Solutions d’adaptation au changement climatique fondées sur la Nature en milieu urbain : quels retours d'expérience ?

1726 Dernière modification le 31/03/2022 - 10:06
Solutions d’adaptation au changement climatique fondées sur la Nature en milieu urbain : quels retours d'expérience ?

Les 15 et 16 mars s’est tenu à Lille le 1er Forum Life ARTISAN sur les Solutions d’adaptation aux changements climatiques fondées sur la Nature (SafN) en France, l’occasion pour le Cerema d’intervenir sur différents ateliers en apportant son expertise de la nature en ville sur l’adaptation aux changements climatiques en milieu urbain.

logoLancé en 2020 et prévu pour se dérouler jusqu’en 2027, le projet intégré Life ARTISAN (Accroître la Résilience des Territoires au changement climatique par l’Incitation aux Solutions d’adaptation fondées sur la Nature) est piloté par l’OFB. Le Cerema participe activement à ce programme européen, notamment sur les questions d’adaptation en milieu urbain. Le projet ARTISAN vise à accompagner et amplifier le développement de SafN sur le territoire national.

Le Cerema, par ses implantations régionales, ses liens étroits avec les collectivités et son expertise de l’intégration de la nature aux aménagements, se présente donc comme un acteur majeur du déploiement des SafN en France.

Événement clé de la diffusion du programme ARTISAN à grande échelle, le forum avait pour objectif de renforcer les liens nationaux autour des Solutions d’adaptation aux changements climatiques fondées sur la Nature, en réunissant le plus large éventail possible d'acteurs locaux, régionaux, nationaux et européens (collectivités, entreprises, associations, gestionnaires d’espaces naturels, etc.).

 

LES SAFN : CONCEPT ET INTÉGRATION AU MILIEU URBAIN

Les SafN en milieu urbain s’intègrent bien souvent dans des stratégies plus larges, qui peuvent se matérialiser dans des plans Nature en Ville, des stratégies de trames vertes et bleues ou encore des plans paysages. Les enjeux portant sur l’intégration de la nature en milieu urbain font alors appel à divers pans de la politique d’une collectivité : maîtrise foncière, gestion des espaces verts, mobilités, voirie, santé,…

Les objectifs de cette intégration peuvent aussi varier : aménagement d’ornements végétalisés, espaces récréatifs, préservation des continuités écologiques, recherche de services écosystémiques. Les SafN sont donc une composante de la nature en ville.

Les SafN témoignent d’une perception de la nature à même de «relever les enjeux de société de manière efficace et adaptative tout en assurant le bien-être humain» et cela grâce à des actions «visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer les écosystèmes naturels ou modifiés (…) en produisant des bénéfices pour la biodiversité», pour reprendre les termes de la définition donnée par l’UICN.

C’est notamment parce que le milieu urbain concentre la majorité de la population française ainsi qu’une grande partie des problématiques liées aux changements climatiques que le déploiement des SafN y est particulièrement nécessaire. Les pressions anthropiques et les contraintes urbaines étant fortes, la réintroduction de la nature s’avère souvent être un défi pour les collectivités qui s’engagent, c’est pourquoi le Cerema développe de plus en plus son expertise de la nature en ville, en promouvant par exemple une offre de service et des retours d’expériences (webinaires, publications...).

Lors de ce 1er Forum, le Cerema a animé un atelier de retour d’expériences concernant les SafN en milieu urbain. Un échange encadré par Cécile Vo-Van, directrice de projet SafN et Marylou Dufournet, responsable d'études services écosystémiques et aménagement urbain, toutes deux expertes de la nature en ville.
 

VILLE ET ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES : RÉTROSPECTIVE VERS LE FUTUR

La première partie de l’atelier a été consacrée à un moment de création d’imaginaires durant lequel les participants ont été invités à partager leur projection concernant l’avenir de la ville où ils pourraient être amenés à vivre, en se basant sur leurs expériences passées. Il leur a d’abord été proposé de se projeter dans une ville qui aurait réussi son projet de résilience ou non, puis de définir jusqu’à quel horizon temporel ils seraient capables de se représenter cette ville.

présentation
Intervention de Cécile Vo Van

Plusieurs objectifs étaient associés à cette démarche :

  • jauger le pessimisme et l’optimisme des participants qui ont pu exprimer leurs ressentis concernant l’évolution de l’adaptation aux changements climatiques en ville ;

  • évaluer la capacité de projection des personnes en leur demandant d’exprimer ces ressentis à l’horizon 2030, 2050 ou 2100 ;

  • saisir ce qui, pour eux, caractérise la résilience d’une ville ou qui au contraire constitue la manifestation d’une adaptation non réussie.

Il ressort de ces échanges un partage plutôt égal entre optimistes et pessimistes. Si d’un côté les solutions présentées lors du forum ont esquissé de nombreuses pistes d’adaptation, le manque d’application massive des solutions dans la réalité a pu d’un autre côté interroger. Concernant l’horizon temporel, aucun des participants ne s’est projeté jusqu’en 2100 et l’on retrouve une grande majorité de prospective s’établissant entre 2030 et 2050.

Dans la ville résiliente, les participants mettent en avant une végétalisation globale de la ville permettant de lutter contre les fortes chaleurs (îlot de chaleur urbain) qui sont identifiées comme la première menace pesant sur les systèmes urbains. Une participante souligne les capacités locales d’adaptation à l’horizon 2030 grâce aux programmes déjà lancés, à l’image du plan Canopée de Saint-Denis (93) mais elle pointe également les inégalités qui seront creusées avec ceux qui habiteront les territoires les moins adaptés (déjà les plus en retard actuellement).

On retrouve également une vision partagée concernant les usages dans l’espace public avec notamment des économies de fonctionnalité et des mobilités repensées (moins de voitures, plus de vélos, de piétons et de transports en commun). La ville est alors ancrée dans sa bio-région et reste en dynamique de construction pour continuer à s’adapter, elle est conviviale et vivable à l’horizon 2050.

Les moins optimistes quant à eux pointent à l’horizon 2030 un laps de temps trop court pour s’adapter réellement, les villes sont donc très chaudes avec des canicules récurrentes, des cours d’eaux asséchés même durant la saison haute. C’est alors la campagne qui est privilégiée pour vivre et la métropole pour travailler, un luxe que ne peuvent s’offrir que les plus aisés partant chercher la fraîcheur hors de la ville.

Outre les remarques portant sur la capacité à lutter contre les impacts climatiques sur la vie citadine, on note l’importance prise par la dimension sociale de l’adaptation et les potentielles inégalités entre les territoires déjà engagés et ceux qui prennent du retard aujourd’hui et en subiront les conséquences dans la prochaine décennie.

 Il s’agit d’un des enjeux principaux du projet ARTISAN qui est de démocratiser le recours aux SafN en les présentant comme des solutions de long terme à fort potentiel que les collectivités doivent dès à présent saisir.

PORTER UN PROJET D’AMÉNAGEMENT URBAIN, LE CHOIX DES SAFN

La seconde partie de l’atelier a permis un temps de retour d’expériences au cours duquel deux intervenants ont présenté la mise en œuvre d’aménagements urbains basés sur l’utilisation de SafN et pour terminer, une intervention centrée sur le projet Nature4cities

Les cours d’école à Lille

Intervention d'Emmanuel Nolevaux, DGA Education pour la ville de Lille
Intervention d'Emmanuel Nolevaux, DGA Education à la ville de Lille

Ce premier retour d’expérience est revenu sur la stratégie élaborée par la Ville de Lille pour végétaliser ses cours d’école. Ces dernières constituent des gisements fonciers particulièrement propices à la végétalisation, car souvent très bitumés (plus facile à entretenir) et donc à fort potentiel de désimperméabilisation.

La réintégration de la nature permet alors une approche pédagogique du vivant avec les enfants, le développement de nouveaux jeux souvent plus inclusifs et la réduction de l’effet d’îlot de chaleur urbain (ICU).

Pour les collectivités, organiser la végétalisation des cours d’école demande une coordination interne entre les services en charge de l’éducation, des finances, de l’entretien des espaces verts, des bâtiments, et de la biodiversité pour réaliser un état des lieux des cours d’école et assurer un entretien pérenne des nouveaux aménagements.

  

Cour d'école Turgot en 2018, avant réintégration de la nature
Cour d'école Turgot en 2018, avant réintégration de la nature

A Lille, des actions de végétalisation ont été entreprises dès 2017 mais c’est suite à une vague de chaleur en 2018 que les élus ont décidé d’inclure les cours d’école dans la lutte contre les ICU. Après une étude des cours, le projet en a ciblé 9, considérées comme totalement minéralisées, en prévoyant d’y consacrer 200 000 euros d’investissement chacune pour désimperméabiliser le tiers de la surface.

L’objectif était d’entreprendre rapidement les aménagements les plus importants (apporter la nature dans les cours d’école où elle était totalement absente). Après cette première étape, la ville a décidé d’aller plus loin en posant pour un objectif de 100 % de désimperméabilisation pour toutes les cours d’école, une ambition rendue possible par l’élaboration d’une stratégie reproductible sur chaque cours.

  

Cour d'école Turgot actuellement, après réintégration de la nature
Cour d'école Turgot, après réintégration de la nature

Cette stratégie permet aujourd’hui la végétalisation de 3 cours d’école par an, en suivant un calendrier resserré qui prévoit des phases de concertation (parents, enfants, enseignants), l’élaboration d’un cahier des charges, l’intervention d’un cabinet de paysagiste-concepteur et une mise en œuvre durant l’été.

La nature réintroduite ne se contente pas de végétation et de sols désimpermabilisés (gazon renforcé, pavé drainant, copeaux), la volonté de la ville a également été de ramener l’eau dans les cours à travers la récupération d’eau pluviale et de favoriser le retour de la faune locale (hôtel à insecte, nichoir à oiseaux, abris à hérissons).

Bien sûr, face à ces nouveaux éléments, de nouveaux usages se développent, dont certains doivent être adaptés (guides d’usages réalisés par les enfants) et encadrés par les enseignants. Eux-mêmes ayant aussi besoin d’une acculturation à cette nature. Du côté des parents, le contact des enfants avec la terre et l’herbe peut entraîner des désagréments (habits salis ou abîmés), il y a donc une discussion à avoir pour favoriser l’acceptabilité des nouvelles cours d’école, notamment en insistant sur les bienfaits qu’elles procurent (pédagogie, jeux en mouvement, gain en fraîcheur, éveil à la nature).

Le Cerema et les cours d'école :
La végétalisation des cours d’école est mise en œuvre par un nombre croissant de collectivités, dont certaines ont été accompagnées par le Cerema. A l’occasion d’un atelier de ce Forum ARTISAN, le Cerema a notamment présenté l’accompagnement sur mesure de la ville de Dunkerque dans la réalisation de cours d’école résiliente.
Cette approche par la cour d’école peut s’intégrer plus largement, au niveau de la collectivité, à une stratégie nature en ville où les SafN jouent un rôle essentiel. C’est le cas d’Angoulème, que le Cerema accompagne dans sa démarche de nature en ville (diagnostics, stratégie de désimperméabilisation, sensibilisation des habitants, évaluation des services rendus par la nature,...). Une stratégie nature en ville permet la prise en compte des problématiques locales (ICU, trames vertes et bleues, zone humide, risque inondation, espèces nuisibles, accès aux espaces verts,…) et la mise en œuvre de réponses basées sur le recours aux SafN (désimperméabilisation des sols, îlot de fraîcheur, phytoremédiation de la végétation, petit cycle de l’eau, …).

Mise en œuvre du concept global de forêt urbaine

Intervention de Laurent Bray, Directeur Espaces verts, environnement et biodiversité à la ville de Limoges
Intervention de Laurent Bray, Directeur Espaces verts à la ville de Limoges

La ville de Limoges a misé sur la forêt urbaine comme solution contre les impacts de l’évolution du climat, à travers une refonte de ses espaces verts.

Pour cela, la ville mène des actions en faveur de son patrimoine arboré public et privé. Cela passe par exemple par le recensement des arbres remarquables afin de les inscrire au PLU et qu’ils puissent bénéficier d’une protection renforcée.

Ce travail est autant à mener pour les arbres sur le domaine public de la ville que pour ceux situés hors de ce périmètre, il y a donc un important effort de discussion avec les acteurs privés à entretenir (une large partie des îlots de chaleur urbains sont situés en zone industrielle).

Ces acteurs privés peuvent être des propriétaires individuels, de la fonction hospitalière, des syndicats de copropriété, qui peuvent être sensibilisés au moment de leur demande d’urbanisme qui est l’occasion de leur fournir des guides les conseillant sur la végétalisation et les espèces à éviter notamment. L’implication du secteur privé est primordial pour réussir le projet de forêt urbaine. En effet, à Limoges, plus de 60 % de la surface des espaces verts aménagés relèvent de ce secteur privé, il s’agit donc de ne pas les laisser de côté.

La ville programme également de planter un arbre dès que la possibilité se présente dans un projet d’aménagement de voirie. Une stratégie opportuniste qui permet d’essaimer le concept de forêt urbaine dans les autres projets d’aménagement. Elle incite aussi à travers son PLU au plantage d’arbres qui soient visibles depuis la voie publique afin de favoriser la perception du vert dans la ville.

Le jardin d’Orsay, réhabilité depuis 2018, réunit plus de 40 essences différentes, choisies car adaptées au climat et à son évolution : une diversification qui permet d’augmenter la résilience de la forêt (aux maladies et en prenant en compte l’ « espérance de vie » d’arbres de la même espèce plantés au même moment). Le jardin d’Orsay contient également des végétaux d’ornements à valeur esthétique et un jardin partagé, il regroupe donc diverses fonctionnalités de la nature en ville au sein d’un même projet, l’occasion de mêler les SafN à un paysage emblématique du centre-ville limougeaud.

A nouveau, il s’agit de projets nécessitant une bonne organisation en interne, à Limoges la présence d’un élu délégué aux espaces verts et à l’urbanisme a permis une avancée rapide des dossiers et une bonne cohésion entre les directions concernées par ces aménagements. Cette concertation doit permettre d’éviter les conflits entre usages de la voie publique, avec les mobilités douces par exemple, ce sont donc en priorité les voies automobiles qui sont grignotées au profit de nouveaux espaces végétalisés.

Diversité des espaces de nature à Limoges
Diversité des espaces de nature à Limoges

L’eau est ici aussi partie intégrante du projet de forêt urbaine, surtout les 4 premières années après la plantation de l’arbre quand sa demande en eau est au plus fort. Il est donc nécessaire d’anticiper ces nouveaux besoins en développant des réseaux de stockage d’eau à proximité des plantations mais également en obtenant des dérogations, quand cela est nécessaire, aux arrêtés de sécheresse, pour ne pas compromettre les jeunes arbres.

Quelques éléments de satisfactions apparaissent, les acteurs de la forêt urbaine de Limoges ont observé le retour d’espèces rares en ville. Elle a été la première collectivité labellisée « Végétal local » et vise dorénavant le label international « Arbnet ». Une collaboration accrue est réalisée avec la métropole et les bonnes relations avec le secteur privé permettent au projet de forêt urbaine d’évoluer.

 

 

BILAN DE L'ATELIER

Les SafN s’inscrivent dans un biotope évolutif, soumis aux changements climatiques et dont les impacts se font fortement ressentir en milieu urbain. Pour favoriser la démocratisation de projets d’aménagements intégrant les SafN, il est primordial de créer un espace favorisant les retours d’expériences honnêtes, et ne pas passer sous silence les échecs et les tâtonnements, inhérents à chaque démarche innovante.

Prenons par exemple le cas des chênes verts de Limoges, alors qu’ils étaient adaptés au climat local, la ville a rapidement constaté leur dépérissement. En cause : la faible ouverture de leurs stromatolites, soumisent à un important effet de réflexion de la lumière de la part des surfaces réfléchissante de la ville (routes notamment), a conduit à une surexposition des arbres, entraînant leur mort prématurée.

Cela permet de mettre en lumière le fait qu’il n’existe pas une solution unique mais bien une diversité d’outils à mobiliser en lien avec le contexte urbain et les besoins locaux. Les SafN doivent être mise en œuvre dès à présent pour des bénéfices qui peuvent n’apparaître que quelques années plus tard selon les aménagements (pousse des arbres, retour de la faune,..). Dans le même temps, la présence de la nature en ville participe immédiatement au bien-être citadin et permet souvent d’alléger les contraintes techniques et budgétaires qui pèsent sur les collectivités (réseau d’assainissement, arrosage, entretien phytosanitaire,…).

 

Pour aller plus loin et déployer les SafN dans le milieu urbain, le Cerema animera un groupe de travail dédié dans le cadre du projet ARTISAN durant les 6 prochaines années. Le Cerema vous propose également des pistes de reflexion quant aux questions entourant la thématique de la nature en ville en s’intéressant aux perceptions de la nature de la part des citadins et aménageurs, ainsi qu’à l’intégration de différents types de nature au sein de projet d’aménagement. Toutes ces informations disponibles sur la page Nature en ville : quelles perceptions pour quelles actions ?


Article publié sur le site du Cerema

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