Transition énergétique : quels scénarios pour demain ?

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CLER La rédaction

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783 Dernière modification le 12/02/2021 - 10:08
Transition énergétique : quels scénarios pour demain ?

Pour Gilles Debizet, chercheur et spécialiste de la transformation de l’expertise urbaine et territoriale, associé au laboratoire PACTE (CNRS) et à l’Université de Grenoble Alpes, l’apparition de nouveaux acteurs vient questionner notre modèle énergétique, créant de nouvelles dynamiques et dessinant de nouvelles voies. Entretien.

Comment expliquer aujourd’hui un tel foisonnement d’initiatives en faveur de la  transition énergétique ?

Le changement climatique a bousculé nos repères idéologiques, avec notamment des débats récurrents sur la taxe carbone. Les mobilisations sociales contre cette taxe remettent en question les mécanismes du marché, et appellent à envisager d’autres modalités de fonctionnement. En parallèle, le numérique et les technologies des énergies renouvelables (EnR) offrent des possibilités inédites en matière de relocalisation de la production et de régulation publique. Ainsi, alors que les institutions ont été discréditées par les crises que traverse notre société, de nouvelles utopies et formes organisationnelles émergent : des modèles de planification énergétique interterritoriale, des start-up de médiation énergétique, des communautés énergétiques plus ou moins locales… Sans compter les « démonstrateurs » portés par de grandes entreprises. Aussi diverses soient-elles, ces organisations partagent l’objectif bas carbone et les principes d’ancrage territorial et de synergie entre les vecteurs énergétiques.

Quelles évolutions la transition impulse-t-elle dans les rapports entre les différents acteurs ? 

Les rapports évoluent sous la pression de nouveaux investisseurs, tels que des coopératives citoyennes et des collectivités locales, apparus suite à la libéralisation du marché de l’énergie. Des formes plus ou moins hybrides investissent dans des installations d’énergie renouvelable. Les collectivités locales s’efforcent de mettre en musique ces acteurs, mais leurs moyens et leur influence restent encore limités. La gouvernance de l’énergie se démocratise – modestement – en même temps qu’elle se territorialise.

Quels sont les écueils et les points forts de ces nouveaux modes d’appropriation ?

Les incertitudes inhérentes à ces nouvelles organisations restent fortes, notamment en matière d’aboutissement et de rentabilité des projets. En dehors des grands parcs d’EnR, les économies d’échelle sont loin de compenser des coûts de transaction élevés. Pourtant, de nombreux projets de petite ou moyenne envergure voient le jour ! L’ancrage territorial et l’emploi local agissent comme un moteur d’enrôlement et de consensus. Pour l’éolien, ils contribuent pleinement à l’acceptabilité sociale des projets et apaisent les craintes liées au paysage et à ses transformations. Une autre promesse de l’ancrage territorial repose sur l’hypothèse que la proximité de la production rendrait le consommateur plus responsable. Pour l’instant, nous n’avons pas la preuve d’un tel mécanisme.

Ces écueils peuvent-ils être dépassés ?

Pour se diffuser, les innovations doivent fournir la preuve de leur viabilité. Je suis assez optimiste. Il y aura certainement une succession de verrouillages et de déverrouillages. Il est cependant difficile de le prévoir : les économies d’échelle s’effectueront-elles au sein de chaque filière, ou dans les territoires, toutes filières confondues ? Accessible aux propriétaires occupants de maison individuelle, l’autoconsommation électrique individuelle pourrait, par exemple, se déployer, même en l’absence d’incitations gouvernementales. Cependant, elle ne saurait s’étendre sans exacerber un sentiment d’injustice pour les ménages locataires ou résidant en habitat collectif.

Qu’entendez-vous par autonomie énergétique ?

L’autonomie énergétique est la capacité politique et économique à définir son dessein énergétique et à le mettre en œuvre. Elle motive des territoires et des coopératives de citoyens qui cherchent à accroître la part des énergies auto-produites dans leur consommation. C’est aussi un objectif que les États dénomment habituellement « indépendance » ou « sécurité énergétique ». Avec des chercheurs de différentes disciplines, nous avons esquissé quatre scénarios de gouvernance énergétique selon le poids décisionnel d’un type d’acteurs. Chacune se caractérise par une échelle privilégiée de gestion de systèmes énergétiques et des modalités de coordination. En définitive, trois scénarios – collectivités locales, acteurs coopératifs et grandes entreprises délégataires de service public – pourraient se décliner dans les territoires de façon différenciée selon  le choix opéré par la collectivité locale. Ils renforcent l’autonomie énergétique locale et réduisent le besoin, et donc le coût, du réseau de transport. À l’inverse, le dernier scénario, celui d’un État prescripteur, maximise les ressources spécifiques à chaque région, et requiert le renforcement du réseau national de transport d’électricité et, par conséquent, l’accroissement de son coût. Ce scénario s’avère antagonique avec les trois premiers.

Quelle voie semble se dessiner pour demain ?

 Le modèle énergétique d’une distribution publique nationale, indifférente à la distance entre production et consommation, est encore très présent dans les esprits, beaucoup plus qu’il ne l’est dans la réalité. En effet, ce modèle ne concerne que l’électricité, soit une minorité des flux d’énergie. Devrait-il s’étendre à d’autres vecteurs ou s’éclipser ? Cette question n’a pas été tranchée. Aides à l’autoconsommation individuelle, à l’autoconsommation collective ou encore à l’injection… L’État dépense dans toutes les directions. Il lui faudra faire un choix car le financement de l’injection deviendra de plus en plus coûteux, au fur et à mesure que les EnR intermittentes se déploieront. Il est possible que le modèle d’autoconsommation individuelle puis collective soit privilégié in fine. Cela supposerait une révolution paradigmatique : imaginer un « contrat social » des énergies qui ne repose pas sur la neutralisation de la distance entre production et consommation.

Propos recueillis par Stéphanie Cayrol, rédactrice en chef.

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