Renaturation : « Il faut repenser l’équilibre entre nos besoins réels et ce que l’on peut laisser au sauvage »

Rédigé par

Leonard / Matthieu Lerondeau

Head of Communications & Communities, Leonard

827 Dernière modification le 10/03/2023 - 11:21
Renaturation : « Il faut repenser l’équilibre entre nos besoins réels et ce que l’on peut laisser au sauvage »

Face à la crise de la biodiversité, le réensauvagement fait son chemin aux côtés de stratégies plus interventionnistes pour rendre à la nature l’ensemble de ses éléments constitutifs et de ses fonctionnalités.

L’idée de réensauvagement est sur le devant de la scène. Récemment, l’ONG Wildcard faisait pression sur la famille royale anglaise pour qu’elle rende à la nature son vaste patrimoine foncier. L’association Rewilding Europe a reçu près de 5M€ de financement pour mener à bien le même type d’actions. D’autres – comme Guillaume Porcheron, auteur de Réensauvager les territoires – invitent à faire entrer les espaces de nature sauvage dans le code de l’urbanisme pour faciliter leur prise en compte dans les politiques d’aménagement. Pour y voir plus clair sur une notion parfois utilisée à tort et à travers, nous avons interrogé Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet. Naturalistes, professeurs agrégés de Science de la Vie et de la Terre et experts au Conseil scientifique du patrimoine naturel régional, ils comptent parmi les experts les plus reconnus sur le sujet. Il sont également les auteurs de Ré-ensauvageons la France (Actes Sud, 2018) et L’Europe réensauvagée (Actes Sud, 2020). Ils reviennent pour Leonard sur les grands enjeux liés aux espaces et aux politiques de libre évolution naturelle.

Quelle est la définition du réensauvagement ?

BKC. On met un peu tout et n’importe quoi derrière le terme. Mais la définition la plus large explique que réensauvager consiste à protéger un endroit pour lui rendre l’ensemble de ses éléments constitutifs et de ses fonctionnalités. Cela passe par exemple par le retour des espèces animales historiques, en reconstituant les chaînes alimentaires, des herbivores aux grands prédateurs, en passant par les nécrophages (ndlr, les animaux qui mangent les cadavres, un service écosystémique essentiel)… L’objectif n’est pas de réensauvager toute la surface d’un pays, mais de réfléchir à l’équilibre entre nos besoins réels et ce que l’on peut laisser au sauvage, sachant que ce sauvage nous rend des services écosystémiques gratuitement. En adaptant nos aménagements et en laissant ponctuellement des espaces au sauvage, on crée aussi des corridors entre les grands espaces sanctuarisés. C’est essentiel car s’il n’y a pas de circulation des espèces d’un sanctuaire à l’autre, cela ne permet pas aux écosystèmes de se reconstituer, à cause de la consanguinité qui risque de s’y établir. C’est ce qui s’est passé avec le lynx lors de sa réintroduction en Italie.

Où en est le réensauvagement des milieux naturels aujourd’hui ?

GC. En ce qui concerne les cours d’eau ou les forêts, nous avons assisté à des restaurations encore inimaginables il y a quelques décennies. C’est le cas avec l’effacement de grands barrages comme ceux de Maison-Rouge ou de l’Allier, qui permettent la circulation des animaux migrateurs et des sédiments. En ce qui concerne les forêts elles-mêmes, des réserves biologiques intégrales ont été créées, ce qui a permis de démontrer qu’une forêt se porte très bien toute seule. La protection des espèces a également fait des progrès depuis la loi de 76. Les espèces protégées se sont développées dans toute l’Europe, et certaines comme le pygargue, la grande aigrette ou le vautour sont revenues en France grâce à la protection dont elles ont bénéficié dans d’autres pays.

BKC. Sur un versant plus négatif, deux domaines affichent aujourd’hui un bilan catastrophique : le monde agricole et la pêche en mer. Les rapports sortis récemment concernant la chute du nombre d’insectes montrent par exemple que l’utilisation de pesticides a un impact bien au-delà des espaces agricoles à proprement parler.

A-t-on dépassé un point de non-retour dans ces domaines ?

GC. En Europe, il reste moins de 1% de la totalité des espèces de poissons. Ce qui est grave, c’est que nous avons oublié la richesse des milieux naturels. Lorsqu’on plonge dans la réserve naturelle de Port-Cros par exemple, on a le sentiment d’une abondance extraordinaire, alors que c’est la normalité. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il n’y ait plus rien à côté des espaces protégés.

BKC. Il existe une amnésie écologique. Nos références sont celles que nous avons connues de notre vivant. Aujourd’hui, on considère que l’eau est potable lorsque le taux de nitrates est inférieur à 50mg par litre. Il y a quelques décennies, le seuil était à 5mg. Quand vous parlez à de jeunes professionnels, ils vous disent que c’est un taux impossible à atteindre de nouveau… L’exemple de l’esturgeon est emblématique. Plus personne ne sait que les fleuves français étaient remplis d’esturgeons il y a moins d’un siècle. Tout le monde a oublié le caviar made in France. Nous avons oublié l’abondance et nous arrivons à nous satisfaire de milieux très pauvres.

Pourquoi la sanctuarisation est-elle une solution ?

BKC. Deux idées doivent être battues en brèche. Il faut d’abord expliquer que les espaces laissés en libre évolution ne se transforment pas nécessairement en forêts denses et impénétrables comme on l’entend parfois. Ensuite, la sanctuarisation ne détruit pas l’économie. Le directeur du Parc National Suisse nous expliquait récemment que le parc rapporte chaque année 20M€ aux quatre communes propriétaires du foncier grâce à un écotourisme bien géré.

Peut-on réensauvager la ville ?

BKC. Le terme est à la mode et on en parle beaucoup dans les milieux urbains. Je n’irais pas jusque-là. Reconstituer la totalité d’un écosystème sauvage dans une zone anthropisée n’est pas toujours possible, pour des questions de cohabitation ou même de sécurité. Par contre, il y a une renaturation possible, on peut desartificialiser des zones qui ont été totalement bétonnées, goudronnées ou stérilisées par la monoculture. Renaturer les villes est extrêmement bénéfique. La forêt – par exemple – impose son climat. Les arbres puisent l’eau par leurs racines, et génèrent une évapotranspiration au niveau des feuilles. Par leurs frondaisons, ils empêchent les rayons du soleil d’atteindre une partie du sol en permanence et maintiennent l’humidité. Ce maintien d’humidité est renforcé par la présence de végétaux en décomposition qui forment l’humus, dont le pouvoir de rétention d’eau est très fort. Vous obtenez le maintien d’une humidité et de températures à peu près constantes. Remettre des forêts dans les villes, c’est une manière de les re-tempérer.

Avez-vous des exemples emblématiques ?

BKC. Dans un milieu anthropisé, nous avons beaucoup travaillé avec l’entreprise Pocheco. Après un incendie de leur usine, ils ont décidé de la reconstruire sur une surface au sol plus petite, tout en renaturant les espaces alentour. Ils ont mis à profit la technique de l’agromine pour dépolluer les sols, en plantant des végétaux qui sont naturellement accumulateurs de métaux lourds. Ils ont ensuite aménagé certains sols pour installer de la permaculture bio et une petite partie a été reconstituée en zone humide. La végétalisation des murs et des toitures a permis d’améliorer l’isolation. Les eaux de pluie sont récupérées pour les besoins en eau non potable…

GC. Je pense également au barrage de Maison Rouge déjà évoqué précédemment, à la confluence de la Creuse et de la Vienne, qui a été supprimé en 1998. Nous avons pu constater un retour extraordinaire des lamproies marines, des saumons ou de la loutre. Par ailleurs, cela a permis de créer une langue de sable qui avance à une vitesse de 3km par an et va finir par nourrir les plages de l’Atlantique.

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