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C21 sur le terrain : pose d’un nouveau béton routier décarboné en Seine-Maritime

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

2696 France - Dernière modification le 31/01/2023 - 10:37
C21 sur le terrain : pose d’un nouveau béton routier décarboné en Seine-Maritime

 

Mardi 17 janvier, nous étions près de Rouen pour assister à la réalisation d’une voirie en Béton Compacté Routier (BCR) chez Solvalor, une entreprise qui a pour vocation de valoriser des terres au sein du Grand Paris et en région Normandie notamment. À partir de ces terres, l’entreprise a réussi à produire un béton ultra bas carbone 100% recyclé, expérimenté ici pour la première fois à l’échelle industrielle pour la réalisation d’une piste d’une centaine de mètres dédiée à la circulation de véhicules lourds (engins de travaux publics et poids lourds). Retour sur cette journée et sur un matériau aussi novateur que vertueux. 

 

Les spécificités d’un matériau nouveau


Le principe ? Les terres d’Ile de France (notamment du Grand Paris) sont récupérées par le site de Solvalor à Sotteville-lès-Rouen (76), qui par un processus de lavage les dépollue et les sépare en trois fractions granulométriques calibrées (gravier 4/20, sable 0/4 et fraction fine inférieure à 63 μm). Emmanuel Moudilou, directeur scientifique et innovation et Camille Follet, ingénieure et doctorante œuvrant sur le chantier, nous donnent plus de précisions. 

Quelle est la composition de votre béton décarboné ? 

« Nous sommes ici sur une plateforme de valorisation des terres d’excavation, qui viennent essentiellement du bassin parisien et sont principalement acheminées jusqu’au site par péniches via la Seine qui se trouve non loin de nous. Certains lots de terre sont passés dans le process de lavage, à la fin duquel ils ressortent sous trois formes : des cailloux, du sable, et la fraction fine de la terre. Ce sont ces trois composantes qui font le squelette granulaire du béton que nous utilisons aujourd’hui. Combinées à un ciment bas carbone, ces trois fractions de la terre entrent dans la composition de notre « BCR Gigaterre » [nom donné par Solvalor au béton en question, ndlr]. Le BCR (Béton Compacté Routier) est un béton sec à affaissement nul qui présente la particularité d’être mis en œuvre à l’aide des équipements habituellement utilisés pour la réalisation de chaussées en enrobé (finisseur et rouleaux compacteurs). La piste de circulation que nous réalisons aujourd’hui est une structure bicouche en BCR. Après la mise en œuvre et la compaction de la deuxième couche de BCR, la dernière étape du chantier consiste en une opération de surfaçage afin de parfaire l’état de surface final de la voirie. »

Cette composition fondée à 100% sur le réemploi de l’existant permet au matériau utilisé sur le chantier du jour de répondre aux enjeux environnementaux actuels du secteur de la construction. « Notre volonté était d’avoir un béton de terre, utilisant toutes les fractions de la terre chacune incorporée en proportion contrôlée », résume Camille Follet. 

 

 

Quels sont les principaux atouts de ce produit ?

« En étant 100% issu de matière recyclée, notre matériau est très intéressant du point de vue environnemental, tout en développant des performances mécaniques équivalentes à un produit classique — d’après les résultats que nous avons obtenus en laboratoire. Par ailleurs, une fois durci, il est particulièrement clair, ce qui peut être intéressant en milieu urbain en permettant de lutter contre les îlots de chaleur. D’ailleurs, des mesures ont été conduites sur le béton Solvalor afin d’évaluer ses propriétés thermiques (albédo, émissivité thermique et Index de Réflexion Solaire (SRI)). Il apparaît ainsi que le BCR Gigaterre Solvalor absorbe presque 2 fois moins et reflète 10 fois plus la puissance du rayonnement solaire que d’autres matériaux de pavage plus courants. »

Quels sont au contraire les points à améliorer ?

« Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas sur un matériau conventionnel. Celui-ci demande une expertise et des opérations supplémentaires qui peuvent générer une immobilisation de la zone de chantier plus longue que pour un matériau conventionnel pour voirie. Nous travaillerons par la suite à l’optimisation de ces opérations pour limiter la durée de chantier. »

 

Les enjeux d’un chantier challengeant 


Une première mise en œuvre expérimentale du béton bas carbone formé par Solvalor avait déjà été effectuée à l’été 2022. Mais ce 17 janvier a eu lieu la mise en œuvre définitive du matériau sur la voirie principale de l’entreprise, longue d’une centaine de mètres. Des travaux qui se sont déroulés sur l’ensemble de la journée pour s’achever le lendemain matin. 

En plus de l’équipe du chantier, deux intervenants du Centre d’Expérimentation et de Recherche du Cerema Rouen étaient présents sur les lieux. Dimitri Mercadier y fait de l’instrumentation depuis 20 ans et Guillaume Voisin y est chargé d’études depuis 2016, après avoir déjà passé 15 ans au Cerema dans le domaine des infrastructures.  

 

Quel est le rôle du Cerema, présent sur le chantier aujourd’hui ? 

« Nous avons pour mission de vérifier comment réagit le matériau innovant de Solvalor à l’usage. Pour cela, nous avons posé des jauges de déformation pour voir comment va travailler le béton sous le passage des poids lourds et des engins de travaux publics. En-dessous de la structure en BCR, nous avons installé 5 capteurs de pression pour vérifier que l’ensemble n’exerce pas trop de poids sur le sol support. Il faut également instrumenter chaque couche de béton BCR (structure bicouche). Nous avons enfin prévu un dernier capteur à la surface, pour vérifier que le béton ne se déforme pas. Le Cerema va ensuite récupérer les données issues des fréquences des capteurs pendant environ 6 mois pour assurer le suivi ».  

Comme nous l’ont expliqué nos deux experts du Cerema, le Béton Compacté Routier (BCR) est une technique très peu répandue en France. Elle a été très utilisée aux États-Unis et au Canada dans les chaussées portuaires et aéroportuaires, où le support de charges très lourdes est requis : en effet, il s’agit d’un type de matériau qui se comporte très bien face à l’agressivité des engins. Quelques expérimentations ont déjà eu lieu en France sur des voiries classiques avec passage de poids lourds, mais avec des bétons plus émissifs en termes de CO2. Il s’agissait donc là d’une opération quasi inédite ! 

L’un des enjeux du jour (ils étaient nombreux) : la couche supérieure doit être posée assez rapidement après le compactage de la première pour que les différentes épaisseurs se collent. Si les deux couches  de béton sont décollées, la couche du dessus reprend tous les efforts, tandis que dans l’idéal, l’ensemble des couches doit travailler de manière cohérente. Le temps classique de pose entre plusieurs couches de béton est compris entre 45 minutes et 1 heure. 

Un autre défi réside dans les conditions météorologiques. Comme nous l’a expliqué Camille Follet au cours de la journée, le froid est l’ennemi du coulage du béton car il ralentit fortement la vitesse d’hydratation du ciment. Pour garantir un meilleur vieillissement de la structure, il est donc désormais nécessaire de patienter jusqu’à l’obtention d’un certain seuil de performances mécaniques nécessaire à la mise en circulation de la piste en BCR.

À ce jour, le béton n'a pas encore atteint le seuil de résistance en compression cible pour l'ouverture à la circulation. Solvalor continue donc de suivre régulièrement le développement des performances mécaniques de son « BCR Gigaterre » afin de savoir quand il pourra permettre la circulation des engins sur la structure routière. 

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