Rénovation massive en bottes de paille : moins de carbone, plus d'intensité

1506 France - Dernière modification le 20/09/2021 - 09:42
Rénovation massive en bottes de paille : moins de carbone, plus d'intensité

Aujourd'hui plus que jamais, les passoires thermiques sont un affront au gaspillage des énergies fossiles et au porte-monnaie de ses résidents. En effet, l’urgence climatique nécessite des rénovations à la fois énergétique et très peu émissive, prenant en compte également le confort d’été (déphasage des matériaux).

Nous militons pour plus de matière grise et moins d'énergie grise, avec des matériaux bruts qui nécessitent plus d'intensité sociale. A coût équivalent, c'est le travail qui est rémunéré et valorisé plutôt que l'achat de produits transformés mis en œuvre à bas prix. L'acte de construire rejoint ainsi le mouvement d'une agriculture résiliente locale en circuit court.

Economiser la ressource

La majeure partie du chantier s’inscrit dans un cadre conventionnel et réglementé (R+3 à R+7). Des épines en contreplaqué de 35cm de large fixées sur la maçonnerie existante servent à y reporter les charges (paille+enduit). Il s’agit d’une variante des règles professionnelles de la construction paille avec ossature bois, où la paille est encastrée entre les épines. La zone bretelle (R+1 et R+2) est plus expérimentale car sans montant bois. Les bottes de paille sont directement fixées à la maçonnerie existante par des sangles. Le recours au tendeur-sertisseur est une première sur un chantier paille, même si la technique bretelle a déjà été utilisée sur de nombreuses maisons individuelles. L’objectif de cette mise en oeuvre est d’économiser de la ressource bois, là où la paille est abondante. Et de démontrer que l'on peut former les futur.e.s professionnel.le.s sur un chantier-école avec une maîtrise d'ouvrage publique. Une réappropriation de l'acte de construire est en jeu pour les concepteurs, les artisans et les usagers pour faire ensemble les villes résilientes de demain.

 

Disponibilité

Prises avec un recul géographique, les techniques bois-terre-paille s’inscrivent dans un métabolisme territorial vertueux. La paille, aussi bien que le bois, stocke le carbone, autour de 14 kg de CO2 par mètre carré. Le renouvellement de la paille est annuel et sa disponibilité immense, puisque 10 % de la paille produite et non utilisée par les usages agricoles suffirait à isoler les bâtiments neufs construits chaque année. Sur ce principe, isoler les bâtiments existants est aussi possible : ponctionner la paille excédentaire sur une durée de moins de quinze ans permettrait d’isoler la totalité du parc bâti.

La technique

Les produits d’isolations conventionnels, qu’ils soient en panneaux (polystyrène, fibre de bois), ou en rouleaux (laine minérale) sont fixés sans ossature à l'aide d'ancrages ponctuels : plots de colle ou rosaces plastiques. Au sein du Collect'IF Paille et des agences d'architecture Landfabrik et Trait Vivant, nous avons voulu poursuivre les recherches et les expérimentations sur l'I.T.E. en imaginant un système plus économe que les pratiques courantes. Tout est parti d'une simple question : peut-on suspendre les bottes de paille à un mur existant sans recourir à une ossature ? Après discussions, croquis et échanges téléphoniques, le système des bretelles commence à naître. Les bottes sont posées -à chant, maintenues deux à deux par des paires de bretelles (en fait des feuillards dédiés à l'industrie d'emballage). Quatre ancrages par mètre carré garantissent une répartition continue des charges sur le mur existant et réduisent les contraintes dans chaque feuillard à moins de 10 % de sa résistance annoncée.

Le chantier-école

L'isolation par l'extérieur d’un immeuble de 8 niveaux au 132 rue de la Convention (Paris 15e) pour le bailleur social Paris Habitat fut l’occasion d’un premier chantier pour tester la pose par bretelles à l'échelle d'un bâtiment – en chantier participatif et sur le premier et le deuxième étage. Les niveaux supérieurs ont été isolés par des bottes de paille posées entre des épines en panneaux de contreplaqué par les entreprises Apijbat et Depuis 1920. Le mur support, composé de moellons non revêtus, offre une résistance mécanique globale suffisante pour porter la nouvelle enveloppe mais, prises individuellement, les pierres demeurent friables. Nous avons choisi pour l’ancrage des chevilles en nylon, peu agressives pour les pierres cassantes, et des anneaux d’échafaudages. Cette solution apparaît surdimensionnée : ces anneaux résistent à 1,6 T tandis que le poids de l’enveloppe rapporté à chaque ancrage ne dépasse pas les 30 kg.

Il est courant d’utiliser des feuillards ou des sangles dans la construction en paille pour maintenir la compression nécessaire dans les bottes, lorsqu’elles sont structurelles. On utilise alors des sertisseurs manuels et leur consommable associé, feuillards textiles ou sangles tissées en polyester. Pour ce chantier, nous avons fait le choix d’investir dans une machine industrielle pour serrer les feuillards. Ce choix nous a apporté deux avantages : la machine est réglable et permet de garantir un niveau de compression constant sur toutes les bottes en chantier participatif ; le serrage des feuillards et leur soudure deviennent des opérations très rapides.

Comparatif énergie grise

L’avantage le plus spectaculaire du système des bretelles réside dans la faible énergie grise incorporée. Comparons quelques systèmes à résistance thermique équivalente (7,2 W.m-1.K-1) :

Système conventionnel, polystyrène expansé, enduit synthétique monocouche :

137,7 kWh/m²

Système épines, paille et contreplaqué, enduit chaux-sable 3 cm :

48,7 kWh/m²

Système bretelles, paille et feuillards polyester, enduit chaux-sable 3 cm :

27,8 kWh/m²

Système bretelles optimisé, enduits de corps en terre et quincaillerie plus légère

13,8 kWh/m²

 

L’enduit de corps en chaux-sable constitue une part importante de l’énergie primaire incorporée rue de la Convention.  Mélange plus homogène que l’enduit terre fibré, il est plus facile à projeter, dans le cas de grandes surfaces qui invitent à une certaine mécanisation. Dans le cas d’un enduit de corps en terre crue et d’une simple finition en chaux-sable, le bilan énergétique serait encore meilleur : dix fois moins que son équivalent polystyrène !

Moins de carbone est souvent synonyme de plus d'intensité sociale, sur des métiers valorisants. L'argent ne va donc pas au même endroit. Dans une société où il y a un fort taux de chômage, c'est une piste qu'il faut explorer pour la transition écologique de la société.

Le coût

Pour ce qui est du coût, la maîtrise d’ouvrage indique qu’il est équivalent à celui d’une opération conventionnelle, sachant que la moitié du coût est représentée par l’échafaudage (quelque soit la technique constructive). L’enduit épais est évidemment beaucoup plus cher qu'un enduit mince, mais est aussi beaucoup plus qualitatif, aussi bien par les effets de lumière et de matière qu’il génère qu'en terme de durabilité.

 

Nous espérons que cela encourage d'autres Pailleurs Sociaux à s'emparer du sujet !

 

Un article signé Benoît ROUGELOT, architecte à l’agence LANDFABRIK (https://landfabrik.fr/) et co-président du Réseau Français de la Construction Paille (RFCP) (https://www.rfcp.fr/)

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Rédigé par

benoit rougelot

architecte

Modérateur

Thierry Mouge

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