#28 - RE2020 & acoustique : perspectives

Rédigé par

Jean Paul van Cuyck

Diriegeant - acousticien

6157 Dernière modification le 01/07/2022 - 12:00
#28 - RE2020 & acoustique : perspectives

La RE2020 a pour but de :
- Poursuivre l’amélioration de la performance énergétique et la baisse des consommations des bâtiments neufs en renforçant les exigences de la RT2012 quel que soit le mode de chauffage. 
- Diminuer l’impact sur le climat des bâtiments neufs en prenant en compte l’ensemble des émissions du bâtiment par une analyse en cycle de vie, de la construction, l’exploitation, à sa fin de vie.
- Permettre aux occupants de vivre dans un lieu de vie et de travail adapté aux conditions climatiques futures en poursuivant l’objectif de confort en été. Les bâtiments devront mieux résister aux épisodes de canicule, qui seront plus fréquents et intenses du fait du changement climatique.

La grande évolution de la RE2020 est donc de fixer des objectifs d’impact carbone. L’évaluation de cet impact intègre le type d’énergie et la consommation, mais également le type de matériaux, biosourcés, recyclés ou réemployés

L’étanchéité des bâtiments, ainsi que la pondération favorable au tout électrique induit une orientation forte vers l’usage des pompes à chaleurs et les centrales de traitement de l’air.

Nous proposons dans ce document d’aborder les contraintes et impacts acoustiques nouveaux que représente cette nouvelle réglementation et les labels associés qui suivront.
 

Matériaux Biosourcés  recyclés et réemployés – le manque d’information est un frein

La décarbonisation induit l’usage de matériaux biosourcés, recyclés  ou réemployés afin de réduire l’impact carbone des constructions. Cet impact Carbone est basé sur les fiches FEDES des matériaux, quand elles existent. On voit réapparaître l’usage de matériaux que l’on peut qualifier de traditionnels, basé sur des usages anciens tels que les bétons de terre, les bétons de chanvre, les enduits chanvres chaux, les constructions bois, mais avec une actualisation des performances aux règles de constructions modernes.

Contrairement aux matériaux fortement industrialisés, ces matériaux peuvent être encore d’un usage confidentiel. Les faibles volumes induisent un déficit de caractérisation physico chimique de ces matériaux, d’avis techniques, de certifications, d’information technique standardisées ... tous ces éléments ayant un coût important, mais nécessaire.

Ce déficit d’informations certifiées représente un frein à l’usage de ces matériaux, notamment dans les projets de bâtiments recevant du public (ERP).

Les actions collectives de la filière bois associée aux organismes nationaux et aux groupes de travaux professionnels sont un exemple à suivre en termes de recherche et de retour d’expériences collectives sur ces procédés constructifs. Les premiers résultats des essais acoustiques dans le bâtiment « maquette » ADIVBOIS en sont un bon exemple.

Pour l’acousticien, ce manque d’information standardisée, nécessite d’appréhender les matériaux soit par association, soit par des mesures in situ. Mais cette démarche laisse un risque important, d’autant plus important qu’aujourd’hui l’acoustique est une des quelques disciplines induisant une garantie de résultat. Elle permet également de justifier les compétences de l’acousticien qui ne peut se contenter d’exemples de solutions acoustiques mais doit pouvoir justifier ces prescriptions.

Concernant les matériaux recyclés, la problématique est variable selon le type. En effet, les matériaux industrialisés tels que le béton vert ou les plaques de plâtre ou la laine de verre bénéficient en général de documentation et procès-verbaux de performance.

En revanche le réemploi de matériaux, peut présenter le même déficit d’information standardisé que les matériaux biosourcé, avec en sus le déficit de traçabilité.

La généralisation de l’utilisation des matériaux biosourcés réduira les incertitudes liées à ce manque d’informations, mais il faudra encore beaucoup de temps. En effet, un des premiers matériaux biosourcés utilisé est le bois. Les recherches sur l’acoustique des bâtiments à structures bois sont encore en cours, et les difficultés dans la conception de ces types de bâtiments sont encore très grandes, notamment dans la gestion des basses fréquences.
 

La construction en bois et autres structures « légères » nécessite la prise en compte des basses fréquences dans la réglementation

Depuis environ 15 ans, le marché de la construction bois est en plein essor et le renforcement des exigences prévu dans la RE2020 va accentuer cette tendance.

Cette accélération de la construction bois, est principalement due au caractère bas carbone des bâtiments ainsi construits : le matériau est « peu transformé » et « il stocke le carbone capté par l’arbre dans la forêt, permettant au bâtiment de préserver ce puits à carbone pendant toutes ses décennies de vie ». Matériau renouvelable, biosourcé, son utilisation permet de plus de réduire l’impact négatif des chantiers :  moins de déchets, moins de poussières, nécessitant moins d’eau, chantiers plus propres, moins bruyants, et surtout plus rapides.

En 2018, selon l’enquête Codifab (3), au niveau français le marché de la construction neuve en bois représentait un Chiffre d’Affaires de 2,9 Milliard d’Euros (dont 1,86 Md€ pour le logement) avec une hausse de CA de 13% en 2 ans.

Cette croissance du marché du bâtiment en bois est révélatrice d’une politique plus générale de développement durable. Dans un récent communiqué de presse le Conseil de l’Union Européenne annonce adopter la loi européenne sur le climat avec un objectif de neutralité climatique en 2050. Cela induit une mobilisation de divers secteurs : les transports, le bâtiment et l'énergie sont appelés à d'importants efforts d'ici à 2030. Pour ce qui concerne le bâtiment, l’enjeu est de limiter les consommations énergétiques et de diminuer l’empreinte carbone. Les bâtiments en structure légère, dont ceux qui utilisent le bois, vont devenir incontournables.

L’étude menée par l’association Qualitel sur les basses fréquences dans les logements collectifs conclut de la façon suivante :

« Le développement des constructions légères à ossatures bois, les bruits causés par des enfants qui courent ou sautent tout comme l’équipement de plus en plus de foyers en systèmes audio, posent la question des basses fréquences dans les logements collectifs. En effet, les exigences en terme d’acoustique dans la réglementation relative aux bâtiments d’habitation ne considèrent pas cette gamme de fréquences."

« Les objectifs des différents textes réglementaires, (…), devront donc être réévalués en visant des objectifs plus contraignants et en prenant en compte les spécificités des structures bois. »

Les enjeux acoustiques liés aux constructions en structure légère sont donc complexes, avec une prise en compte obligatoire des performances dans les basses fréquences.

Décarbonisation, confort d’été et Qualité de l’air, contraintes acoustiques

La RE2020, dont le but est la décarbonisation de l’énergie induit une contrainte sur les énergies fossiles, voire condamne le gaz en maison individuelle et à terme sur les collectifs, à la faveur de l’énergie électrique.

En parallèle, le renforcement de l’étanchéité des bâtiments implique une gestion de la qualité de l’air accrue, notamment par moyens mécaniques. Le réchauffement climatique induit également un besoin accru de la climatisation pour des usagers.

Afin d’éviter une augmentation des désordres et s’assurer que les débits réglementaires sont atteints[1], la réglementation prévoit un contrôle à réception de la ventilation, en résidentiel pour l’instant:

  • Inspection visuelle de l’installation / plans et dossier technique
  • Mesure des débits (ou pressions) aux bouches

Le calcul du DH qui a été retenu dans la RE2020 se base sur des fichiers météo de la canicule de 2003. Ce calcul va contraindre la conception des bâtiments en intégrant des systèmes passifs (type protection solaire) ou actif (climatisation, ou à minima une consommation hypothétique si l’équipement n’est pas installé à réception).

L’ensemble de ces données induit des bâtiments de plus en plus équipés de systèmes mécaniques et thermodynamiques.

Les Pompes à chaleur PAC se sont beaucoup développées depuis la RT2012 mais on s’attend à un accroissement renforcé avec la mise en vigueur de la RE2020. En effet ce type d’équipement est un équipement connu, peu coûteux et qui couplé à l’électricité décarbonée de notre pays répond aux exigences de la RE2020.

 

Les PAC géothermiques qui n’ont pas de ventilateur sur l’unité extérieure présentent des niveaux sonores moins élevés mais évoluent beaucoup moins fortement que les PAC Air-Air ou Air-Eau.

Ces dernières qui échangent avec l’air extérieur ont dans l’unité extérieure un ventilateur qui émet un bruit large bande. Il est essentiel de sélectionner des produits ayant un niveau sonore le plus faible possible ce qui dépend :

  • Du produit choisi
  • Du mode de variation de la vitesse de ventilateur. Les modèles inverter ont des compresseurs qui varient selon la charge. Ceci est souvent accompagné d’une variation du ventilateur selon la charge. Cependant certains fabricants font le choix de rester à un débit ventilateur constant en mode froid ce qui ne réduit pas le niveau sonore en cas de faible charge (la nuit)

Il est donc essentiel de vérifier les puissances sonores émises de jour comme de nuit, en mode froid comme en mode chaud.

Enfin les ventilateurs employés peuvent ou non avoir une pression disponible permettant de gainer l’air. Lorsque la pression est forte, la gaine peut permettre de déporter la prise ou le rejet d’air (ex : installation en local technique) mais aussi  d’intégrer un Piège à son.

Pour les unités sans pression disponible, seuls des écrans assez éloignés pour laisser entrer et sortir l’air de l’unité sont faisables.

Selon la dernière étude de l’ADEME, le bruit de voisinage génère un cout social de l’ordre de 50 Milliard d’euros par ans.

Ces équipements sont pourvoyeurs de bruit et incriminés dans un nombre croissant de conflits de voisinage, que ce soit en copropriété ou entre particuliers. Leur impact sonore doit être anticipé dès la conception ou de l’installation. De la position de l’équipement, à la mise en place d’écran ou de capotage respectant les contraintes de flux d’air nécessaire au bon fonctionnement des machines, les solutions techniques existent, pour peu qu’elles soient anticipées et étudiées.

Les enjeux et défis acoustiques passeront inexorablement par une concertation étroite entre les acousticiens et les fabricants/ installateurs de PAC permettant de :

  • clarifier les caractéristiques acoustiques de ces équipements,
  • mieux appréhender les contraintes aérauliques pour l’implantation de dispositifs acoustiques efficaces,
  • informer sur les bonnes pratiques de mise en œuvre.
     

Le processus de conception plus complexe

Les acousticiens ont la volonté de s’associer au renouvellement des processus constructifs visant à atteindre les critères fixés par la RE2020 : en faisant appel à toutes les possibilités de matériaux biosourcés, en partageant les retours d’expériences et en participant aux groupes de travaux de recherche professionnels.

Leur implication totale et l’envie de renouveler rapidement l’acte de construire ne doivent pas éclipser les obligations de frugalité et de pérennité des constructions, les obligations de résultat, sans oublier les évolutions sociétales et la prise en compte du bruit parmi les préoccupations principales des Français.

Aussi la complexité accrue des systèmes constructifs hétérogènes et multicouches ajoutée aux processus de décision multifactoriels les plus élaborés encourage plus que jamais la présence de spécialistes acousticiens dans les équipes de conception.

Les défis à relever sont nombreux parmi lesquels :

  • confort d’été faisant appel à des parois lourdes minérales à forte inertie incitant à l’absence de revêtements de sols nécessaires à limiter les bruits solidiens, et à limiter les doublages thermo-acoustiques pourtant nécessaires pour augmenter les affaiblissements de façades, et limiter les transmissions sonores latérales
  • procédés constructifs et techniques de désolidarisation complexes faisant appel à plusieurs corps d’état, quand les modalités de pose deviennent tout aussi importantes que les matériaux sélectionnés en eux-mêmes : exemple solutions constructives déduites des études ADIVBOIS
  • Difficultés de passation de marché quand il s’agit de définir les limites de prestations entre entreprises dont les ouvrages chiffrés et posés séparément concourent à une performance globale
  • présence de pompes à chaleur et autres équipements de ventilation mécanique sources de bruits de vibration qu’il convient de maîtriser pour le confort des habitants et leurs voisins
  • sur-ventilation nocturne en présence de grilles à ventelles en façade

En effet, dans la lignée, mais plus encore sans doute qu’avec les Réglementations Thermique qui ont précédées, la RE 2020 nous amène à repenser de manière conséquente les modes constructifs des bâtiments (c’est d’ailleurs l’objectif). Avec des conséquences sur les matériaux et systèmes employés, mais également sur l’ingénierie et le process de conception de ces bâtiments.

L’expérience des premiers projets en cours de conception nous confirme que l’introduction du calcul de l’impact carbone, qui doit s’interfacer avec les autres calculs de dimensionnement, apporte un nombre potentiellement conséquent d’itérations de conception impliquant toutes les spécialités, et notamment l’acousticien, avant d’aboutir à un système constructif qui répond à toutes les attentes.

Ainsi, il a été constaté que les phases d’avant-projet (APS, APD) voient le défilement successif d’un nombre conséquent de solutions constructives étudiées (généralement innovantes, différents types de structures bois, de biosourcés, terre crue,…). Ces pistes doivent être poussées loin dans leur analyse pour vérifier la faisabilité, avant d’être finalement abandonnées au profit d’une autre piste, car justement ces analyses amènent à la conclusion que dans l’une des disciplines, un critère incontournable ne peut être atteint.

Ces itérations impliquent généralement de reprendre les différents calculs, dont acoustiques, pour garantir la faisabilité, et ne pas embarquer l’équipe et le projet dans une impasse.

Plus que jamais la conception doit donc être collaborative et pas « en silos », avec tous les spécialistes autour de la table dès le départ pour pouvoir détecter les « fausses pistes » au plus tôt et éviter des développements d’études inutiles dans les autres spécialités

Les temps passés en études augmentent très sensiblement, au profit de l’atteinte des performances requises et de l’optimisation des coûts de travaux, et cela doit être intégré dans les missions et les honoraires qui sont à revoir à la hausse. 

C’est une occasion assez passionnante pour les concepteurs car l’ingénierie innovante et « de qualité » confirme sa valeur ajoutée pour la réussite et la maitrise technique et financière des bâtiments.

Même dans le secteur du logement ou une partie importante de la production avait pu avoir tendance à rester ancrée autours de quelques solutions standardisées et peu innovantes (et l’ingenierie être tirée vers le bas), les maitres d’ouvrages redécouvrent la valeur ajoutée d’une ingénierie impliquée, innovante et force de propositions.

Ils comprennent l’intérêt pour leur projet et le coût global de leur opération d’investir dans des études et conceptions sérieuses.
 

Réglementation environnementale les enjeux manquants - Bruit et biodiversité - Ilot de chaleur ;

La RE2020 n’aborde l’environnement que par le prisme de l’énergie et du carbone. Mais d’autres domaines environnementaux ont une grande importance plus ou moins liés au carbone.

La gestion des ilots de chaleur aura un impact induit sur le confort estival, mais également sur la biodiversité. Ces deux domaines, non abordés par la réglementation le seront sans doute dans le cadre de référentiel environnementaux.

Concernant la biodiversité, avec la mondialisation, nous assistons à une urbanisation toujours plus forte.

L’approche de la gestion de la biodiversité dans la construction est axée essentiellement sur la préservation de l’habitat. Cela induit la création de cavités dans les façades ou sous les toits permettant à la faune de s’abriter et de nicher.

L’impact du bruit sur la biodiversité a longtemps été ignoré, et l’est encore. Il est aujourd’hui démontré, et le confinement que l’on a subi ces deux dernières années le confirme : la réappropriation des territoires par la faune versus le bruit et les activités humaines.

Depuis quelques années, les travaux de recherche sur les effets délétères de l’impact chronique du bruit sur la biodiversité se multiplient et sont édifiants. Plusieurs études menées chez les mésanges, des grenouilles, des rapaces, des chauves-souris, ou les chiens de prairie font apparaitre que le bruit impacte :

  • la capacité des animaux à communiquer avec des conséquences directes sur la survie des animaux/choix des partenaires/recherche de proies/échanges parents-enfants/vigilance contre les prédateurs
  • la capacité des animaux à se nourrir et à se reproduire

De ce fait, pour résumer, la pollution sonore n’affecte pas seulement le comportement des animaux mais le stress qui en découle affecte l’Etat Sanitaire de l’ensemble de la Biodiversité et provoque une extension massive des espèces endémiques.

L’enjeux est alors dans nos projets d’urbanisation et immobilier de préserver des zones de calme, ou les ambiances sonores sont contrôlées. Les moyens sont divers et doivent être considérés dès la conception même des zones d’aménagement. Du plan masse permettant de protéger des zones à la constitution des façades évitant les réflexions sonores, les moyens existent pour aménager ces zones.

D’un point de vue Urbain, la prise en compte de zones Blanches au même titre que les Trames Vertes, Bleues ou Noires sont des moyens également de préserver la biodiversité. La préservation des zones blanches doit être considérée dès l’étude d’aménagement dans la conception du plan masse.

 

Dossier réalisé par le GIAC, avec la participation de
Anne Marie BERNARD - ALLIAIR
Elisabeth DEVILARD – A2MS
Cecile LE BERRE – Polyexpert Environnement
Karin LE TYRAN – AIDA
Vincent HEDON – cabinet HEDON acoustique
Yannick PEPE-GUES – UNISSON
Samuel TOCHON-DAANGUY – LASA
Jean Paul van CUYCK – A2MS

[1] Environ 1 installation neuve sur 2 n’est pas conforme dans le cadre du contrôle réglementaire actuel et le chiffre a encore augmenté depuis 2005.


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