Sobriété immobilière ou comment intensifier les usages de notre parc bâti et de nos aménagements urbains

Rédigé par

Solène MARRY

Docteur en Urbanisme

5888 Dernière modification le 23/05/2023 - 00:00
Sobriété immobilière ou comment intensifier les usages de notre parc bâti et de nos aménagements urbains

Le bâtiment et l’immobilier recèlent un potentiel important pour une sobriété structurelle, immobilière et foncière. En effet, optimiser l’occupation du parc, et plus généralement de l’espace urbain, est un levier de transition écologique. Pourquoi s’intéresser à la sobriété immobilière et foncière ? Quels sont les pionniers qui d’ores et déjà explorent cette voie ? Quels sont les outils pour agir ? 

Utiliser mieux le déjà-là

La sous-occupation chronique du parc bâti

La première piste de sobriété pour le bâtiment est d’utiliser mieux le déjà-là. L’histoire du bâtiment est faite d’ajustements et de décalages entre cadre bâti et évolutions sociales (démographiques, géographiques...). Ces dernières décennies, les décalages se sont creusés, rendant très actuelle la question du taux d’occupation des bâtiments et de sa contribution potentielle à la transition écologique. 

En témoignent l’augmentation du taux de vacance des logements, qui atteignait 8 % (3 millions de logements) en 2017, mais également leur sous-occupation. En effet, si la question du surpeuplement des logements occupe à juste titre une place particulière dans le débat public (8 % des résidences principales sont sur-occupées), celle-ci ne doit pas occulter un phénomène concomitant de sous-occupation. Selon l’INSEE, en 2017, 70 % des résidences principales étaient sous-occupées, c’est à dire qu’elles comportaient un nombre de pièces plus important que le nombre de personnes dans le ménage. Le phénomène est en grande partie dû à la baisse du nombre de personnes par ménage (passé de 3,1 en 1962 à 2,2 en 2017). Les familles ont changé, pas les logements. Il est loin d’être anodin sur le plan environnemental : sur les trente dernières années, dans le secteur résidentiel, les gains en émissions de gaz à effet de serre liés à la rénovation et à l’arrivée dans le parc de logements neufs plus efficaces (en phase d’usage) ont été absorbés par l’augmentation de la surface par personne, passée de 23 m² à 40 m² (DATALAB, 2019). 

A l’avenir, ces décalages sont appelés à s’intensifier (vieillissement de la population, télétravail…). Aussi, l’idée selon laquelle il est possible de répondre aux besoins en faisant croître prioritairement l’utilisation du parc plutôt que sa taille se développe. Elle forme la base d’une sobriété immobilière, qui se doit d’être solidaire, c’est-à-dire où chacun pourrait se loger dans un bâti mieux occupé.

Adapter les solutions au contexte local 

Comment mieux utiliser le parc ? Les initiatives pionnières montrent neuf types de solutions, classées en trois grandes familles, dont la pertinence dépend du contexte (territorial, économique, social…). Par exemple, le déménagement est plus pertinent à certains moments du cycle de vie des ménages. Certaines solutions (mobilisation du parc vacant…) s’adaptent mieux à des marchés immobiliers peu tendus, tandis que d’autres (construire réversible, mutualiser les espaces) seront plus pertinentes en zone tendue.

Pour mieux visualiser les statistiques de la vacance sur leur territoire, les acteurs peuvent consulter l’outil de datavisualisation Pas de vacances pour la vacance. 

Agir à l’échelle de la ville : rééquilibrer l’espace public en faveur de nouveaux usages

Au-delà de l’échelle du bâtiment, cette stratégie du déjà-là peut également s’appliquer à l’échelle plus large des projets urbains. Récemment, la crise sanitaire a généralisé une prise de conscience sur les enjeux d’amélioration des espaces publics (distanciation physique, développement des modes actifs, végétalisation, lutte contre les ilots de chaleur, bien être, etc.). Les collectivités ont dû très rapidement adapter leurs espaces publics et proposer des stratégies d’aménagements urbains plus agiles. 

De nombreux territoires ont alors mis en place une forme d’alternative à la complexité des procédures d’aménagement « traditionnel » pour transformer les fonctions et les usages des espace publics. Cet urbanisme expérimental se positionne comme un antidote à la planification urbaine traditionnelle et à l’urbanisme automobile qui ont façonné les villes depuis plus d’un demi-siècle. Il cherche à rééquilibrer l’espace public en faveur de nouveaux usages et à grignoter des mètres carrés à la ville fonctionnelle au profit de la nature, la vie sociale et le bien-être des citadins !

Un exemple de ce nouvel urbanisme est le réaménagement du centre-ville du Pré Saint-Gervais. L’approche y a été adoptée pour compenser la perte d’aménité liée à des travaux sur des bâtiments publics. Cette culture de l’aménagement temporaire acquise petit à petit a permis d’aller plus loin et est aujourd’hui mise au service du projet de requalification du centre-ville. L’objectif de la ville reste de rendre le cœur de la commune plus attractif pour la population, de développer les déplacements à pied et de limiter l’usage de la voiture.

Concevoir pour intensifier les usages

Utiliser le déjà-là est donc un incontournable de la transition. Dans le futur, cependant, construire restera une option pour des besoins auxquels il n’est pas possible de répondre dans l’existant. La conception jouera alors un rôle clé pour permettre la construction de bâtiments capables d’accueillir une mixité d’usages sur le court comme le long terme. 

Un principe : innover à partir des usages

Qu’entend-on par usage en aménagement ? La manière d’utiliser, les pratiques, les modes de vie, l’appropriation au sein d’un projet. Partir des usages permet de s’interroger en amont sur les fonctions (se déplacer, se divertir, s’alimenter, travailler…) et en aval sur le service à apporter selon les usages pour définir la solution à mettre en œuvre la plus efficace et pertinente. L’objectif est ainsi de donner la priorité aux utilisateurs et à leurs pratiques sans présager d’une solution qui passerait par l’acte de construire !

Prenons l’exemple de l’instauration d’un droit d’usage de places de parking. Partagées entre commerces, bureaux et logements, elles permettent d’assurer une disponibilité permanente pour les usagers tout en réduisant leur nombre grâce à une bonne gestion de la temporalité. 

Partir des besoins est particulièrement efficient d’un point de vue économique et environnemental (réduction de la production matérielle, diminution de l’utilisation des ressources, foncier compris). C’est une approche qui permet de remettre en cause l’ordre méthodologique classique (Conception, Réalisation, Appropriation). Commencer par l’appropriation peut être un moyen de revoir la conception !

Pour aider les aménageurs à mettre en place cette stratégie, l’ADEME met à leur disposition des « grilles de questionnement sur les usages d’un projet d’aménagement » réalisées en collaboration avec Inddigo. Elles permettent de réfléchir sur les usages selon trois grandes orientations : 

  • Mixer les fonctions (hybridation des espaces - plusieurs usages dans un même lieu -, chronotopie) ;
  • Mettre en synergies les usages (mutualisation des services - ex : maison de services - ou des équipements) ;
  • S’adapter aux changements d’usage (usages éphémères, modularité...). 

La chronotopie

La chronotopie, née dans les années 1970, repose sur l’analyse des rythmes urbains et des interactions temps-espaces. Il s’agit d’observer la vie d’un lieu sur 24 heures, en distinguant le jour de la nuit, les jours de la semaine et les saisons, pour faciliter sa mutation et ses éventuels réemplois. 

Un exemple est le projet Stream Building, sur la ZAC Clichy-Batignolles à Paris. Il s’est élaboré à partir d’un « diagnostic territoire » regroupant aménageurs, entreprises, startups, et associations d’habitants afin d’identifier les besoins en ressources du quartier. Cela a permis de définir les besoins multi-programmatiques du projet. Le résultat est un immeuble en R+8 qui met en place une hybridation des usages et une mixité programmatique. Il propose 25 % de services ouverts au public, 25 % d’offre résidentielle, 50 % d’espaces de travail, et la création d’un tiers-lieu mixte, hybride et déspécialisé. Les différents éléments du programme sont des bureaux et espaces de coworking, hôtel, commerces, restaurants, potagers en toiture et stationnement.

Construire réversible

Construire réversible permet la flexibilité nécessaire pour faciliter les changements d’affectation. Anticiper les besoins futurs passe par des principes liés aux caractéristiques dimensionnelles d’un bâtiment (par exemple, une hauteur libre des étages et une trame de façade qui concilient les contraintes des logements et des bureaux). 

L’évolution des usages peut être anticipée en fixant des objectifs de réversibilité, en proposant des aménagements alternatifs avec des « plans de réversibilité », en décrivant les séquençages, les outils et les compétences nécessaires. L’anticipation d’un changement de destination doit prendre en compte les réglementations, normes d’usage et besoins techniques différents selon la destination de l’ouvrage. L’enjeu est d’assurer la mise à niveau ultérieure (acoustique, sécurité incendie, accessibilité, structure, etc.). 

Le projet Black Swans situé sur le site de la presqu’île André Malraux à Strasbourg ou la Life Cycle Tower de Dorbirn en Autriche sont des projets conçus autour de la réversibilité d’usages. Trame unique pour des destinations diverses (bureaux, logements), espaces à usages indéterminés, démontabilité anticipée, banque de matériaux de demain, optimisation des coûts. 

 

Un article co-rédigé par Albane Gaspard, Jean-Christophe Visier, Solène Marry, Christelle Bortolini, David Canal, ADEME

 

Ressources : 

ADEME, La plateforme des expérimentations urbaines
ADEME (2022), Circularité – Réversibilité. Bonnes pratiques et pistes d’actions pour réduire l’impact environnemental du bâtiment
ADEME (2022), L'expérience de l'aménagement temporaire d'espaces publics - Etudes de cas et analyse multicritère, retours d’expérience et clés pour agir 
CHARRIER, T., PDVPLV Outil « Pas de vacances pour la vacance », 2022/2023
Plan Bâtiment Durable (2022), Vers une sobriété immobilière et solidaire
INDIGGO (Frédérique METIVIER LOPEZ) /ADEME : « La grille de questionnement sur les usages d’un projet d’aménagement », 2022
MARRY, S. (sous la direction de) (2022), Intégrer l'économie circulaire : vers des bâtiments réversibles, démontables et réutilisables », Editions Parenthèses/ ADEME  

 


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