"Réduire les émissions de 40 % d’ici 2030 dans l’hôpital n’est pas facile"

Rédigé par

Stéphanie Obadia

Directrice de la rédaction

1343 Dernière modification le 01/06/2023 - 09:49


Les journées d’études et de formation des Ingénieurs hospitaliers de France (IHF) sont, cette année, nationales et européennes. Elles se tiendront du 14 au 16 juin 2023 au Palais des Congrès à Paris. L’occasion de revenir avec Bruno Cazabat, président de l’association des Ingénieurs hospitaliers de France (publics et privés), sur les enjeux des hôpitaux en matière de décarbonation et de sobriété énergétique. 

Quels sont les enjeux des hôpitaux face aux objectifs de neutralité carbone d’ici 2050 ?

La réduction de consommation et d’émission de carbone sont des enjeux partagés partout dans le monde. Dans cette ambition du Net Zéro Carbone en 2050, les logiques sont les mêmes, que ce soit en Europe, en Amérique, au Moyen-Orient ou en Asie. Avec un objectif intermédiaire de -40 % d’ici 2030 pour la France, le Canada ou -50 % pour les États-Unis. C’est aussi une obligation réglementaire en France avec la loi Elan et le décret Tertiaire ; une prise de conscience collective avec des objectifs ambitieux. 

Difficile à atteindre, les -40 % d’ici 2030, dans l’hospitalier ?

Oui, pas facile ! Car nous n’avons pas attendu la règlementation pour nous positionner sur une logique de réduction des consommations. Comme l'illustrent nos politiques globales de réduction depuis 30 ans, nous ne sommes pas restés inactifs. La marge de progression est en outre plus difficile, d’autant que l’hôpital doit assurer un minimum de confort aux patients. La notion de « chauffer moins pour consommer moins » atteint rapidement ses limites dans le secteur hospitalier. 

Comment faire ?

Quatre niveaux d’action sont possibles. Le premier concerne les éco-gestes. Certes, ce n’est pas de l’ingénierie mais plutôt des changements de pratiques et de comportements. Et les résultats observés sont pertinents grâce à l’engagement de tous. Le deuxième niveau est celui du réglage, du comptage et de la supervision : il s’agit de travailler sur les courbes de chauffe, les consignes de températures, la régulation et l’amélioration de la distribution des réseaux de chaleur et d’air. La GTB ainsi que les premières IA sont pertinentes. Les gains sont variables et diffèrent en fonction des installations et de leur vétusté. On ne fera pas le même gain énergétique si l’établissement dispose d’une vieille chaudière fioul ou d’un système de cogénération récent ! 

Le niveau trois demande des investissements plus importants. Il s’agit de se fixer des objectifs d’économie d’énergie dans un délai court de deux à cinq ans avec des opérations d’investissement ciblées. Cela peut être le raccordement à un réseau de chauffage et de refroidissement urbain, l’installation de panneaux solaires, une ITE, des panneaux solaires… des investissements dont les ROI sont bien raccourcis par la forte hausse du coût de l’énergie ! L’utilisation de procédures avec des tiers investisseurs peut accélérer les processus. Enfin, le quatrième et dernier niveau s’applique à l’hôpital du futur : un bâtiment avec zéro consommation d’énergie, voire à énergie positive, bioclimatique, connecté et accessible via une mobilité douce… Bref, un établissement conçu dès la programmation pour être confortable, fonctionnel et économe en énergie. 

Quid de cet hôpital du futur ?

Difficile d’y répondre en une phrase... d’autant que l’hôpital du futur est l’objet de réflexions profondes. Faut-il construire des hôpitaux neufs ou les rénover ? Démolir ou réhabiliter ? Souhaitons-nous des hôpitaux en périphérie ou en ville ? Comment s’y rendre ? Le débat est ouvert et l'hôpital du futur, à construire. Celui-ci doit être évolutif et flexible afin d’anticiper les grandes évolutions (plateaux techniques, salles hybrides, imagerie médicale, séparation des flux…). Il doit être conçu avec des systèmes constructifs ouverts (cloisons, redistribution des fluides…). Ces bâtiments et installations techniques doivent s’adapter et anticiper les évolutions médicales, les nouveaux équipements et la transformation numérique : l’hôpital de demain doit en effet être numérique, chaleureux, bienveillant, efficace, et doit permettre aux patients de se sentir bien, de les guider dans leurs parcours, assurer la conformité des soins et la sécurité à tous les points de vue. Il est également un lieu de travail où la qualité de vie est améliorée pour les personnels soignants et les fonctions support. 

Quel programme pour les journées IHF ?

En 2023, les journées IHF sont nationales et européennes. L’Italie, l’Espagne, la Belgique et bien d’autres pays seront à l’honneur. L’occasion de faire un état d’avancement des innovations, constructions, réhabilitations des hôpitaux et établissements hospitaliers mais également de montrer l’exemple et d’éclairer les ingénieurs. In fine, les thématiques sous-jacentes sont en Europe partout les mêmes : de l’ingénierie de fonctionnement, du management, de l’architecture hospitalière, du numérique, de la gestion des énergies, du développement durable...  
Le programme porte ainsi 30 interventions au total avec des approches différentes et des interrogations. D’autant que les besoins évoluent très rapidement : la Covid a chamboulé les approches dans les établissements hospitaliers, entraînant notamment une modification des flux et des parcours, et un traitement de l’air dans les unités infectieuses adapté. Parmi les autres évolutions : le BIM, avec une application en exploitation maintenance efficace via des viewers en mobilité, ou encore les nouvelles technologies en matière du traitement et de récupération de la chaleur fatale. Citons encore les contrats globaux de performance énergétique qui se font en Espagne, en Allemagne et en France. Bref, les sujets convergent et servent d’exemples. 

Quelques-uns de ces exemples phares ?

Citons notamment la tour 7 du CHU de Liège, une pièce maîtresse d’une réflexion stratégique accompagnée d’une large recherche environnementale, avec au final quelques remises en question. L’hôpital universitaire Saint-Ouen Grand Paris-Nord est également un grand projet avec une conception de forêt urbaine particulière et de végétalisation participant au soins. Notons enfin celui de Lyon en termes de gestion patrimoniale des monuments historiques et de possibilité d’une deuxième vie.
En Europe, bien d'autres exemples illustrent les préoccupations en matière de gestion des énergies et d'approche énergétique, à l'instar de la diversité des solutions déployées par l'hôpital de Tielt, en Belgique, à la soif d’énergie croissante. Livré il y 10 ans, l’hôpital d’Amiens a pour sa part complètement repensé son contrat de performance et installé des thermofrigopompes. Nous pourrions également parler de la conception acoustique et modulaire d’un bloc opératoire exemplaire en Suède, ou du système de stockage de rafraîchissement avec de la glace produite la nuit, par un service cardio à Lyon. L’IGH à Grenoble est également intéressant : plutôt que d’être démoli, il a été réhabilité avec une belle réponse énergétique. Il est aussi question de construction bois, de la raréfaction des ressources. La restructuration des Ehpad en Finlande, en Irak et en France sont un vrai sujet, l'objectif étant d'en améliorer l’accueil et d'en faire des lieux où il fait bon vivre. 

Pouvez-vous nous parler des dispositifs d’aides et de conseils, des outils pour les coûts ? 

Les conseillers en transition écologique et énergétique en santé (CTEES) ont été mis en place il y a un an par l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) à la demande de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) et des Agences régionales de santé (ARS). Aujourd’hui, plus de 100 ingénieurs conseillers techniques viennent en appui des établissements hospitaliers, notamment les plus petites structures, pour déployer des stratégies énergétiques intelligentes. 
Côté coût, l’outil OSCIMES®, issu d’un travail mené de longue date par la commission Ingénierie et Architecture (CIA) de la Conférence des DG de CHU et l’ANAP, a été ouvert en ligne aux professionnels. Cet outil permet d’identifier les coûts et d'estimer des projets proches du marché. Cet observatoire des coûts de la santé rassemble les données de 3 millions de m2 d’hôpitaux. 

 

Interview réalisée par Stéphanie Obadia 
 

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