Déconstruire « autrement » grâce au réemploi : l’opération test du 25, rue Schulmeister à Strasbourg

Déconstruire « autrement » grâce au réemploi : l’opération test du 25, rue Schulmeister à Strasbourg

La notion de réemploi gagne progressivement du terrain dans le secteur du BTP, et c’est notamment vrai pour les déconstructions et réhabilitations de complexes immobiliers. Preuve par l’exemple dans la région Grand Est : Hélène Thouviot, Cheffe de Service Prospection et Développement chez Ophéa, principal bailleur social de l'Eurométropole de Strasbourg, nous explique comment certains matériaux seront réemployés dans le cadre de la déconstruction de leur immeuble. Un projet qui n’aurait pu être possible sans l’accompagnement et l’expertise du Pôle Fibres-Energivie, implanté localement pour défendre cette idée du bâtiment durable. 

1/ Pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé la décision de déconstruire l’immeuble d’habitation au 25, rue Schulmeister ?

Ophéa est engagé aujourd'hui dans un grand projet de renouvellement urbain encadré par le nouveau NPNRU, qui prévoit notamment plus de 1 500 démolitions. Le 25, rue de Schulmeister en fait partie. 

Après les discussions que nous avons pu avoir avec l'Eurométropole de Strasbourg, nous avons souhaité enclencher une démarche expérimentale d’économie circulaire sur une adresse identifiée et pertinente, et ce fut celle-ci pour plusieurs raisons ; un secteur à échelle maîtrisée, une tour à fort potentiel, une diversité de matériaux et équipements, un planning opérationnel pertinent

En tant qu'acteur, bâtisseur, et gestionnaire, nous avons voulu répondre à une demande forte de la collectivité, avec également l’objectif de réduire notre empreinte carbone et de mieux maitriser nos déchets.

2/ Quelle a été la stratégie de réemploi utilisée sur ce projet de déconstruction ? Pourquoi avoir choisi cette stratégie ?

Le réemploi est une démarche encore peu pratiquée, qui pose des questions opérationnelles particulières. Cela explique l’aspect expérimental de notre initiative. 

Le but étant de faire un bilan d'expérience et voir ce qui pouvait reproductible sur d'autres chantiers. Si on parle de la démarche d'économie circulaire, nous l'initions désormais de façon un peu systématique, mais à ambition moindre, dans nos opérations de réhabilitation, résidentialisation, démolition et construction neuve. C’est bien sûr lié à un contexte normatif et réglementaire, mais surtout à la suite d’une prise de conscience de notre rôle à jouer.

Les questions que l’on s’est posés étaient alors : « comment déconstruire autrement ? Comment envisager le bâtiment déconstruit comme une banque de matériaux à réutiliser ? ». Notre stratégie a été tout d’abord de catégoriser les choses : dissocier d’une part les matériaux à réemployer, ou recycler, qui seront donc démontés et conservés, et les déchets de l’autre. 

3/ Ce réemploi de matériaux a-t-il été fait à échelle locale ?

On sort d’une opération de démolition classique, il y a alors un besoin d'adaptabilité. Les échanges ne sont pas les mêmes ; de nouveaux acteurs s’ajoutent suscitant d’autres paramètres à prendre en compte. GINGER DELEO, maîtrise d’œuvre du projet, a réalisé un diagnostic ressource, challengée par l’AMO Pôle Fibres-Energivie, associé avec BOMA. Implantés dans la région Grand Est, ces deux acteurs ont pu faire appel à leur réseau de filières locales.  

De là, en est sorti un listing de matériaux à potentiel, identifiés selon leur quantité disponible et leur potentiel. Nous avons actionné le réemploi pour des matériaux en faible quantité et sans risques assurantiel et/ou performanciel ; comme des boites aux lettres réemployées comme nichoirs en faveur de la biodiversité. Le recyclage se cantonne à 2-3 matériaux, bétons / bois/ terres, nécessitant des investigations complémentaires et la mobilisation poussée de la collectivité et le maitre d’ouvrage de la future construction.

4/ Comment avez-vous caractérisé le béton bâtiment pour permettre sa revalorisation sous forme de granulats recyclés ?

Nous nous sommes rendu compte que le béton qu’il y avait de la masse sur le béton, et donc sans doute une démarche complémentaire à réaliser. Dès lors que l’on identifie un matériau que l'on veut réemployer, s'enclenche la notion d'assurance et de performances du matériau. 

La première étape consistait donc à caractériser notre matériau existant, et savoir ce que nous allions en faire au regard de sa nature, sa composition, ses caractéristiques techniques. 

Deuxième étape ; émettre plusieurs hypothèses. Sur le béton, la plus pertinente était de le concasser et d’en faire du granulat, sans doute en sous-couche ou en fondation pour asseoir un futur bâtiment. 

Néanmoins, , nous avons été contraints de faire des choix. La tour est construite en béton armé coulé sur place avec murs de refends en intérieur recouverts de plâtre, ce qui réduit notre potentiel de revalorisation. Cela nous a obligé à réorienter notre position. Nous n’avons pas encore tous les résultats à ce jour. Nous avons pu constater que cette démarche d’économie circulaire implique des remises en question, la formulation d’hypothèses variées et de repositionnement au fil du projet. 

5/ Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de la mise en place d’une telle démarche de réemploi ?

Il a d’abord fallu pallier une complémentarité de compétences. Nous nous sommes entourés de partenaires et de prestataires extérieurs pour maîtriser la démarche et monter en compétences.

On a ensuite constaté une forte incidence sur l’avancement des études de projet, la multiplicité des acteurs à solliciter et les actions spécifiques à mener en phase exécution (dépose sélective, stockage, logistique, etc…). 

Il y a aussi une part d'incertitude : on s’interroge constamment sur l’évolution du projet et il faut sans cesse s’adapter, cela prend donc plus de temps que pour une opération classique.

Économiquement parlant, le gain potentiel est généralement annulé par le recours à une maîtrise beaucoup plus spécifique, des prestations intellectuelles et techniques plus importantes et des diagnostics qui sont plus nombreux et plus coûteux, car plus approfondis. Et comme le temps et l’argent sont liés et que les projets de réemploi sont plus longs, cela joue aussi. 

La notion de réemploi est encore peu appréhendable par nos locataires.  Lorsqu’on évoque la possibilité d’améliorer un logement, ils se projettent encore sur du neuf. A ce jour, nous nous orientons vers du réemploi ou recyclage en dehors de nos opérations de construction neuve ou réhabilitation. La difficulté venant également de la nécessité, en tant que bailleur-gestionnaire, d’intervenir de manière homogène. 

6/ Que faut-il savoir avant de se lancer dans une telle démarche ? 

Il y a une approche juridique particulière. L’AMO nous a proposé de faire une analyse critique du diagnostic ressources en intégrant les notions assurancielles et performancielle. Soit un classement du risque faible au risque fort pour tous les gisements. L’idée est de faire en sorte que nous, maîtres d'ouvrage, soyons rassurés sur la notion de se défaire d'un matériau qui, à la base, est identifié comme déchet.

Puis, pour les matériaux visés à réemploi ou recyclage, il faut les changer de catégorie. Selon une réutilisation in situ ou ex situ, la procédure n'est pas la même : est-ce que l’on cède à titre gracieux, ou est-ce que l’on cède avec un échange financier ? Encore une fois, c’est adaptable en fonction du matériau concerné, de la masse et de l'exutoire. Cela implique un support juridique et assurantiel pour maîtriser ces conditions et ces procédures de cession. 
 

7/ Quels ont été les résultats et bénéfices retirés de cette démarche de réemploi au 25 rue Schulmeister ?

A ce jour l’opération n’est pas achevée. Il est donc compliqué de retirer de réels résultats et bénéfices. 

On peut cependant relever l’occasion de poursuivre notre engagement en tant qu'acteur de la lutte contre le réchauffement climatique, dans la continuité et l’anticipation de la réglementation. L’autre côté positif est un travail collégial et partenarial la nécessité d’un engagement fort et d’ambition de la part de tous. 

In fine, l'objectif est de faire un bilan de l'expérience. Comme précédemment dit, la démolition du 25 rue Schulmeister est une opération test ! Un bilan pour déterminer les points de vigilance, les freins et les réussites. Cela va également nous permettre de sortir une liste de « matériaux types » pour reproduire certaines actions sur de futures opérations. Nous travaillons également à la mise en place d’une liste de matériaux de seconde main à réinjecter dans notre processus de maintenance.

8/ Le pôle Fibres–Energivie vous accompagne en tant qu’AMO sur ce projet au 25 rue Schulmeister, pourquoi ce choix ?

Nous faisons partie du Pôle Fibres-Energivie, ce choix s’est donc imposé tout naturellement. Il faut savoir que c’est un pôle d’excellence et de compétitivité vraiment engagé dans cette démarche de réemploi de manière locale. En s'associant avec BOMA sur ce projet-là, c'est une offre globale que nous avons eue : un appui technique, juridique, assuranciel, logistique et organisationnel. 
 
Nous avons donc eu un interlocuteur polyvalent qui nous a assisté sur tous les volets qu'appelle ce genre d'opération. Le Pôle Fibres-Energivies est un acteur identifié, innovant dans le digital et la technique, en lien avec des acteurs locaux et qui connaît bien le territoire du Grand-Est sur lequel il est implanté.  

Entretien d'Hélène Thouviot, cheffe de service prospection et développement chez Ophéa, membre de Pôle Fibres-Energivie. Propos recueillis par Amandine Martinet pour Construction21.


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Rédigé par

Hélène MEYER

Responsable communication et marketing

Modérateur

Paul Capgras