L’acte de « Construire », par Marc Mimram et Paul Chemetov - Partie 2

L’acte de « Construire », par Marc Mimram et Paul Chemetov - Partie 2

 

Construction21 s’est rendu dans l'atelier de l'architecte Paul Chemetov dans le 13e arrondissement de Paris pour le rencontrer au côté de Marc Mimram, ingénieur et architecte à l’occasion de la parution de "Construire" paru en janvier 2023. Cet ouvrage, écrit à quatre mains mais d’une seule voix témoigne d'un dialogue riche entre les deux hommes, qui collaborent depuis de longues années. Il nous ont livré leur vision commune de l'acte de concevoir un bâtiment aujourd'hui face notamment aux enjeux environnementaux. 

Dans la série des acteurs de renom dans la conception de bâtiments, voici deux immanquables exemples : Paul Chemetov et Marc Mimram. Le premier en tant qu'architecte et le second en tant qu'ingénieur, ont travaillé ensemble sur de nombreuses réalisations. Qu'il s'agisse de la Galerie de l’évolution du muséum d’histoire naturelle, du ministère des Finances ou encore de la Jetée de la Défense à Paris, leur œuvre est aujourd'hui mondialement connue et reconnue. Mais quelle est la vision profonde de ces deux pontes de l'acte de construire, à l'aune notamment des nouveaux enjeux environnementaux qui entourent le secteur ? Entretien.
 

À lire aussi : Notre interview de Marc Mimram et Paul Chemetov, partie 1
 


 

Les nouvelles technologies et pratiques telles que l'intelligence artificielle, l'industrialisation, la préfabrication, le hors-site... sont-elles incontournables aujourd'hui ?


Marc Mimram : En France, nous avons un exercice théorique de la préfabrication. Lorsque j’étais étudiant, nous étions à une impasse face à ce sujet et avons donc tout jeté. C’est dommage. La préfabrication est par essence une nécessité ! Mais il faut qu'elle accepte les savoir-faire d’hier et de demain, qu’elle reste ouverte à ce qui se faisait auparavant et ce qui se fera à l'avenir. 

Paul Chemetov : J’ai passé de nombreuses années de ma vie à essayer d’impulser l’industrialisation du bâtiment en France. Lorsque vous constatez les conditions pénibles du chantier, le froid, les intempéries... il est certain que plus vous intégrez la fabrication en usine ou en atelier, moins cela est pénible pour ceux qui travaillent. De surcroît, la préfabrication supprime les incertitudes et aléas des conditions extérieures. Un gain de temps et d’argent créé un cycle qui est plus économique. Et qui dit préfabrication, ne dit pas conception unique. Que nous le voulions ou non, chaque bâtiment, parce qu'il est posé différemment, sur un sol différent, dans une orientation différente, avec un voisinage différent, est d'une certaine façon un prototype. C'est en cela que réside la part intéressante et inventive de la chose : comment être durable avec des prototypes ? C'est aussi là que se trouve notre plaisir et tout l'engagement de nos métiers. 


Que pensez-vous de l'intelligence artificielle ? Elle propose une multiplicité de solutions…

MM : Soit nous considérons que l’IA nous éloigne du réel, soit qu'elle nous en rapproche. Je milite pour la seconde option. L'intelligence artificielle peut être un levier pour rapprocher l’architecte du réel, du concret, du chantier. Mais aujourd'hui, l'usage qui est fait de cette technologie est à mon sens plus "folklorique". 

PC : À titre personnel, je trouve cela inquiétant que les ordinateurs puissent avoir de plus grandes capacités que l’homme. Nous en arrivons parfois à nous demander si dans le futur, nous aurons toujours besoin de l'humain pour construire. Ce monde-là peut arriver, mais n’est pas celui que nous souhaitons !

Nous en arrivons parfois à nous demander si dans le futur, nous aurons toujours besoin de l'humain pour construire.


Dans votre livre, il est également question du duo ingénieur et architecte. Que pouvez-vous dire de cette complémentarité ? 

PC : N'oublions pas que nous sommes en France. Dans la plupart des autres pays, cette coupure entre les deux entités n'existe pas. L'ingénieur est un concepteur exactement au même titre que l'architecte ! 

MM : Il faut être optimiste. La situation aujourd’hui permet à l’ingénieur de gagner du temps. L’ordinateur permet des choses qui n’étaient pas possibles jusqu’alors. Il n'a plus besoin de dessiner sur des calques, calculer à la main... Nous pouvons désormais faire et refaire, optimiser. Alors qu'allons-nous faire de ce temps gagné ? Le mettre dans la conception du bâtiment, bien sûr ! Au service des projets et non pas au profit de réglementations nouvelles. Un peu plus de temps et d’argent dans la conception du bâtiment,  permettront de sortir un peu de la caricature "ingénieur calculateur" et "architecte dessinateur". Les deux, quoi qu'il arrive, sont constructeurs.  


Vous êtes-vous déjà inspirés du vivant dans vos réalisations ? 

MM : Je pense qu'il faut s'intéresser à ce que le vivant peut apporter au bâtiment, par exemple dans la géométrie et son optimisation. 

PC : Nous nous intéressons au vivant dans la mesure où nous-mêmes le sommes ! Nous ne sommes pas des robots. La question du vivant est donc forcément une question qui nous taraude et fait vivre notre métier. 


Avez-vous changé votre façon de construire au fil du temps ? 

PC : C’est un métier d’expérience. Lorsque nous sommes jeunes, nous ne savons pas, donc nous tentons des choses, mais nous nous rendons souvent compte plus tard que cela a déjà été fait. Alors que certaines choses n'ont pas d'issue et de descendance possible. En réalité, il est très compliqué d’être à la fois dans l’innocence du peu d’expérience tout en évitant la routine du trop vu.

Il est très compliqué d’être à la fois dans l’innocence du peu d’expérience tout en évitant la routine du trop vu.

MM : Si je devais donner un conseil aux étudiants en architecture d'aujourd'hui, il serait le suivant : ne jamais s’interdire l’expérimentation quelle qu’elle soit, à condition qu'elle soit en responsabilité. Je n'ai aucune inquiétude sur les nouveaux outils et les nouvelles pratiques, il faut juste les prendre de façon positive et y prendre du plaisir. 


Alors est-ce que c’était mieux avant ?

PC : Avant, c’était juste avant ! Il ne faut pas avoir de regrets. 

MM : Souvent, on nous a interdit des choses en nous disant que ce n’était plus possible. N’écoutons pas ceux qui disent que c’était mieux avant, car ils pensent souvent que ce n'est plus possible aujourd'hui. C’est souvent pour se donner des excuses. 

La véritable réponse à la question de la construction durable est la frugalité. 

PC : Le monde d'avant n'était pas celui d'aujourd'hui. Le dérèglement climatique a pour origine l'activité humaine, pas la méchanceté du ciel et des volcans. Nous ne pouvons pas éviter cette question : la Terre peut-elle nourrir sur nos standards la population qui est la sienne ? Non. Cela demande un effort de solidarité et d’humanité entre les êtres humains ainsi qu’une frugalité commune. La véritable réponse à la question de la construction durable est la frugalité. 

 

Journalistes : Stéphanie Obadia et Amandine Martinet
Vidéo : Soline Fahmy
Montage : Paul Capgras

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Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

Modérateur

Paul Capgras