Rafiq Azam : "L'architecte a un rôle de leader à jouer dans la lutte contre le changement climatique"

Rédigé par

ROY DEN HOED

Président

4268 Dernière modification le 28/03/2017 - 16:39
Rafiq Azam :

Rafiq Azam, architecte principal de Shatotto Architecture for green living, est basé au Bangladesh mais est connu mondialement. Il produit une architecture esthétique et moderne, inspirée par le paysage luxuriant et le patrimoine architectural du delta du Bengale. Ses bâtiments, dont les matériaux sont simples et locaux, sont ouverts sur la nature. Rafiq Azam contribue ainsi à l’écologisation de la ville.
Il était présent au MIPIM et a partagé, lors de la conférence que Green Planet Architects et Construction21 ont organisée le 16 mars en partenariat avec Eiffage et Climate-KIC, sur le thème “Cities against climate change: what actionable solutions?”, son avis sur les solutions nécessaires pour construire une ville plus durable. Retrouvez les propos de Rafiq Azam en lisant cette interview de lui.  

  • Quel est le rôle d’un architecte dans la lutte contre le changement climatique au niveau de la ville ?

Je pense que les architectes sont en première ligne pour constater, de près, les effets du changement climatique. Ils interviennent dans l’espace, créant et recréant de nouveaux espaces. Il est donc primordial que les architectes comprennent quelle est la principale cause du changement climatique et quels sont les problèmes qui en découlent. Nombreux sont ceux qui s’accordent pour dire qu’une augmentation de la chaleur de 6°C détruira très probablement la Terre. Il existe un rapport selon lequel l’augmentation de la chaleur au Bangladesh serait de 2°C d’ici 2080.

Bref, comme nous pouvons le constater, ce déséquilibre provoque des réactions en chaîne sur le climat et entraîne des effets dévastateurs sur la vie humaine.

Dans de telles circonstances, il est clair que la lutte contre le changement climatique menée par les architectes dans les villes est une goutte d’eau dans l’océan. Ainsi, lutter collectivement du macro au micro est le seul moyen pour l’ensemble de la race humaine de sauver notre planète bleue.

Le rôle de l’architecte en tant que leader de cette lutte est presque évident : il suppose d’engager le combat contre le réchauffement climatique et de s’attaquer à ses causes. Dans la conception de la ville, ce rôle est à multiples facettes. La conception en elle-même n’est qu’une infime partie en comparaison de l’approche de l’architecture de la ville dans sa totalité. De la non-construction à la construction d’un bâtiment ou de plusieurs, le défi est d’intégrer totalement mère nature dans l’architecture. Complémentarité et équilibre entre chaque bâtiment sont nécessaires pour réduire l’empreinte carbone. Nous devons réintroduire la culture durable à travers un savoir qui repose sur une architecture durable, où l’humain et la nature sont liés. On pourrait ici citer Jalaluddind Rumee, un philosophe du XXè siècle, qui disait : « Fais comme l’arbre, débarrasse-toi des feuilles mortes ».

  • De nombreuses villes déclarent devoir se réinventer et/ou se reconstruire. Que pensez-vous du bilan actuel des villes et comment contribuez-vous à leur transformation ?

Le terme « réinventer » est très positif. Seulement, quand il est associé à celui de « soi-même », il devient connoté. Cela soulève donc quelques questions. Puisque les enjeux liés au changement climatique sont mondiaux et, pour la plupart, nés de la société industrielle, ce sont d’abord les États impliqués qui doivent coopérer. Si un pays développé essaye de se réinventer en réduisant les énergies fossiles et les émissions de carbone, peut-être qu’il va « se reconstruire », mais qu’arrivera-t-il aux pays comme le Bangladesh qui nuisent le moins au climat et, même, qui souffrent des dégâts causés par les pays industrialisés ? Je pense que les pays ont le devoir de créer des opportunités pour aider ces pays touchés par des fautes qui ne sont pas les leurs. Il est presque impossible qu’un pays assure sa sécurité climatique par lui-même ; une résolution collective est indispensable.

  • La capitale, Dhaka, est directement affectée par le changement climatique. Quelles solutions peut-on développer dans les bâtiments, les quartiers et dans l’ensemble de la ville pour améliorer à la fois la résilience et le bien-être de sa population ?

C’est vrai, Dhaka, qui est l’une des villes les plus densément peuplées au monde, souffre par ailleurs du changement climatique. Ce phénomène s’est malheureusement déplacé jusqu’au Bangladesh et jusqu’à sa capitale. Selon une étude, le Bangladesh est l’un des pays qui contribuent le moins au changement climatique et qui en souffrent le plus. Il ne produit que 0,4 tonnes métriques (TM) de carbone par habitant, alors que les États-Unis en génèrent 17 TM et le Royaume-Uni 7,1.

Au-delà de la théorie de la mondialisation, nous avons échoué à atteindre l’objectif de la mondialisation. La vérité, c’est que la planète entière était mondialisée depuis le début en termes de climat. C’est pourquoi le carbone voyage sans visa. La chaleur, la pollution et le mauvais comportement de la race humaine se déplacent également sans frontières. Ainsi, la solution pour résoudre le problème de construction à Dhaka ne se trouve pas à Dhaka. Elle est partout dans le monde. À Dhaka, nous devons commencer à agir simultanément dans plusieurs villes, en particulier sur des critères pré-résolus. Il s’agit d’un effort collectif qui ne résoudra pas seulement le problème de Dhaka mais aussi de nombreux autres dans d’autres villes comme Bombay, Calcutta, Guangzhou, Bangkok, Yangon et même Miami.

Désormais, le plus important est de se demander « sur quels critères résolus doit-on se pencher ? » En réalité, ce n’est pas un enjeu compliqué. Ce qui est compliqué, c’est que nous devons tous pratiquer et produire en conséquence. Il s’agit, si je peux me permettre de philosopher comme l’architecte Glenn Murcutt, « de la loi de la coopération et non de la loi du plus fort ». Le défi posé aux architectes de Dhaka est donc immense : saisir d’un point de vue local et global le Bangladesh dans un contexte mondial, l’hydrologie du pays et saisir aussi profondément que possible le contexte de Dhaka afin d’initier un mouvement architectural. Comprendre l’histoire, l’archéologie, l’anthropologie, la psychologie collective, la sociologie, l’ensemble du paysage, la matérialité, la trajectoire du soleil et du vent, etc. J’aimerais révéler la poésie du Bangladesh comme exemple :

« Le Bangladesh est le plus grand delta de la Terre. Il possède plus de 50 cours d’eau et 1 200 bandes acheminant l’eau de l’Himalaya, au Nord, à la baie du Bengale, au Sud, en passant par le Bangladesh selon un schéma complexe. L’abondance de l’eau et la relation qu’entretient la population avec le liquide bleu fait du Bengladesh un pays plein de poésie. La poésie indique aussi quand vient la mousson. Durant cette période, l’eau envahit deux tiers du paysage ; elle en devient l’élément majeur. Quand l’eau se retire, elle laisse une fine couche de sol alluvial et le paysage entier est transformé en larges rizières dansant au gré des vents. »

Pour conclure, Dhaka est censée être une ville riche en termes d’hydrologie, une agglomération jouant avec le soleil et les vents, se transformant en une ville poétique durable grâce à la fluidité des sols alluviaux et passant du sap green au viridian green.

Partager :