Stop ou encore ? Démonstration en 5 étapes pour booster le réemploi en 5 ans

Rédigé par

Laetitia GEORGE

2499 Dernière modification le 15/11/2022 - 11:00
Stop ou encore ? Démonstration en 5 étapes pour booster le réemploi en 5 ans


Voici une démonstration en 5 étapes pour inciter sans attendre les acteurs du marché de la construction à modifier leur regard sur les matériaux de réemploi et à entrer en action. 

Les maîtres d’ouvrage (investisseurs, collectivités, promoteurs, utilisateurs, property manager, bailleurs, …) ont un réel rôle à jouer pour motiver chaque partie prenante à intégrer dans les actes de décision, et de gestion, la valorisation de toutes ces « nouvelles » ressources issues du réemploi. Au regard des ambitions fortes de réduction des gaz à effet de serre et des nouveaux signes d’épuisement de certains gisements de matériaux, le passage à l’action doit se faire dès aujourd’hui avec l’ensemble des équipes-projets regroupant architectes, ingénieurs, designers…  Nous avons une nouvelle culture à développer ensemble, avec pragmatisme. 
 


1 - Le réemploi des matériaux : une vraie option pour limiter l’impact carbone

Au regard de l’objectif de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C  d’ici la fin du siècle, le marché de l’immobilier et de la construction participe à cette course contre la montre climatique. Chaque entreprise a un rôle à jouer en amenant sa pierre à l’édifice avec des matériaux issus du réemploi. 
 


Pour limiter l’impact carbone et l’épuisement des ressources, le réemploi des matériaux est un puissant levier à activer : en effet, 60% du carbone des bâtiments provient en moyenne des matériaux, l’équivalent de 1,2 tonnes de CO2/m² sur un cycle de vie de 50 ans (Source : IFPEB). Depuis 2022, la nouvelle règlementation environnementale (RE2020) applicable aux bâtiments neufs introduit un seuil carbone à ne pas dépasser et valorise à zéro l’impact carbone des matériaux de réemploi. La loi AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire) de 2020 intègre à partir début 2023 la création de filières à Responsabilité élargie des producteurs (REP) et l’obligation d’un diagnostic Produits-équipements-matériaux-déchets (PEMD). Le diagnostic PEMD nous fera concevoir chaque unité de matière et de production comme une ressource : fenêtres, lavabos, cloisons, tuyauteries, faux-plafonds, faux-planchers, porte, équipements… 

La préservation et la gestion de la ressource en eau suivent exactement la même logique et la même urgence que celle du carbone et le réemploi participe à la limitation de sa consommation. En effet, l’eau est massivement utilisée et polluée pour l’extraction de certains matériaux et dans les chaines de production. 


2 - Le réemploi des matériaux : une expérience collaborative et systémique de marché 

Dans le secteur du bâtiment, en 2022, moins de 1% de matériaux sont réemployés sur 45 millions de tonnes de déchets produits par an en France.

Début 2020, lorsque Groupama Immobilier et A4MT  ont décortiqué, par des interviews et analyses, la place du réemploi dans le secteur du bâtiment, 5 éléments structurants en sont ressortis : 

  • Les filières et les plateformes de réemploi qui s’étaient constituées depuis 2015 étaient très fragiles, avec une faible capacité financière pour évoluer et industrialiser à elles seules le marché ;
  • Les fabricants et équipementiers n’avaient pas encore intégré la logique de reconditionnement ou de réemploi de leurs produits ;
  • L’un des nœuds de la problématique se situait davantage au niveau de la visibilité et l’anticipation de la demande des matériaux plutôt que de leur offre qui existe ;
  • Pour transformer le marché, il était donc urgent de rassembler les maîtres d’ouvrage, porteurs de la demande, car ils ont un rôle central à jouer, en tant que décideurs, dans la transformation des pratiques et ce, rapidement ;
  • La culture d’intégration des matériaux de réemploi dans tout type de projet devait impérativement évoluer auprès de tous les acteurs du secteur.,

Après 2 ans, le Booster du réemploi, orchestré par A4MT, connaît un succès significatif. Plus de 50 maîtres d’ouvrage (promoteurs, investisseurs, bailleurs, MOA publiques…) sont engagés, des industriels viennent de rejoindre l’aventure et les programmes de recherche et d’innovation fleurissent. Petit à petit, la culture de « faire ensemble autour du réemploi » prend de l’ampleur, de nouvelles projections de développement voient le jour, et de nouveaux acteurs apparaissent pour plus de circularité des matériaux et de protection des ressources : logisticiens, entreprises de construction, équipementiers… En parallèle, les critères de choix de l’utilisateur final (acquéreurs, résidents, investisseurs, occupants) commencent à évoluer.


3 - Le réemploi des matériaux : source de création de valeurs ?

Aujourd’hui, les hypothèses financières des investisseurs pour un actif immobilier sont de plus en plus en décalage avec la réalité environnementale des ressources, voire de la pénurie de certaines. Chaque ressource va devoir être réévaluée au regard de cette limitation : le réemploi pourrait intégrer les leviers de valorisation des actifs. 

En effet, les business plans des actifs immobiliers sont construits sur une durée de 10 ans (Méthode de valorisation Discounted cash flows), bâtis sur des hypothèses d’un monde aux ressources infinies, sans aucune prise en compte des évolutions climatiques dans les projections financières. En conséquence, ces modèles financiers sont bien éloignés des 50 ans requis pour les analyses de cycle de vie des bâtiments permettant de calculer l’impact environnemental réel, et notamment carbone. 

La prise en compte de la préservation des ressources et de ce temps long devra naturellement s’imposer progressivement dans les modèles économiques. Toutes les solutions permettant de réduire notre consommation de carbone sont par nature pertinentes et devront être  valorisées à moyen terme.

Aussi, si l’on appréhende un immeuble comme une banque de matériaux, la valorisation de chaque unité de matériaux ou la réversibilité de l’immeuble deviendront naturellement des relais de valorisation pour les actifs. Le programme BAMB (Buildings As Materials Banks) financé par l’UE, est une des premières initiatives à grande échelle. Le maintien, la durabilité et la valorisation des matériaux sont la clé de leur utilisation circulaire et, donc du développement du réemploi. Les modalités pour récolter cette valeur sont au centre de l’économie dite « circulaire ». Ainsi, de nouveaux modèles de valorisation et de partage de la valeur pourraient apparaître, tel que des contrats de prêt longs termes d’équipements, qui inciteraient les équipementiers au reconditionnement pour démultiplier la durée de vie, l’usage voire le partage de leurs produits.


4 – Le réemploi des matériaux : pour avancer plus vite, une double comptabilisation est nécessaire

Compter c’est mesurer. Et pour progresser et bien décider, il est indispensable de mesurer sa performance : c’est un des principes des normes telle que la norme ISO 14001 (Système de management environnemental). En comptabilité, la valeur résiduelle d’un équipement en fin de période d’amortissement est de zéro, sans que ne soit valorisée la durabilité future totale ou partielle de l’équipement et encore moins le carbone « embarqué » dans ce dernier.

Si les normes comptables internationales (Norme IFRS) sont appliquées de façon homogène dans tous les pays, ce n’est pas encore le cas pour la comptabilité environnementale qui pourrait intégrer la valeur environnementale des matériaux et équipements utilisés. La comptabilisation de l’économie circulaire et de ses impacts positifs pourrait davantage rééquilibrer la valeur des ressources tel qu’un matériau de réemploi ayant toutes les caractéristiques requises et validées par le contrôleur technique ou l’assureur, en lien avec les experts comptables et commissaires aux comptes.

De son côté, la taxonomie européenne définit une activité « durable » au travers de 6 objectifs environnementaux dont l’économie circulaire. Une fois les étapes de vérification d'éligibilité et d'alignement remplies (2022), les acteurs devront communiquer publiquement, à l’aide d’indicateurs clés de performance de leurs activités, dès 2023. Ces indicateurs s'appuieront sur les informations financières comme le chiffre d'affaires, les dépenses d'investissement (CAPEX) et d'exploitation (OPEX), sans oublier la plateforme OPERAT (plateforme de recueil et de suivi des consommations d'énergie du secteur tertiaire constitue un outil d'accompagnement des acteurs du tertiaire dans la transition énergétique). 

Si, un jour, apparaissait une « redevance environnementale » intégrant le coût de l’impact et des risques climatiques, comme « un octroi de planète », nous pourrions plus facilement accélérer la transition vers plus de circularité dans nos modes de vie au quotidien. A ce stade, quelques maîtres d’ouvrage (investisseurs et promoteurs) ont, ou envisagent, d’intégrer « une valorisation de la tonne carbone » dans leur bilans financiers internes, afin de se préparer à une nouvelle comptabilisation ou taxation environnementale.


5 - Le réemploi des matériaux : une nouvelle culture 

Stop ou encore ? 

La culture du réemploi évolue chaque jour, il y a encore beaucoup trop d’idées reçues sur les matériaux de réemploi, alors que ces ressources sont de véritables mines d’or permettant de générer de la valeur : amélioration des espaces, des prestations, création d’une dynamique et d’une motivation entrainante des équipes sur les projets, économies d’eau, de carbone et limitation de la production de déchets. Ce sont aussi la création de nouvelles filières générant des emplois, la diminution des coûts pour certains matériaux…sans oublier l’apprentissage de nouveaux réflexes vis-à-vis des nouvelles réglementations.

A titre d’exemple, la gestion de 10 000 tonnes de déchets de matériaux implique 1 ETP en mode enfouissement, 3 ETP en incinération, 31 ETP en centre de tri et 851 ETP en réemploi et en réutilisation (Source : A4MT).

Nous faisons partie du même écosystème naturel. Alors, mettons notre intelligence collective à disposition des matériaux à réemployer : si chaque participant à l’acte de construire, au premier rang desquels l’architecte et les concepteurs - garant de la synthèse et de qualité architecturale du projet - intégrait 15 à 20 % de ce qu’il proposait en matériaux de réemploi, nous pourrions vraisemblablement imaginer passer de 1% de réemploi à 10% en 5 ans sur les 45 millions de tonnes de déchets produits dans le bâtiment en France par an.

C’est donc bien une nouvelle histoire qui se dessine devant nous ; une mise en mouvement collective, seule capable de faire changer de paradigme.

Dans cette dynamique, beaucoup d’initiatives ont été lancées. C’est le cas du mouvement Unisson(s) Vers une architecture du bas carbone et du vivant, qui vise justement à fédérer les acteurs de la conception et de la maitrise d’œuvre pour inventer de concert une nouvelle esthétique intégrant le réemploi des matériaux. Mouvement architectural vers le bas carbone et le vivant, lancé à l’initiative de la maitrise d’ouvrage, seule démarche française soutenue par le projet européen New Bauhaus.
 

Un article signé Laetitia George, fondatrice de Contrast-e.


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