Les nouvelles technologies comme leviers positifs pour la construction

Rédigé par

Laetitia Malega

Chargée d'animation

6065 Dernière modification le 26/02/2019 - 07:13
Les nouvelles technologies comme leviers positifs pour la construction

Depuis plus de 15 ans, l’Institut de Formation Sectoriel du Bâtiment (IFSB) anticipe les évolutions du secteur de la construction pour répondre aux besoins des entreprises et les accompagner dans ces changements techniques, technologiques mais aussi sociaux.

Interview de Bruno Renders, Directeur de l’IFSB, Administrateur Délégué du CDEC

M. Renders, pourquoi le secteur de la construction s’intéresse-t-il aux nouvelles technologies ?

Le secteur n’est pas étranger à l’explosion des nouvelles technologies et à la révolution numérique qui impacte l’ensemble de nos sociétés et du secteur économique. Il ne peut pas – et ne doit pas – y échapper, car il va y trouver de nombreux leviers positifs, pour autant que le digital soit intégré d’une manière efficace, sans perdre de vue les buts de cette démarche : simplifier les tâches, augmenter la productivité, la qualité, la sécurité et la durabilité. Il est essentiel de se tourner vers les usages et de ne pas considérer le digital comme une fin en soi. On tombe parfois dans une forme d’intégrisme technologique où la technologie prend le pas sur le reste. Pour donner un exemple à peine caricaturé, on voit des collaborateurs communiquer par e-mail alors qu’ils sont dans la même pièce. On atteint dans ces cas les limites de l’utilisation pertinente de la technologie et il faut être attentif à cela.

Tout cela est à considérer dans un secteur qui a été impacté sans doute plus tardivement que d’autres et qui est en train de récupérer son retard à grande vitesse. Aujourd’hui, le secteur regorge d’innovations, n’ayons pas peur d’exploiter tout leur potentiel !

Quelles sont les grandes tendances technologiques actuelles ?

Lorsque l’on parle de tendances, il faut faire attention aux « effets de mode », qui provoquent certes un engouement pour un nouveau produit, mais qui ne trouvent pas forcément leur public. Le produit revient plus tard avec un taux de maturité plus avancé et devient alors utile.

Par exemple, lors de l’arrivée des Google Glasses, tout le monde voulait les avoir sans jamais les avoir vues. Quand elles sont arrivées sur le marché, ça n’a pas rencontré un grand succès, parce qu’on s’est très vite rendu compte que la technologie n’était pas tout à fait mature pour l’usage que nous voulions et, il faut dire que nous n’étions certainement pas culturellement amenés à les adopter facilement. Je suis pourtant persuadé qu’elles vont bientôt refaire leur apparition et l’on pourra alors profiter de cette technologie, parce qu’entre-temps Google aura mis le doigt sur ce qui est pertinent. La réalité augmentée figure elle aussi parmi les tendances relevées par l’étude Gartner (voir schéma ci-contre). On en parlait peu il y a 5 ans, mais aujourd’hui on retrouve des applications dans les musées, dans l’immobilier, presque partout et même dans le secteur de la construction, où la conduite virtuelle d’engins de chantier, par exemple, est possible à l’IFSB dans un but pédagogique.

Dans le top 10 des tendances, il y a les drones. Ils existent depuis 10 ans, mais étaient alors réservés à une élite. Aujourd’hui, ils sont devenus populaires et abordables. De nombreuses applications sont possibles avec les drones, notamment sur chantier, pour le sécuriser, recueillir des données ou encore évaluer la performance énergétique d’un bâtiment.
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Comment ces nouvelles technologies vont-elles impacter le secteur ?

On parle aujourd’hui de Troisième Révolution Industrielle (Rifkin), d’industrie 4.0. On peut aussi raisonnablement parler du chantier du futur, de l’industrie de la construction 4.0, en sachant que la construction est un secteur industriel mobile. Mais tout ce qui est vrai dans l’industrie n’est pas forcément transposable à l’identique dans le secteur de la construction où il y a une nature des activités qui nécessite d’avoir un regard très spécifique, d’approcher le métier avec la technologie, et non d’approcher la technologie avec le métier.

Quelles applications peut-on envisager pour la construction ?

Dans la production, on voit arriver des objets connectés sur les chantiers, qui nous permettent de géolocaliser les outils, les matériaux, d’assurer la traçabilité de certains équipements, de certaines phases de travail.

Les robots vont certainement transformer le secteur de la construction. Lorsque Henry Ford a inventé la Ford T, on a assemblé des éléments les uns avec les autres. Aujourd’hui, ce sont des robots qui le font dans des chaînes de montage. Est-ce qu’ils vont le faire de la même manière dans la construction qu’au sein de l’industrie 4.0 ? Bien sûr que non ! Un chantier n’est pas une usine. Les conditions de travail ne sont pas du tout les mêmes. Pour bien fonctionner, un robot doit être dans un milieu bien défini, aseptisé et avoir à effectuer tout le temps la même tâche. Actuellement, un robot qui déplace des blocs de béton sur un chantier le fait très bien, mais il ne va pas beaucoup plus vite qu’un ouvrier et il est beaucoup moins flexible : pour autant qu’il y ait un petit souci avec le plan ou que le client veuille faire un changement, il devra être reprogrammé. Ce n’est donc pas transposable tel quel sur un chantier. On imagine plus facilement la robotisation dans le cadre de la préfabrication industrielle par exemple.

Il y a également l’impression 3D qui permet aujourd’hui de construire des maisons en 3D. C’est génial, mais actuellement, ce n’est pas très accessible et on ne peut pas non plus le faire partout. Donc c’est une piste, mais qui n’est pas encore tout à fait mature, comme nous en parlions précédemment. Par contre, l’impression 3D peut servir dans le cadre de la formation. Nous disposons au sein de l’IFSB d’imprimantes 3D capables de créer des maquettes pédagogiques pour les stagiaires qui ont besoin de manipuler un modèle réduit pour visualiser et comprendre un projet.

La voie que l’on essaye de poursuivre avec la participation académique pour la production, c’est la voie du drone et de l’exosquelette. Pour les 15 ans de l’IFSB en octobre 2017, nous avions imaginé et créé un « chantier du futur ». Nous avions montré un drone captif capable de prendre des images, utile pour réaliser des vidéos de formation par exemple, mais il y avait aussi un drone actif, capable de transporter des blocs de béton de 18 kg et de poser un bloc sur un autre. C’était il y a un an. Si demain ce drone peut transporter 75 kg de béton et assembler les blocs, il aura une réelle utilité. Un drone peut donc transformer un geste constructif en geste automatisé. Pour le rendre efficace, il faudra aussi travailler sur le matériau, sur la façon de construire et sur la manière de le piloter. S’il est piloté par un humain, le drone a un degré de précision de 3 cm, ce qui est incompatible avec le degré de précision de la construction. Un drone automatisé avec géolocalisation pointue, par contre, a un degré de précision inférieur à 1 cm. Là, ça devient plus intéressant ! On imagine 3 ou 4 drones automatisés qui travaillent ensemble, qui sont connectés à la maquette BIM, et là on gagnera du temps, de l’efficacité, des ressources. Je pense que dans 3 ou 5 ans, nous verrons des drones automatisés construire des murs.

L’exosquelette, par définition, est un « appareil motorisé fixé sur un ou plusieurs membres du corps humain pour lui redonner sa mobilité ou en augmenter les capacités ». Il peut permettre de booster les capacités d’un humain. Si nous sommes aujourd’hui capable de porter un bloc de 15 kg, peut-être que demain, à l’aide d’un exosquelette, nous serons capables de porter un sac de 75 kg. Nous pourrons alors pouvoir utiliser des blocs constructifs plus grands, plus lourds, plus facilement, sans pénibilité. Nous gagnerons du temps et de l’efficacité constructive. C’est également très positif pour diminuer les troubles musculo-squelettiques (TMS) dus aux opérations répétitives pénibles. Un exosquelette me permet de diviser la pénibilité par 5.

Quelle application peut-on envisager pour la sécurisation d’un chantier ?

On peut envisager l’usage de drones pour la surveillance d’un chantier : équipé d’une caméra, il peut jouer un rôle de « surveillant ». Au-delà de cette fonction, dans un secteur aussi accidentogène que le nôtre, le drone s’impose comme une solution nouvelle pour prévenir les risques, en survolant les chantiers et en détectant les zones dangereuses ou les incidents.

Le même drone peut être utilisé dans le domaine de la durabilité, par exemple en allant surveiller les dommages sur de grands ouvrages d’art, des ponts, des bâtiments.

De quelle manière les patrons vont-ils appréhender la digitalisation de leur entreprise ?

Du point de vue managérial, il y a un certain paradigme naturel entre ce que l’on est capable d’accepter à titre individuel, en tant que personne (voiture suréquipée, applications mobiles, etc.) et ce que l’on est capable de transposer dans notre entreprise, en tant que manager. Il faut être cohérent, si l’on équipe sa maison d’objets connectés, les chantiers peuvent l’être aussi !

Quand on regarde les études réalisées au niveau européen, on constate qu’il y a des entreprises de construction au sens large qui aujourd’hui sont un peu éloignées de la digitalisation et qui ont un peu de retard. Par exemple, certaines entreprises ne sont pas présentes sur le web. On n’est bien sûr pas là pour les stigmatiser, mais pour tenter de les accompagner pour qu’elles puissent utiliser intelligemment ces nouvelles technologies en complément de leurs outils actuels. Il ne faut pas voir leur réticence comme une forme de résistance au changement, mais c’est simplement qu’historiquement, elles n’en ont pas eu besoin, elles ont avancé sans cela, et ça fonctionne bien, donc pourquoi s’y mettre ? Pour aller plus loin ! Pour assurer sa pérennité ! C’est justement quand les affaires vont bien qu’il faut se préparer au changement.

Un patron doit aussi être à l’écoute de ses jeunes collaborateurs. Les générations Y (que l’on appelle aussi les Millennials) et surtout Z ont grandi avec les technologies et nous bousculent dans nos habitudes. Pour moi, c’est un mouvement positif. Il faut être proactif et discuter de ce que ces digital natives peuvent nous apprendre pour utiliser les nouvelles technologies de façon intelligente, adaptée à nos usages, pour booster la visibilité de nos entreprises.

La présence sur le web est un indicateur du niveau de digitalisation de l’entreprise. Il y en a d’autres, par exemple le fait d’utiliser ou non le web pour effectuer des paiements, de passer par un ERP (progiciel de gestion intégré) pour gérer le management quotidien. Si ces outils étaient coûteux et s’adressaient principalement aux grosses structures il y a 10 ans, c’est maintenant devenu beaucoup plus simple grâce à l’arrivée d’une pléthore d’outils qui ont été simplifiés pour l’usage qu’en feront de plus petites structures.

Au-delà du manager, c’est également toute l’équipe qui doit s’adapter à ces changements. Dans une entreprise, généralement, les salariés sont tous équipés de smartphones, réservent leurs vacances en ligne, effectuent leur virement par e-banking, mais lorsque l’on développe une stratégie digitale pour l’entreprise, certains développent une résistance collective au changement. L’accompagnement et le dialogue sont dans ces cas indispensables.

Quelles conséquences tous ces changements auront-ils sur l’emploi ?

Bien sûr, ces technologies vont remplacer des emplois, mais elles vont aussi en créer de nouveaux et entraîner la mutation des emplois existants. Je peux imaginer que dans 10 ans, dans le programme de formation des coffreurs ou des maçons de l’IFSB, il y aura la thématique des « assembleurs », des professionnels qui seront moins dans le façonnage mais plus dans l’assemblage de techniques existantes. Et on aura des maçons informaticiens, des pilotes de systèmes constructifs automatisés et dans une moindre mesure des maçons façonneurs de murs en béton. Ces nouvelles fonctions ne sont pas encore nécessaires aujourd’hui, mais l’employeur doit se préparer, être ouvert. Le BIM est d’ailleurs un bon exemple de digitalisation et de création de nouvelles fonctions. Les BIM managers et coordinateurs sont des fonctions aujourd’hui nécessaires.

Pour préparer cette mutation des compétences, il faut appréhender la technique, et c’est à cela que l’on travaille. On doit apprivoiser les nouvelles technologies, les comprendre pour bien les utiliser. Notre site est entièrement dédié à être un living lab et un chantier école pour tester ce genre de choses.

Le secteur de la construction est-il prêt à affronter cette digitalisation ?

Intellectuellement, oui. Technologiquement, en partie. Il y a encore beaucoup de défis que la formation et l’accompagnement vont nous aider à relever.
Heureusement, le Luxembourg est le bon endroit pour cela. De nombreuses initiatives gouvernementales, para-étatiques (Fit 4 Digital Luxembourg) ou patronales (Digitalt Handwierk, Digital Skills Bridge) sont à saluer. Elles favorisent d’une part la sensibilisation générale et constituent d’autre part un cadre positif avec des aides, des incitatifs, des coachs, etc.

La course à l’innovation est lancée et, avec elle, de nombreuses technologies viennent repousser les limites techniques de notre secteur ! Il nous faut saisir les opportunités qui s’offrent à nous et accueillir aujourd’hui les innovations qui seront certainement les standards de demain.
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Démonstration de drone constructeur par le laboratoire d’essais, mécaniques, structures, génie civil (LEMSC) de l’université catolique de Louvain-La-Neuve dans le cadre du 15e anniversaire de l’IFSB.
Marie-Astrid Heyde
NEOMAG#20
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Photo corps du texte : Marie-De-Decker

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