture du débat : vers une plus grande sobriété du stockage

Plus que les batteries, pour Etienne Wurtz, « la vraie énergie de demain, c’est l’eau chaude ». Cette solution simple qui consiste à capter la chaleur du soleil et à utiliser vapeur d’eau pour la stocker dans un bidon, ne nécessite ni terres rares ni une grande technologie. Elle pourrait permettre de se passer de batteries : il donne ainsi l’exemple d’un village équipé d’une grande cuve à vapeur pour stocker, qui n’aurait donc pas besoin de batteries. Cela permettrait de lutter contre l’épuisement des ressources et les émissions carbone. Pourtant, cette solution demeure peu utilisée et développée. Il invite ainsi à travailler à l’échelle mondiale pour mieux tirer parti de cette solution. Marc Helfter complète en mettant en garde contre le manque de sobriété : « il faut continuer la sobriété énergétique ». « Capter les énergies renouvelables mobilise des matériaux et de la technologie ». Il rappelle que « la sobriété ne doit pas disparaitre parce qu’on pense avoir trouvé la solution miracle ».

 

Article rédigé par Manon Salé - Construction21, la Rédaction

 

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