ACV dynamique vs ACV statique (3/3) : décomposition de l’impact et approche temporelle

Rédigé par

Marine Fouquet

CTO

19972 France - Dernière modification le 04/03/2021 - 15:44
ACV dynamique vs ACV statique (3/3) : décomposition de l’impact et approche temporelle

D’après le communiqué de presse du Ministère de la Transition Energétique du 18 février 2021, la méthodologie d’analyse de cycle de vie (ACV) retenue pour le calcul de l’impact sur le réchauffement climatique des bâtiments concernés par la RE2020 est bien la méthodologie d’ACV dynamique.

Si la méthode d’ACV statique proposée par le référentiel E+C- est maintenant bien connue des passionnés de carbone, la méthode dynamique inquiète le secteur, car contrairement à la méthode statique, peu de retours d’expérience sont disponibles. Fait peu discuté, la RE2020 intègre également une méthodologie de calcul statique. Dans le cadre de la préparation à la RE2020, des experts participant au groupe de travail (GT) “Modélisateur” ont réalisé des calculs comparatifs des différentes méthodes.

Dans ce contexte, nous avons souhaité contribuer au débat en tant qu’expert·e·s impliqué·e·s, en réalisant une étude technique. Nous choisissons de partager les résultats de cette étude avec vous, dans le sillage de la dynamique que nous créons avec notre communauté d’utilisateur·rice·s Vizcab.

Nous avons fait le choix d’aborder le sujet en 3 étapes : d’abord un premier article d’introduction, puis une deuxième approche générale de comparaison des méthodologies d’ACV avec l’étude d’un bâtiment de logements collectifs. Enfin dans cet article, nous détaillerons les impacts des composants en fonction des méthodologies proposées par la RE2020, en ajoutant une analyse temporelle de l’impact des émissions.

Vous trouverez dans cet article :

  • La décomposition de l’impact de nos deux variantes CLT et béton armé, pour comprendre quels composants du bâtiment influent sur les résultats.
  • Une analyse temporelle des impacts sur le réchauffement climatique calculés selon la méthodologie dynamique proposée par la RE2020

Besoin d’un petit rappel sur la méthodologie d’ACV dynamique avant de vous lancer dans le grand bain ? C’est ici.

De précisions sur les hypothèses de l’étude et les premières conclusions ? C’est par là.

Avant de commencer, précisons tout de même quels résultats nous allons manipuler dans cet article. Notre périmètre d’étude reste semblable à celui de l’article 2/3 avec nos deux variantes en structure béton armé et en structure CLT étudiées sur une période d’étude de 50 ans. Nous parlerons de méthode de calcul statique issue de la RE2020 et de méthode de calcul dynamique issue de la RE2020 (exit E+C- cette fois). Et nous nous intéresserons plus particulièrement au calcul du potentiel de réchauffement climatique sur le total cycle de vie (la somme des impacts de toutes les phases du cycle de vie), au calcul des bénéfices, ainsi qu’à leur somme, exprimée en kgCO2éq. que nous appelerons “impact des émissions de gaz à effet de serre (GES)”. Cette somme correspond en réalité à Eges, mais non rapporté à la surface de référence.

C’est parti… quels sont les composants du bâtiment qui émettent des gaz à effet de serre en fait ?

Bonne question. Pour y répondre, nous avons pour habitude de décomposer l’impact total sur le réchauffement climatique en une quinzaine de données environnementales (les impacts des composants, d’après les données issus d’Inies) qui représentent généralement jusqu’à 80% de l’impact total : c’est le principe de Pareto et ça marche plutôt bien pour l’ACV. Pour en savoir plus, c’est une fonctionnalité de Vizcab Eval, incluse dans l’édition de rapport automatisé, par ici.

D’abord une rapide comparaison des décompositions en fonction des méthodologies d’ACV statique et dynamique de la RE2020

Ces graphiques montrent la contribution de chaque donnée environnementale à l’impact global. Comme précisé précédemment, le calcul intègre bien à la fois l’impact sur le réchauffement climatique sur la totalité du cycle de vie, et les bénéfices et charges au-delà du système.

 

Image for post

Pour la variante en béton armé, on voit que 88% d’impact représenté par ces 12 composants sont les mêmes entre le calcul dynamique et le calcul statique : les ordres de grandeur sont conservés même si l’ordre des composants du plus au mois impactant n’est pas le même. Pour rappel, l’impact total de la variante béton varie de 4% entre la version dynamique et la version statique. Le composant le plus impactant est celui qui modélise les dalles en béton armé, et représente 25% de l’impact statique et 28% de l’impact dynamique, avec un écart de 4% sur l’impact des émissions de GES des dalles en béton armé entre les deux méthodes de calcul.

 

Image for post

Pour la variante CLT : ce sont 16 composants qui sont étudiés plus particulièrement pour leur part dans l’impact des émissions de GES. Ils représentent respectivement 81% de l’impact statique et 71% de l’impact dynamique. C’est le composant de structure CLT (planchers et murs de façades) qui a le plus d’influence sur le résultat dynamique, puisqu’il représente -49% de l’impact total (pour -4% en statique), ce qui représente une variation de -702% en passant du statique au dynamique, pour le seul matériau de structure. Dans le calcul statique, le composant ayant le plus d’influence sur l’impact global est le revêtement de sol en PVC qui représente 12% de l’impact total statique (pour 17% dans le calcul dynamique).

Ce que l’on en déduit, c’est qu’en passant du calcul statique au calcul dynamique pour la variante CLT, le matériau de structure principale en CLT prend une place prépondérante dans le calcul de l’impact, et permet partiellement de compenser les impacts des autres composants, ce qui explique entre autres les différences de résultats entre statique et dynamique visible dans l’article précédent.

Dans la méthodologie dynamique, comment s’expliquent les différences d’influence des matériaux structurels pour les deux variantes ?

Regardons un peu du côté des bénéfices… Pour les deux variantes de conception, vous trouverez ci-dessous la répartition des données environnementales les plus impactantes, avec séparation de l’impact sur le total cycle de vie et des bénéfices.

 

Image for post

Quelle que soit la variante étudiée, on observe d’abord que les matériaux comportant de la matière biosourcée compensent de deux manières les impacts des autres matériaux :

  • avec un impact négatif sur le réchauffement climatique (pour toutes les phases du cycle de vie) pour certains matériaux, par exemple le CLT ou le platelage bois.
  • par des bénéfices négatifs (et non nuls) pour tous.

 

Image for post

La carbonatation du béton prise en compte au-delà de son cycle de vie (selon l’hypothèse qu’il est concassé et laissé à l’air libre) impliquent des bénéfices non nuls pour les matériaux en béton également.

Dans le cas où on considère les seuils de la réglementation comme un budget carbone à répartir selon les différents éléments de conception, ce phénomène de compensation est intéressant, car il implique par exemple qu’un élément architectural qui a un impact carbone important peut être “compensé” par l’intégration de matériaux biosourcés.

En effet le critère carbone ne peut pas être le seul juge de la pertinence d’un choix de conception, et l’approche d’un budget carbone à l’échelle d’un projet permet cette flexibilité. Une piste pour les inconditionnels du béton ?

En détaillant un peu ce qui se cache derrière le “total cycle de vie” de nos deux matériaux structurels,

on revient au début de notre étude, lorsqu’on regardait les différences d’impact entre 1 m³ de béton armé pour dalle et 1 m³ de matériau de structure en CLT. Le béton armé est impactant lors des phases de production et de construction (108% de l’impact des émissions de GES), qui est compensé partiellement par l’exploitation et les bénéfices (-9%). Le CLT présente un impact négatif à la production (-241% de l’impact des émissions de GES) qui compense nettement le reste de son impact de construction et de fin de vie, voire l’impact des autres matériaux comme dans la variante CLT que nous présentons.

Image for post

Puisque la production et la fin de vie de ces matériaux n’interviennent pas au même moment de la période d’études, voici une transition adéquate pour la suite…

 Tic-tac, tic-tac… et si on regardait les impacts des émissions de gaz à effet de serre des deux variantes année par année ?

Nous vous proposons maintenant de regarder les émissions cumulées depuis le moment de la construction (année 0) et pendant toute la période d’étude (jusqu’à l’année 50). Pour cela, nous restreignons l’analyse qui suit aux seuls lots du contributeur “produits de construction et équipements” (PCE) modélisés de manière détaillée (lots 2 à 7). Si vous avez besoin de plus de détails sur les hypothèses de modélisation, c’est par ici.

 

Avant cela, une petite précision méthodologique pour les plus courageux d’entre vous : pour la répartition annuelle en statique des produits de construction et équipements, nous avons fait le choix de répartir la phase d’exploitation totale de manière équivalente pour chaque année de la période d’étude de référence (PER): l’impact de l’exploitation en année n est la même que celle en année n+1, et c’est l’exploitation totale divisée par la période d’études. Pour les bénéfices, nous avons décidé de les répartir de la même manière, c’est-à-dire qu’on compte les bénéfices au-delà du système d’un produit sur la totalité du cycle de vie et qu’on les lisse la répartition sur la période d’études. Ce choix a été fait du fait du comptage particulier du remplacement en statique, qui compte l’entièreté de la phase d’exploitation même si un produit à une durée de vie supérieure à la période d’études. Vous me suivez toujours ?

Statique vs dynamique en version temporelle…

Regardons les impacts cumulés des deux variantes, pour un calcul statique et pour un calcul dynamique.

 

Image for post

Pour la variante en béton armé, nous voyons donc que la plupart de l’impact total est émis en année 0, c’est-à-dire au moment de la construction du bâtiment (pour rappel on compte les phases de production et de construction en année 0). Cette valeur est la même en absolu pour les calculs statique et dynamique, elle représente 82 % de l’impact pour le calcul dynamique et 80 % pour le calcul statique. En année 50 au contraire, l’impact cumulé de la variante béton diminue…

Pour la variante CLT, la plus grande partie de l’impact total est émis en année 50, qui représente 71% de l’impact total en statique, contre 62% en dynamique (et ici la valeur en absolu est différente entre les deux méthodologies de calcul, du fait du coefficient de pondération).

Ce qui frappe le plus dans le graphiques ci-dessous,

que ce soit dans les résultats des calculs dynamique ou statique, c’est “l’air sous la courbe” de la variante en béton armé. Pas l’aire sous la courbe, parce qu’elle ne représente rien ici, mais bien le vide sous la courbe. En effet, les gaz à effet de serre qui sont émis en année 0 pour la variante béton ne disparaissent pas : ils restent bien dans l’atmosphère, et exercent leur pouvoir de réchauffer l’atmosphère pendant toute la durée de la période d’étude, même s’ils se dégradent et interagissent entre eux.

C’est là l’intérêt de la méthode dynamique : montrer que les gaz à effet de serre émis en année 0 seront toujours plus néfastes que ceux émis en année 50.

D’abord parce que le CO2 émis en année 0 sera encore présent dans l’atmosphère en année 50, et qu’il aura réchauffé l’atmosphère pendant 50 ans en plus. Ensuite, parce que nous ne maîtrisons pas encore ce qu’il adviendra des matériaux à la déconstruction, et que par conséquent nous ne laissons pas une dette carbone aux générations futures, mais un choix à faire, celui d’émettre ou non ce carbone, de l’emprisonner encore grâce à une gestion durable des forêts. Et s’ils sont émis quand même, nous avons gagné 50 ans de répit où ils n’ont pas réchauffé l’atmosphère.

En résumé : dans la variante béton, la plupart des gaz à effet de serre sont émis en début de vie du bâtiment et restent dans l’atmosphère pendant toute la période d’études. Dans la variante en CLT, les gaz à effet de serre seront peut-être émis à la fin de vie du bâtiment, en fonction du choix fait par les générations futures.

Là, la différence entre version statique et version dynamique se manifeste principalement dans l’existence de pics de variation de l’impact dans la version dynamique, et dans l’amortissement des impacts en année 50 pour la variante CLT. Vous avez sûrement déjà une idée de la raison de ces différences…

 

Image for post

Si on fait un zoom sur le calcul dynamique de l’impact sur le réchauffement climatique, on voit qu’il existe des pics d’émissions plus ou moins visibles en année 10, 20, 25, 30, 40 et en année 50 : ceux-ci sont dus au remplacement de divers composants que nous avons étudié plus haut. Cela illustre alors l’impact du comptage dynamique des émissions pour des produits ayant des durée de vie estimée (DVE) inférieure à la période d’études de référence (PER), comme expliqué dans ce graphique issu de notre premier article. Dans la méthode de calcul dynamique, au moment du remplacement d’un composant, on compte la fin de vie du matériau remplacé, ainsi que la construction et production du nouveau matériau installé. Remarque intéressante, pour toutes les variations de l’impact sur le réchauffement climatique (total cycle de vie), on observe que ce sont les mêmes composants qui impactent la variation peu importe la variante de conception. Sauf en année 50, où l’augmentation subite de la courbe est due au CLT pour la variante CLT, alors que la variante béton armé subit une augmentation moindre, due au éléments biosourcés (menuiseries et platelage bois).

 

Image for post

Pour les bénéfices également, on voit des pics apparaître en année 30 et en année 50 : comme précédemment, c’est en année 50 que se distinguent les deux variantes, avec l’apparition des bénéfices du CLT pour la variante CLT, et des bénéfices du béton armé (carbonatation, de l’acier à travers les garde-corps (recyclabilité presque à l’infini de l’acier) pour la variante béton. Et toujours les menuiseries extérieures en bois-alu pour les deux variantes.

Tout ça pour ça ?

Comme vous avez pu le constater si vous êtes arrivé.e.s au bout de ces trois articles, le problème principal de l’ACV dynamique est qu’elle complexifie l’analyse des résultats. Entre répartition temporelle, phases du cycle de vie et impact des composants, il est difficile de s’orienter parmi les grandeurs et spécificités de la méthode.

Pour autant, c’est aussi le moment de rappeler que si l’ACV dynamique complexifie la compréhension d’une méthodologie déjà nouvelle (même si l’ACV bâtiment est accessible à tous depuis 2016 et le lancement de l’expérimentation E+C-), elle a été choisie parce qu’elle permet d’évaluer de manière plus juste les contributions des différents matériaux du bâtiment au réchauffement climatique. Nous en retenons les aspects suivants :

  • L’idée d’un budget carbone à consommer dans le bâtiment permet une certaine flexibilité dans les choix de conception, puisque les produits biosourcés peuvent compenser les impacts d’autres matériaux.
  • Les différences d’impact entre les variantes CLT et béton armé sont principalement lié au moment d’émissions des gaz à effet de serre : garanti en année 0 pour la variante béton, et optionnel en année 50 pour la variante CLT, avec en prime 50 ans de réchauffement en plus pour la variante béton armé.

Et voilà, c’est la fin…

Nous espérons que ces trois plongeons dans l’ACV dynamique de la RE2020 vous ont permis de mieux appréhender les dessous de la méthode choisie pour le calcul des impacts environnementaux du bâtiment. Les conclusions présentées ici vous apportent un aperçu de la méthode, mais ne sont pas à généraliser à tous les projets bien sûr. Pour cela, nous avons hâte d’avoir vos retours sur expérience des projets soumis à la RE2020 !

L'étude et l'article ont été réalisés par Margot Compañy, consultante bâtiment durable chez Vizcab, avec le soutien de toute l'équipe !

A propos de Vizcab

Vizcab est une start-up dédiée au développement de solutions numériques pour la transition environnementale du bâtiment. Notre ambition : devenir le partenaire numéro 1 des acteurs de l’immobilier et de la construction dans leurs enjeux de maîtrise carbone en choisissant de rendre accessible et de multiplier le recours à l’analyse de cycle de vie bâtiment.

www.vizcab.io

Découvrez dès à présent l'article "ACV dynamique vs ACV statique (1/3) : mais de quoi parle-t-on ?" et l'article "ACV dynamique vs ACV statique (2/3) : étude de cas pour des logements collectifs" publié sur Construction21.

 

 

Partager :