#30 - Les points forts et les points faibles de la RE2020 : le point de vue d’une architecte

Rédigé par

Emmanuelle Patte

architecte

4863 France - Dernière modification le 04/07/2022 - 12:30
#30 - Les points forts et les points faibles de la RE2020 : le point de vue d’une architecte

Après deux ans d’attente, la RE2020 apporte des avancées significatives en intégrant l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) et le Carbone dans les calculs. Cette nouvelle réglementation environnementale conserve une vision technicienne et restrictive du bâti mais elle ouvre aussi de nouvelles perspectives avec l’obligation pour les concepteurs de prendre dorénavant en compte les indices carbone des consommations d’énergie mais aussi de la construction du bâtiment (Composants + chantier)

On prend de plus en plus de retard alors qu’il est urgent d’agir

Nous l’attendions avec impatience, les premiers textes sont publiés, d’autres viendront au fil des années et jusqu’en 2025. Ces textes ne concernent que les constructions neuves, et encore pas toutes. En tant qu’architecte concernée depuis plus de trente ans par les questions climatiques, énergétiques et sociales, je me demande pourquoi tant de temps pour aboutir à une réglementation réellement exigeante ? On m’explique que c’est le jeu de la démocratie, qu’il faut des allers et retours pour élaborer la loi, que toutes les parties concernées doivent être consultées, et que chacune a son mot à dire. Pourtant nous avons pu constater avec la pandémie du Covid19, qu’en cas d’urgence, l’Etat sait agir de façon radicale, contraignante quitte à faire l’objet de critique. Nous sommes en 2022, la sortie de la RE2020 me donne l’impression que les pouvoirs publics n’ont pas encore pris la mesure de l’urgence à agir si l’on veut prévenir les catastrophes climatiques, alors qu’elles sont prévisibles et que nous sommes prévenus.

Sa publication est une bonne nouvelle, mais il faut la considérer comme voiture-balai

Certes, c’est une bonne nouvelle qu’enfin, avec 2 ans de retard, elle soit publiée. Mais en aucun cas il ne faut la considérer comme guide pour notre façon de construire. Notre responsabilité est de faire mieux que la RE2020, d’aller plus loin, en programmant, dessinant, construisant des bâtiments encore plus confortables, encore plus économes, encore moins polluants que la limite donnée par la RE2020. Et notamment ne pas se limiter aux seuls bâtiments neufs, mais se poser chaque fois que possible la question de la rénovation des bâtiments existants, une rénovation exigeante sans attendre la publication des textes qui l’encadreront.

La lourdeur et la complexité du texte freinent son appropriation par les concepteurs

Des milliers de pages, des applications numériques dans lesquelles on entre les données sans comprendre ce qu’il y a dans le moteur de calcul rendent la RE2020 incompréhensible pour les concepteurs architectes notamment. Ils découvriront au fil des projets et des calculs que tels ou tels dispositifs ne « passent pas », et qu’au contraire avec tel autre on « marque des points ». Le législateur, en voulant tout prévoir, fabrique des textes qui ne s’adressent qu’à des hyper spécialistes du texte. Cela empêche l’appropriation par ceux-là mêmes qui conçoivent et construisent. A chaque RT, et maintenant RE, les architectes et les bureaux d’études tâtonnent pour comprendre ce qui marque ou non des points pour que le calcul passe, au lieu de concevoir pour un bon usage. On peut par exemple se poser la question des distinctions utilisées suivant la destination d’un immeuble qui vont le faire entrer dans telle ou telle catégorie plus ou moins contraignante. Cela questionne la capacité à adapter, à faire muter l’usage d’un bâtiment au gré des besoins programmatiques.

La grande avancée : prendre en compte l’ensemble du cycle de vie du bâtiment

La RE2020 ne se limite pas, comme les RT précédentes, à la seule période d’exploitation d’un bâtiment. Elle prend aussi en compte les impacts de la construction et de la déconstruction. Ces impacts ne sont pas du tout négligeables. Il est tout à fait pertinent, notamment quand on démolit un bâtiment considéré comme trop consommateur d’énergie, de regarder en combien d’années les économies d’énergie obtenues en phase exploitation par un bâtiment neuf très performant seront amorties au regard de l’investissement en énergie grise pour sa construction. L’analyse du cycle de vie est une question très complexe avec de nombreux facteurs. Les résultats du calcul dépendent du périmètre considéré, de la durée de vie estimée des matériaux, du bâtiment, des modes de transport, de la rigueur de l’inventaire, des données génériques utilisées. Les concepteurs n’auront pas le temps de maitriser toutes ces données. Pour autant ils doivent comprendre la logique et l’esprit de cette analyse, se former, faute de quoi ils seront manipulés par les chiffres annoncés.

La seconde grande avancée : prendre en compte le carbone

Les émissions de carbone, ou plus exactement de gaz à effet de serre, calculé en équivalent carbone, c’est le nerf de la guerre si l’on veut ralentir le dérèglement climatique. Bonne nouvelle pour le climat : la RE2020 prend en compte les émissions de GES sur tout le cycle de vie du bâtiment. Pour mémoire, cette question avait déjà été traitée dans une loi précédente, la loi sur l’air en 1997 qui obligeait à inclure une quantité minimale de bois dans les constructions pour stocker du carbone et ainsi l’empêcher d’être largué dans l’atmosphère. Finalement cet article n’a jamais été appliqué au niveau d’ambition qu’il prévoyait. Il est clair que les matériaux biossourcés, bois, paille et autre, ont un atout de par leur mode de production, puisque leur croissance est issue de la photosynthèse qui transforme l’eau et le gaz carbonique grâce à l’énergie solaire. Ainsi un mètre cube de bois utilisé dans une construction stocke environ une tonne une CO2. Pour l’instant aucune technologie ne permet de stocker facilement le carbone. Par contre, en fin de vie, si le bois est brûlé ou laissé à pourrir, le carbone enfermé est relâché dans l’atmosphère.

Le choix de l’Analyse du cycle de vie (ACV) dynamique pour une baisse immédiate des GES

La question qui se pose à l’humanité est de réduire drastiquement ses émissions de GES tout de suite, le plus rapidement possible. Le choix du calcul dynamique de l’ACV permet de valoriser la captation temporaire du carbone par les matériaux biosourcés. On espère que dans 50 ans, au moment de la déconstruction du bâtiment, la question du dérèglement climatique sera résolue, et qu’il sera moins crucial de ne pas en émettre de GES. Ou alors, que les poutres ou autres éléments seront réemployés pour une autre construction, dans une époque plus économe des ressources.

Le Bbio renforcé induit l’obligation d’isoler par l’extérieur

La notion de Bbio, issue de la RT précédente est conservée. C’est une bonne nouvelle. Il nous reste des repères. Les exigences sont renforcées. Certains bureaux d’études nous disent qu’il ne sera plus possible de faire des isolations par l’intérieur car elles ne permettraient pas d’atteindre les performances demandées dans ce calcul. Mais j’ai le souvenir qu’on avait déjà espéré cela lors de la RT2012. À suivre.

Le confort d’été est désormais pris en compte

C’était difficile de ne pas le faire avec les observations météorologiques des dix dernières années et les prévisions du GIEC. L’approche bioclimatique est valorisée, et le législateur a pris en compte l’apport de la vitesse d’air dans la sensation de confort pour ne pas rester sur la seule température. Par contre, si le calcul montre que le confort n’est pas atteint, il faudra compter les consommations d’une éventuelle climatisation. Cela va peut-être inciter les concepteurs à vraiment prévoir de la ventilation traversante, des brises soleil extérieurs, et autres dispositifs bioclimatiques. Ou alors cela va promouvoir la clim partout. Ce qui serait une mauvaise nouvelle pour le climat et pour le confort des espaces extérieurs. A suivre.

La RE2020 reste sur le strict périmètre du bâti

Et c’est dommage. On aurait souhaité que soient pris en compte dans les calculs d’ACV les impacts de l’aménagement de la parcelle, les raccordements aux réseaux, les créations de voiries. Cela aurait pénalisé les constructions dispersées, l’étalement urbain et le mitage des terres agricoles.

Pas de révolution sur les unités sur lesquels sont basés les calculs

Les unités de calcul sont toujours ramenées au mètre carré. Comme par exemple kWh/m2.an. Les m2 calculés sont désormais en SDP, et non plus en SHON, ni en SHON RT, ni en SU. En tant qu’architecte, on est rompu à l’exercice, on a même des tableaux pour ne pas s’y perdre entre ce qu’il faut compter ou pas suivant le type de m2.

Par contre il aurait été intéressant de ramener les consommations à d’autres unités, comme les personnes, et de considérer pour chacun un « capital » d’énergie qu’i a le droit de consommer par an, ou de quantité de GES qu’il aurait le droit d’émettre par an, un peu comme le calcul de l’empreinte carbone proposée par WWF. Cela aurait incité à intensifier l’usage d’un bâtiment. Cela aurait été aussi plus équitable socialement. Et internationalement si on l’appliquait à l’échelle mondiale, car nous savons avec le dernier rapport du GIEC que c’est ceux qui émettent le moins qui vont le plus pâtir du réchauffement climatique. Mais ça c’est pour une autre fois.

Un article signé Emmanuelle Patte, architecte
Méandre-ETC


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Modérateur

Claire Roger