Alé Sall (ANAH) : "Trouver une solution de rénovation adaptée à chaque typologie de bâti" (partie 2)

Alé Sall (ANAH) :

 

Délais trop longs, impossibilité de créer un dossier... l'Agence nationale de l'habitat (Anah) est la cible de nombreuses critiques et des procès ont été engagés. Alé Sall, directeur du programme France Rénov' au sein de l’Anah, revient autour d’une interview exclusive à Construction21 sur les grands enjeux de la rénovation. 


Quelle est la stratégie de rénovation du gouvernement ? Ne vaut-il pas mieux par exemple rénover les bâtiments des trente glorieuses par exemple ?

La loi climat et résilience a posé des orientations fortes en matière de massification des rénovations performantes et  d'éradication des passoires thermiques. L’enjeu est de trouver une solution de rénovation adapté à chaque typologie de bâti pour atteindre ces objectifs. Cela sera plus complexe sur certains bâtiments, d’où l’importance de travailler sur l’amélioration de la connaissance précise du parc de logements et de sa performance (via les diagnostics de performance énergétique) pour mieux cibler les secteurs prioritaires. A cet égard, l’effort doit porter en priorité sur l’éradication des logements les plus énergivores.

Quels sont les premiers résultats des politiques publiques pour renforcer l’effort de rénovation, notamment concernant l’interdiction de louer les logements les moins performants énergétiquement comme les passoires thermiques ? Cette interdiction a-t-elle eu des premiers effets ?

Il est encore trop tôt pour dresser un bilan. Cependant, il est important de rappeler l’objectif, qui est bien de remettre à niveau le parc locatif privé en éradiquant les passoires énergétiques et de sortir des ménages de situations non conformes aux critères de décence du logement définies par la loi. La première étape d'interdiction de location des passoires thermiques est entrée en vigueur au 1er janvier 2023 pour les logements dits G+ (c’est-à-dire un niveau de consommation d'énergie finale supérieur à 450 kWh/m2 par an). Les prochaines étapes sont prévues pour 2025 avec le reste des logements classés G, puis 2028 pour les F et enfin 2034 pour les E. Il s’agit donc d’accompagner les propriétaires de ces logements pour qu’ils s’engagent dans des travaux de rénovation performants, avec l’appui du réseau France Rénov’. La mobilisation des filières professionnelles, notamment du bâtiment, de l’immobilier, de la banque et de l’assurance, est une condition de réussite éminemment centrale.

Rénover ces passoires thermiques exige un financement important…

Ce sont effectivement des travaux importants, engendrant un reste à charge élevé pour les ménages. Pour que cela fonctionne, il faut un niveau de financement suffisant, mais l’effort ne peut pas être porté uniquement par la puissance publique. La mobilisation d’autres sources de financement, notamment des prêts bancaires, est déterminante. L’Etat a mis en place des prêts garantis par le fonds de garantie pour la rénovation énergétique (FGRE) comme l’éco-prêt à taux zéro renforcé en 2022 et le prêt avance rénovation lancé en janvier 2022. Il faut accroître leur distribution pour permettre au plus grand nombre d’en bénéficier. Plusieurs réseaux bancaires se sont engagés en ce sens, mais il est nécessaire d’amplifier la dynamique, en complément des offres de prêts traditionnels proposés par ces acteurs. Il y a par ailleurs un enjeu majeur à développer des offres de prêts aux copropriétés pour boucler les plans de financement, ce qui constitue un frein important aujourd’hui pour la dynamique en copropriétés.

Des modes de financement complémentaires et innovants sont mis en place, notamment le tiers-financement. Qu’en pensez-vous ? 

Le tiers financement a déjà été mis en place dans de nombreuses régions avec des établissements de type Société d'économie mixte pour des rénovations de logements individuels ou collectifs. Cette solution, plutôt innovante, permet d'intégrer une ingénierie financière et technique complète sur l'ensemble de la chaîne du parcours de rénovation. Aussi, dans le cadre des réflexions du Club de l'Amélioration de l'Habitat, le recours à d’autres types d’outils comme les contrats de performance énergétique (CPE) pour les copropriétés a été évoqué. Plusieurs acteurs privés réfléchissent à réaliser des démonstrateurs pour expérimenter ce type de dispositif. Les idées foisonnent.

Faire adopter des décisions au sein des copropriétés peut s’avérer complexe, comment dépasser les freins existants ? 

La gouvernance spécifique de la copropriété et la rotation des propriétaires, qui gardent en moyenne leur appartement sept ans, rendent complexes une prise de décision pour la rénovation de la copropriété. Le premier levier est l’information. La loi prévoit la mise en place entre 2024 et 2026 d’une obligation pour les copropriétés d’élaborer un DPE collectif et un plan pluriannuel de travaux. Ces outils permettront aux copropriétaires et aux syndics de disposer d’informations essentielles pour les aider à s’engager dans un projet de rénovation, avec la possibilité de s’appuyer sur le réseau France Rénov’ pour bénéficier de conseils adaptés avant d’aller plus loin. La formation et l’outillage des syndics sont aussi des enjeux clefs : diverses initiatives ont été mises en place en ce sens par les réseaux nationaux des professionnels de l’immobilier (FNAIM, Plurience, UNIS, etc.). Le financement constitue un frein important. Pour y répondre, l’aide MaPrimeRénov’ Copropriétés a été revalorisée au 1er janvier 2023, avec une augmentation du plafond de travaux de 15 000 € à 25 000 € et un doublement des primes individuelles pour les ménages modestes (de 750€ à 1 500€) et très modestes (de 1 500€ à 3 000€). En complément des travaux sont conduits avec les banques ou les SACICAP (Sociétés Anonymes Coopératives d’Intérêt Collectif pour l’Accession à la Propriété) afin de faciliter le financement des projets de rénovation en copropriétés, en particulier sur la couverture du reste à charge et le préfinancement des aides. Au-delà, il est aussi nécessaire d’accroître le nombre d’assistants à maître d’ouvrage, de maîtres d’œuvre et d’entreprises de travaux spécialistes de la copropriété pour soutenir la dynamique. En 2021, on comptait 12 000 rénovations de logements en copropriété, 26 000 en 2022 et cette année 40 000 rénovations sont attendues. Par rapport aux presque 10 millions de logements en copropriété en France, c’est peu. Mais cela témoigne qu’une dynamique se construit et qu'il faut la soutenir dans la durée car les projets en copropriétés s’inscrivent sur le temps long. Les efforts d’aujourd’hui se concrétiseront dans quelques années. 
 

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Propos recueillis par Stéphanie Obadia et Grégoire Brethomé

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Rédigé par

La rédaction C21

Modérateur

Grégoire Brethomé - Construction21

Responsable éditorial