Vers une ville confortable pour les piétons

796 Dernière modification le 01/12/2021 - 10:55
Vers une ville confortable pour les piétons

Quelle place pour le piéton en ville ? Comment faciliter ses déplacements ? Comment mesurer l'attractivité des aménagements ? Avec la crise sanitaire qui a chamboulé les habitudes de déplacement des français, les acteurs de la mobilité et de l'aménagement se sont interrogés.

Des aménagements transitoires ont été réalisés dans des villes de toute taille, un baromètre des villes marchables a été créé, les premières assises de la marche en septembre 2021 ont montré les attentes fortes des piétons quant à la qualité et la sécurité des cheminements. A partir de ces constats, comment aménager les espaces publics pour rendre la ville confortable pour tous les piétons ? L’article suivant est paru dans la revue Technicités de novembre 2020 mais les principes énoncés restent clairement d’actualité.

C‘est un fait : nous sommes tous à un moment donné piétons. Pour accéder à un véhicule ou à un transport en commun, au marché, ou pour un moment de loisir le week-end… La marche est un mode de déplacement essentiel, et qui précède tous les autres.

 

DES USAGERS NOMBREUX AUX BESOINS MULTIPLES

C’est encore plus évident à certains moments de la vie : 52 % des enfants de 5 à 17 ans qui se déplacent font au moins un déplacement à pied dans la journée ; ainsi que 40% des 18-39 ans, 37% des 40-65 ans, et 52% des plus de 65 ans. Or les personnes âgées sont sur-représentées dans les accidents mortels impliquant un piéton. Par ailleurs, les enfants et les personnes âgées sont des usagers témoins : leur absence dans un espace public traduit souvent un manque de qualité ou un sentiment d’insécurité, voire une aseptisation de la ville.

Les personnes à mobilité réduite sont aussi des usagers témoins, révélateurs de la qualité d’un espace public. Un revêtement contraignant pour une personne en fauteuil roulant l’est aussi pour la plupart des marcheurs. Un espace peu lisible (offrant peu de repères ou de contraste) est déroutant pour une personne souffrant d’un déficit visuel ou cognitif, mais aussi pour une personne d’un autre quartier. Un masque à la visibilité aux traversées piétonnes augmente les risques d’accident des piétons, et en particulier des enfants. Un trottoir encombré de mobilier bloque le passage aux usagers vulnérables, et empêche aussi de se croiser et de marcher à plusieurs.

Pour être adaptés aux flux et aux usages, les cheminements pour piétons nécessitent donc souvent des dimensions allant bien au-delà du 1,40 m imposé par la réglementation sur l’accessibilité : le Cerema préconise 2,50 m. À ces largeurs, il convient d’ajouter des espaces supplémentaires répondant aux besoins des usagers : îlots-refuges, espaces d’attente, emplacements dédiés aux commerces, végétaux, signalétique, etc.

Les piétons ont aussi un comportement sensible : ils suivent leurs lignes de désir (souvent en ligne droite), ou cherchent au contraire des détours accueillants. Leurs comportements sont difficiles à prévoir face à un carrefour compliqué, un quartier peu accueillant, un espace trop ensoleillé… Il est ainsi utile de recueillir le ressenti des usagers, témoins ou non, en organisant des marches exploratoires ou des parcours commentés : la marche est aussi un outil de diagnostic urbain.

Les enjeux pour les piétons sont encore plus saisissants en péri-urbain ou en milieu rural, où la part modale moyenne de la marche est de 12 % (et 30 à 40 % dans les centres urbains). Les difficultés sont accrues dans des quartiers périphériques souvent aménagés pour les véhicules motorisés, avec des coupures urbaines dissuasives (comme l’a montré l’urbaniste Frédéric Héran), ou des espaces disproportionnés. Il y a donc un intérêt à agir sur plusieurs leviers en même temps : étendre les zones à priorité piétonne, magnifier des magistrales piétonnes en reliant confortablement les quartiers et les équipements. Il faut aussi améliorer les rues banales : toutes les rues doivent-elles être à double sens motorisé ? Le stationnement peut-il être géré différemment ? Des marges de manœuvre existent dans de nombreuses rues afin de donner de l’espace au piéton et de donner envie de marcher.

 

LE CONFORT DES ESPACES PUBLICS, UTILE ET NÉCESSAIRE

Les trottoirs larges sont encore plus appréciés en période de crise sanitaire, à la fois pour se croiser facilement à 1 m de distance et pour gérer des files d’attente devant des magasins sans bloquer le passage. Plus globalement, les recommandations de confort des espaces se révèlent des éléments essentiels pour adapter les espaces aux usages. Les extensions temporaires de trottoirs ou les changements de statut de rue sont utiles pour des espaces devant gérer un afflux important de piétons, en particulier devant des établissements scolaires, dans des rues commerçantes, ou des villes touristiques.

"Avignon a déjà une certaine culture de la fermeture complète du centre-ville aux accès voitures : c’est pour le festival !", indiquait Régis Auriol, directeur de l’aménagement et mobilité de la ville d’Avignon, en juin 2020 lors d’un webinaire sur les aménagements temporaires pour piétons organisé par le Cerema avec des collectivités. Marquages, barrières, et agents ont facilement été mobilisés pour rendre temporairement le centre-ville piéton. De petites villes ont aussi mené des actions pour rendre l’espace plus confortable aux piétons : suppression temporaire de sens de circulation motorisés, de places de stationnement…

 

Des aménagements simples à mettre en place et à retirer si besoin

Après ces initiatives temporaires, souvent techniques, les discussions sur la pérennisation des aménagements montrent l’importance de la lisibilité et du confort des espaces publics, des notions complexes à concrétiser sur le terrain. Ces éléments de confort relèvent de plusieurs ambitions :

Technique :

accessibilité, sécurité, mais aussi éclairage, gestion du fil d’eau… Chaque élément est important : une bonne visibilité aux passages piétons, un revêtement roulable mais pas glissant, une signalétique efficace mais pas envahissante, de l’éclairage qui aide à se repérer tout en créant une ambiance chaleureuse, etc. La bonne gestion de détails presque imperceptibles améliore grandement la facilité et la sécurité des déplacements à pied ;

Utile :

assises rapprochées et diversifiées (bancs, assis-debout, murets), végétation haute et basse, espace bien entretenu, ombrage efficace, albédo clair mais pas éblouissant… et donc une attention portée sur l’adaptation des rues aux périodes de canicule. Chaque été, les piétons désertent les trottoirs ensoleillés, les espaces recouverts d’asphalte et les bancs sans ombre ;

Epaisseur :

de la place pour cheminer vite ou déambuler lentement, ainsi que pour se reposer, s’arrêter devant une vitrine ou attendre sur un banc. Mais cette épaisseur concerne aussi les rez-de-chaussée et l’ambiance urbaine alentour. Car le piéton est moins sensible à la fluidité du déplacement qu’à l’intérêt du parcours. Des cœurs d’îlots ou des cœurs de quartiers piétons aménagés comme les « superblocks » de Barcelone sont autant de détours qui suscitent la curiosité des marcheurs ;

Ludique :

des espaces de jeu adaptés aux enfants et aux adolescents dans des squares, des ruelles ou des contre-allées. Des actions artistiques et ludiques, éphémères ou saisonnières, peuvent aussi révéler un espace délaissé, conforter une ambiance positive, tester du mobilier urbain. L’objectif est de générer des espaces animés pour que les habitants puissent en profiter, voire s’invertir dans leur transformation.

 

FAVORISER LA MARCHE : ENTRE PLANIFICATION ET MICRO-INTERVENTIONS

Avoir une stratégie pour favoriser la marche, ou un plan piéton, se concrétise via des actions d’aménagements, mais aussi de planification, d’urbanisme opérationnel, de communication, ou en lien avec le domaine du tourisme ou de la santé. Cela nécessite une véritable stratégie interservices.

Considérer la marche comme un mode de déplacement efficace passe par la mobilisation des outils de planification (plans de mobilité, Scot, PLU), de programmation (PAVE, plan piéton) et d’urbanisme opérationnel.

C’est nécessaire pour que la marche soit un véritable "connecteur intermodal" pour les déplacements longs, notamment en améliorant les accès piétons aux équipements et aux transports en commun.

Mais il s'agit aussi de rendre concrète la "ville des courtes distances" chère à Carlos Moreno. Ces outils contiennent des leviers évidents pour réduire les coupures urbaines : orientations d’aménagements et de programmation, emplacements réservés, servitudes de passage, fiches de lots permettent d’acquérir, de négocier, d’intégrer des "raccourcis piétons" à chaque opération d’urbanisme.

Les outils existent, et sont connus, mais les collectivités se heurtent encore à des difficultés multiples, souvent liées à l’absence de budget dédié à la marche, à de nombreux espaces publics à réaménager ; ou aux différences de temporalités entre planification, aménagement et évolutions des usages.

Des actions ponctuelles, qualifiées parfois d’urbanisme tactique ou d’acupuncture urbaine, constituent un bon compromis entre efficacité, temporalités, coût, et stratégie de reconquête. La ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a développé depuis plusieurs années une approche visant à améliorer une multitude de micro-espaces. La métropole de Rouen Normandie (Seine-Maritime) utilise du marquage d’animation pour rappeler la priorité des piétons en zones de rencontre. Rennes métropole (Ille-et-Vinaine) négocie et pérennise des raccourcis piétons dans des zones d’activités. Ces micro-interventions agissent sur quelques points clés pour sécuriser ou confirmer la place des piétons.

Les temporalités peuvent aussi être mises à profit pour aider les usagers au quotidien et suspendre des conflits potentiels : une barrière à ouvrir en journée pour traverser une résidence vers une école, des rues fermées à la circulation motorisée devant des écoles pendant une demi-heure seulement (mis en place dans des villes de toutes tailles : Lanester dans le Morbihan, Grenoble en Isère, Igoville dans l’Eure et bien d’autres), du mobilier déplaçable au gré des saisons, en intégrant des assises, des végétaux, de l’ombrage, voire les trois à la fois comme à Bonneville (Haute-Savoie).

Mener une véritable stratégie piétonne nécessite de combiner ces actions agiles avec des transformations complexes sur des temps longs, afin d’éviter des effets de communication et des interventions inachevées. Il s’agit ainsi de procéder par amélioration continue pour aller vers des espaces plus confortables, sécurisants et attrayants, pour tous les piétons.

Et donner plus de place aux piétons suppose de s’appuyer utilement sur l’implication des citoyens, avec des tests in situ, des budgets participatifs, ou via les commissions d’accessibilité et les associations de piétons ou de riverains. Car une bonne appropriation des espaces publics par les piétons est le premier indicateur de marchabilité d’une ville.

 

Lire le dossier complet :

Dossier "Vers une ville confortable pour les piétons" de la Revue Techni.Cité n° 337 de novembre 2020

Auteur : Cédric Boussuge, chef de projets Espace public et Piétons au Cerema

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Photo by cody lannom on Unsplash

Actualité publiée sur Cerema actualité
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