[Webinar – Compte-rendu] Méthanisation : quand le tri à la source des biodéchets produit une énergie verte locale

Rédigé par

Laëtitia AUBEUT

Chargée de développement Biométhane

3482 Dernière modification le 09/03/2021 - 10:51
[Webinar – Compte-rendu] Méthanisation : quand le tri à la source des biodéchets produit une énergie verte locale

D’ici fin 2023, les collectivités auront l’obligation réglementaire de mettre en œuvre le tri à la source des biodéchets. Dans ce contexte, la méthanisation est une véritable opportunité pour les collectivités. Celle-ci permet de valoriser la matière des biodéchets et de produire de l’énergie à l’échelle locale. Différents projets ont déjà vu le jour sur le territoire français. GRDF s’est fixé comme mission d’accompagner ces acteurs publics qui souhaitent se lancer dans la méthanisation.

 

Le webinar, animé par Alicia LENORMAND, responsable éducation, énergie, voirie chez IDEALCO, s’est déroulé en trois temps :

  • Biodéchets et production de gaz vert, quelles opportunités pour les collectivités ? Par Laëtitia AUBEUT, chargée de développement biométhane, GRDF.
  • Collecte séparée et méthanisation des biodéchets. Par Grégoire SUPER, maire de Locminé (56) et vice-président du Centre Morbihan Communauté.
  • Lamotte-Beuvron : et si on faisait un essai ? Par Pascal BIOULAC, maire de Lamotte-Beuvron (41) et vice-président du conseil départemental du Loir-et-Cher.

 

Biodéchets et production de gaz vert, quelles opportunités pour les collectivités ?

Si l’obligation réglementaire de tri à la source des biodéchets ne sera effective qu’en 2023, la question de leur devenir doit se poser dès aujourd’hui selon Laëtitia Aubeut. Il faut réfléchir dès à présent à ces « biodéchets qu’il va falloir trier, valoriser, au bénéfice de la transition écologique ». La valorisation des déchets s’inscrit dans le respect des objectifs nationaux de limitation des émissions de carbone (atteindre -40% de GES d’ici 2030 et la neutralité en 2050) et de recyclage des déchets (65% de nos déchets doivent être recyclés en 2025).

En tant qu’énergéticien et au titre de sa mission de service public, GRDF s’est fixé comme objectif de verdir les réseaux de gaz à hauteur de 12 TWh d’ici 2023 et de 40 TWh d’ici 2030 (soit 10% du gaz consommé). Le distributeur de gaz s’inscrit à ce titre dans un rôle de « catalyseur, fédérateur et promoteur » du développement de projets de production de gaz vert aux côtés des acteurs du territoire. Par exemple, GRDF est déjà engagé depuis plusieurs années maintenant aux côtés de la filière agricole au profit de la méthanisation agricole.

« Tout ceci pour un monde plus durable reposant sur des économies circulaires et vertueuses » affirme Laëtitia Aubeut.

Au 1er janvier 2021, 214 sites injectent du biométhane dans les réseaux, tous opérateurs confondus. 300 000 logements neufs sont chauffés au biométhane fin 2020, soit deux fois plus qu’en 2019. Depuis les premiers sites en injection en 2011, GRDF a raccordé une capacité de production de biométhane de 3,6 TWh et assure le suivi de 1 500 projets, dont 140 en construction. La filière de production de gaz vert est en plein développement en France.

 

Biodéchets : de quoi parle-t-on ?

Le terme « biodéchets » a une définition réglementaire précise, définie par l’article R 541-8 du code de l’environnement. Cela concerne :

  • Tout déchet non dangereux biodégradable de jardin ou de parc,
  • Tout déchet non dangereux alimentaire ou de cuisine, issu notamment des ménages, des restaurants, des traiteurs ou des magasins de vente au détail,
  • Tout déchet comparable provenant des établissements de production ou de transformation de denrées alimentaires.

Les boues d’épuration ou les déchets constitués de viande crue ne font pas partie de cette définition. « On parle majoritairement de biodéchets issus des ménages, de la fraction organique issue des poubelles grises pour faire simple », commente Laëtitia Aubeut. « Cela représente 1/3 de nos poubelles » à trier distinctement.

 

Obligation de tri à la source : point réglementaire

L’obligation de tri à la source pour tous les producteurs de biodéchets, dont les ménages et les collectivités, a été affirmée dès la loi transition énergétique de 2015 (LTEPCV). L’échéance était alors fixée à fin 2024. C’est la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020 qui a avancé cette date au 1er janvier 2024.

La loi AGEC décline le tri des biodéchets en deux gestions complémentaires :

  • D’une part, « une gestion de proximité, locale », par exemple via le compostage de proximité, en pied d’immeuble ou à l’échelle d’un quartier.
  • D’autre part, « la collecte séparée, qui vise à une gestion centralisée, au bénéfice plus large d’un territoire ». Cette collecte peut se faire via des « points d’apport volontaire » ou alors « en porte à porte », avec des bennes à ordures ménagères qui viennent chercher les biodéchets directement chez celui qui les produit.

Une fois les biodéchets récupérés par la collectivité, cette dernière dispose de deux solutions majeures pour les valoriser : les plateformes de compostage (ce qui correspond à environ 7.2Mt de biodéchets traitées sur 680 sites, dont 274 traitent des biodéchets alimentaires) et la méthanisation (ce qui correspond à 0.2 Mt de biodéchets traitées sur 161 installations acceptant des biodéchets, dont 76 acceptent les biodéchets alimentaires).

L'article D. 543-226-1 du code de l'environnement précise qu’« il est interdit de mélanger des biodéchets triés par leur producteur ou détenteur avec d'autres déchets n'ayant pas fait l'objet d'un même tri ».

 

La méthanisation au service des collectivités et du territoire

Pour Laëtitia Aubeut, « la méthanisation a pour atout d’être multiservice pour le territoire » : production d’énergie renouvelable, gestion des déchets, réduction des gaz à effet de serre, production de matière agronomiques naturelles, création de valeur économique et d’emplois locaux, etc.

La réussite de la mise en œuvre du tri à la source au double bénéfice d’une production de gaz vert pour le territoire et d’une valorisation matière dépend surtout « du taux de participation des citoyens aux gestes de tri » et de la faisabilité de mettre en place un système de tri. Pour elle, il faut donner du sens au tri à l’échelle de l’individu, des ménages : « en tant que consommateur et producteur [de biodéchets], il peut aussi devenir utilisateur de ce biodéchet transformé en ressource ». Le biodéchet et son mode de valorisation deviennent des vecteurs précieux de communication et de pérennisation d’un geste de tri engagé et de qualité.

Parmi les acteurs clés et parce que le tri à la source des biodéchets « résiduels » est avant tout une valorisation matière, « le secteur agricole est essentiel à mobiliser dans un projet de méthanisation des biodéchets ». La méthanisation permet de « renforcer le lien urbain-rural » grâce aux échanges avec les agriculteurs, les collectivités et les producteurs privés de biodéchets. Le digestat ainsi produit par la méthanisation constitue un levier de substitution aux engrais chimique pour plus de durabilité dans les pratiques agricoles. Cependant, pour que le digestat soit utilisable, il est nécessaire d’avoir une parfaite maîtrise en amont de sa qualité. Cela passe le cas échéant par la mise en place de pré-traitement qui affine la qualité du flux triés avant méthanisation dans les prescriptions qualité requises pour le retour au sol final. Par ailleurs, les biodéchets alimentaires sont soumis au respect de la réglementation sanitaire européenne et à ce titre ils doivent être préalablement hygiénisés par broyage puis chauffage à 70°C pendant 1h.  

Le tonnage de biodéchets collectés, et donc à traiter, détermine le type de méthanisation à développer et le rôle de la collectivité dans le projet. Deux modèles sont possibles :

  • Pour un gisement supérieur à 15000 t/an, seuil technico-économique à dire d’expert, au-delà duquel la mise place d’une méthanisation 100 % biodéchets se justifie alors « le rôle de la collectivité pourrait être celui de porteur de projet […], au titre de sa compétence de service public ».
  • Si le gisement est inférieur à 15000 t/an, les biodéchets ménagers seront préférablement traité par mutualisation avec des déchets agricoles de méthanisation existante ou en devenir sur le territoire de la collectivité. Dans ce cas, cette collectivité peut avoir un rôle de catalyseur et de fédérateur au montage de projet, d’actionnaire minoritaire d’une société de production d’énergie renouvelable ou simple cliente au titre d’une prestation de service de traitement.

D’après GRDF, la capacité de production de gaz vert à partir de biodéchets ménagers d’une ville de 100 000 habitants (déchets triés, collectés et valorisés en méthanisation) est estimée à 5 GWh/an, soit le chauffage d’un quartier d’environ 1 000 logement

 

GRDF : une mission d’accompagnement des collectivités

GRDF, au même titre que ses actions déployées au quotidien auprès du secteur agricole et de la filière méthanisation, souhaite élargir son accompagnement auprès des collectivités, au-delà de la relation concédant-concessionnaire en vue d’informer, de faciliter et d’animer ces dernières au bénéfice d’une gestion des déchets en faveur du verdissement de ses infrastructures gazières, du développement durable des territoires et du respect des obligations.

Pour exemple d’accompagnement aux côtés de représentants nationaux et régionaux de collectivités territoriales, GRDF travaille actuellement à la réalisation d’un guide « méthanisation des biodéchets » à destination des collectivités ainsi que d’un guide sur l’hygiénisation, afin d’appuyer la mise en œuvre concrète de la valorisation matière et énergétique des biodéchets par méthanisation

En savoir plus sur GRDF et la méthanisation.

 

REX 1 : Collecte séparée et méthanisation des biodéchets, par Grégoire Super

 

Eléments de contexte

Depuis 2017, un méthaniseur a été mis en place dans la communauté de commune de Locminé. C’est l’un des aboutissements d’une réflexion commencée en 2010 sur la décarbonation du territoire. Ce méthaniseur a une capacité de 60 000 t d’intrants/an, avec un potentiel production biométhane de 11 GWh/an. En plus du biogaz réinjecté, ce projet permet de produire du biocarburant, faisant de Locminé la première station bioGNV de Bretagne. Le coût du projet est de 17 millions d’euros. Il a bénéficié d’aides de l’Ademe à hauteur d’environ 19% du coût total. La société d’économie mixte SEM LIGER a été créée à l’occasion, afin de développer le projet. La ville de Locminé y est actionnaire à 42% et la communauté de commune de Locminé à 16%. Le méthaniseur bénéficie de contrat sur le long terme avec GRDF et EDF.

La méthanisation dans un territoire semi-rural et agricole

La Bretagne est un territoire au bout de la France, presque péninsulaire, avec peu de ressources énergétiques propres. Locminé en particulier se situe dans un environnement semi-rural et agricole. Les ressources présentes sont donc surtout les déchets agro-alimentaire, issus de la culture du porc par exemple. Pour Grégoire Super, le sujet est « comment valoriser ces ressources au maximum avec des retombées positives sur le territoire ? ». La réponse est toute trouvée : la méthanisation, qui « est un outil » et non pas « une fin en soi » comme le rappelle Grégoire Super.

La méthanisation, est aussi un moyen pour les industriels de s’engager dans le verdissement de leur activité : « dans le monde industriel, notamment agro-alimentaire, il faut aussi verdir tout ce qu’on fait ». Les industriels peuvent ainsi montrer concrètement aux clients qu’ils peuvent faire autrement, notamment en faisant traiter leurs déchets (boues, lisiers, graisses) via la méthanisation. Ils peuvent également utiliser le BioGNV généré par le méthaniseur.

Enfin, la SEM LIGER intègre pleinement les agriculteurs au projet. Elle s’est engagée à retourner gracieusement le digestat aux agriculteurs qui ont adhéré à la charte mise en place. Le plan d’épandage est géré par la SEM LIGER, et les agriculteurs se sont engagés à garantir le suivi via des comptes-rendus. Le plan d’épandage est aussi suivi par la chambre d’agriculture.

Expérimentation de la collecte des biodéchets alimentaires des ménages

Depuis un an, Locminé a mis en place trois points d’apport volontaire de biodéchets des ménages. Le périmètre de l’expérimentation concerne 128 foyers et 9 professionnels. La communauté de commune a distribué aux habitants des bio-seaux pour leur permettre d’amener les biodéchets aux points de dépôt. A cela s’ajoute un grand travail de pédagogie : « on fait de la pédagogie, on le répète régulièrement dans les documents de la commune de Locminé ». 60 tonnes de biodéchets ont ainsi été collectées en 2020. La collectivité a également investi dans un bioséparateur pour garantir la qualité des flux en amont de la méthanisation.

La collecte et le traitement des flux sont gérés par SITTOM-MI. Les coûts de gestion sont les suivants : 85€/tonne pour la collecte, 50€/tonne pour le prétraitement (bio-séparation), 50€/tonne pour la méthanisation en elle-même.

 

REX 2 : Lamotte-Beuvron, et si on faisait un essai ? Par Pascal Bioulac

 

Eléments de contexte

Ce projet de méthanisation, opérationnel depuis novembre 2020, a été mené à l’initiative de la commune de Lamotte-Beuvron. Il est piloté par la SCIC Sologne Agri Méthanisation, formée en avril 2015. La SCIC, présidée par un agriculteur, est composée de la commune de Lamotte-Beuvron, du Parc Equestre Fédéral (le territoire étant un espace mondialement reconnu de l’équitation) et d’un collège agricole. Le projet se veut collectif : il intègre également la chambre d’agriculture, des agriculteurs, des producteurs de l’industrie agro-alimentaire ou encore des restaurateurs.

Le méthaniseur installé consommera environ 28 000 tonnes d’intrants par an, sachant que le potentiel de biodéchets estimé par GRDF sur la communauté de commune Cœur de Sologne, dont fait partie Lamotte Beuvron, est de 900 t/an. Cela permettra au territoire de produire environ 17 GWh/an et de réduire ces émissions de CO2 de 3120 tonnes eqCO2/an. Au total, le projet a coûté 10 M€.

Le méthaniseur est situé en entrée de ville. Cela lui permet d’être à proximité des gisements des centres équestres et de la collectivité, d’être visible et identifié par la population dans une optique pédagogique et enfin d’être proche des conduits de gaz de GRDF, ce qui limite les coûts de raccordement au réseau.

La méthanisation dans un territoire rural tourné vers l’équitation et l’agriculture

Le territoire concerné par le projet possède d’une grande quantité de fumier. Une partie provient de chevaux : la Sologne est réputée pour l’équitation et accueille notamment chaque année le plus grand rassemblement équestre mondial, ce qui génère une grande quantité de fumier équin. L’autre partie est générée par les élevages (ovins, porcins, caprins et bovins). La méthanisation permet ainsi de valoriser les déchets de ces deux filières. Le méthaniseur est également alimenté par des graisses issues de laiteries et par des cultures à haute valeur énergétique, ce qui permet « d’avoir une ration stable et une production de gaz régulière », selon Pascal Bioulac.

Pour Pascal Bioulac, il est plus que nécessaire d’intégrer les agriculteurs (qu’il considère d’ailleurs comme des « artisans du recyclage des digestats ») au projet. En effet, le territoire connait un basculement de l’agriculture vers la chasse : « J’ai voulu apporter une marque de considération au peu d’agriculteurs qui reste ». D’où le fait que le président de la SCIC soit issu du monde agricole, ou le choix d’opter pour un plan d’épandage gratuit pour les agriculteurs. « Le biogaz, c’est l’or vert de nos campagnes. Il doit rester dans le monde agricole, il doit y avoir des revenus qui restent dans l’agriculture ».

La pédagogie au cœur de l’expérimentation lancée à Lamotte Beuvron

Lamotte Beuvron expérimente actuellement une collecte séparée des biodéchets, basée sur des points d’apports volontaire intelligents capables de capter de la donnée et de la traduire en gratification pour les trieurs engagés. La commune a ainsi mis en place quatre containers, équipés d’une balance pour faciliter le suivi de la gestion. Le périmètre expérimental concerne 80 foyers ménagers, un collège, une école primaire, un EPAHD et un restaurant de la Fédération Française d’Equitation.

La collectivité mène une action pédagogique pour préparer les ménages au tri des biodéchets à la source. « L’installation des containers revêt pour nous un aspect pédagogique évident », confirme Pascal Bioulac. Selon lui, il est notamment important de toucher les enfants. L’enjeu est donc de « parier sur la communication et la pédagogie que les enfants amèneront dans les foyers de notre ville ». Pour cela, Lamotte Beuvron s’appuie, entre autres, sur les supports mis en place par GRDF pour vulgariser la méthanisation, comme des vidéos explicatives, qui sont très pédagogiques, d’après le retour de Pascal Bioulac.

 

Crédits photo : Wittelsbach bernd

Propos recueillis par Manon Salé - Construction21, la rédaction

 

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