Quel avenir pour les #sols ? 3 questions à Antoine Pierart

1409 Dernière modification le 06/02/2020 - 10:57
Quel avenir pour les #sols ? 3 questions à Antoine Pierart

Chaque mois, un expert de l’ADEME décrypte un enjeu pour le climat. Ce mois-ci, Antoine Pierart, ingénieur au Service Forêt, Alimentation et Bioéconomie à l’ADEME répond à 3 questions sur les sols.

Pourquoi la qualité des sols est-elle primordiale pour la Transition écologique?

Le dernier rapport du GIEC[1] sur les terres émergées est accablant : il faut agir vite pour atténuer et s’adapter au changement climatique en cours, en particulier en luttant contre la dégradation des sols. Les sols sont bien plus que de simples surfaces que l’on foule et exploite, ils sont vivants et constituent l’un des leviers majeurs de la transition écologique !

Les sols sont le support de l’agriculture (95% de nos aliments proviennent des sols). De leur santé dépend la qualité de notre alimentation. Ils doivent être riches en matière organique, ne pas être tassés mais aussi accueillir une grande biodiversité. Sans ces éléments, leur capacité de production alimentaire est directement impactée. En filtrant l’eau, les sols de qualités participent à la protection de cette ressource vitale et permettent de réduire les risques de crue. La diversité des organismes qui s’y développent (environ 10 milliards d’organismes et gramme de sol) nous offre de nombreux gènes et organismes utilisés dans la fabrication de médicaments ou de produits agro-alimentaire.

Les sols ont également la capacité de stocker des quantités très importantes de carbone (entre 1 500 et 2 400 milliards de tonnes de carbone sont stockées dans la matière organique enfouie dans le sol partout dans le monde). La majorité d’entre eux ont encore la capacité d’en stocker davantage, et permettent ainsi de participer à l’atténuation du changement climatique.

Enfin, tandis que les dégradations sont quasi instantanées et durables, un sol de qualité se constitue sur des milliers d’années : les actions actuelles impacteront les générations futures pendant longtemps.

Dans quel état sont nos sols en France?

Les sols Français sont globalement de bonne qualité si on les compare à l’état des sols dans le monde. Malgré tout, ils sont soumis à de fortes dégradations, dont certaines sont critiques comme notamment l’artificialisation qui vise à transformer (et parfois imperméabiliser) les sols pour accueillir une activité humaine. La France est le mauvais élève de l’Europe, avec une artificialisation plus rapide que la croissance de la population : en 2014, l’artificialisation des sols concernait l’équivalent de la surface des régions Centre-Val de Loire et Île-de-France. Actuellement, ce phénomène semble légèrement ralentir, mais les pertes de surfaces agricoles représentent toujours l’équivalent de 1 département tous les 5 ans.

Les sols sont le garde-manger des êtres vivants qui s’y développent, et de fait, des cultures que l’on y installe. Or, les sols de certaines régions françaises continuent de s’appauvrir.  Par exemple en Beauce, en Bretagne, en Franche-Comté, dans les Landes de Gascogne ou encore dans le Piémont pyrénéen, les taux et les stocks de matières organiques dans les sols sont en baisse depuis plusieurs décennies. Par ailleurs, le phosphore minéral se raréfie à l’échelle mondiale et est aussi en diminution dans certains sols français. Pourtant, cet élément est indispensable à la fertilité des sols.

En outre, certaines pratiques culturales (monoculture intensive, fort travail du sol, manque de couverture végétale…) accentuent aussi les phénomènes locaux de tassement, d’érosion, de perte de matière organique et de biodiversité.

Enfin, une partie des sols français présentent des pollutions diffuses et locales persistantes (récentes ou plus anciennes) en différents contaminants. Par exemple les vignobles français souffrent d’une contamination généralisée des sols en cuivre, parfois doublée de fortes teneurs en plomb, liées à l’emploi passé de produits de traitement. On peut aussi citer le cas de la chlordécone utilisée dans les bananeraies aux Antilles, du lindane interdit depuis 1998 en grandes cultures.

Quelles sont les solutions pour préserver la qualité de nos sols?

Désimperméabiliser et limiter l’artificialisation des sols sont des enjeux majeurs pour les années à venir et nécessite des mesures ambitieuses et en particulier en modifiant les règles d’urbanisme pour favoriser le renouvellement urbain et la densification de l’habitat, et renaturer les espaces artificialisés laissés à l’abandon.

En milieu agricole, une prise de conscience existe et doit encore s’amplifier autour de l’évolution des pratiques culturales vers davantage d’agroécologie : diversification des cultures ; réduction de l’utilisation d’intrants chimiques (engrais, pesticides…); maintien des résidus de culture, d’une couverture végétale sur le sol (paillage, interculture…) ; épandage de matières organiques (compost, fumier…) ; préservation ou plantation de haies d’arbres autour ou dans les parcelles ou limitation des passages répétés d’engins, en particulier sur sols trop humides.

Enfin, les citoyens peuvent eux aussi agir à leur échelle, dans leurs jardins et dans leurs modes de consommation en :

  • compostant les déchets organiques afin de restituer à la terre les éléments nutritifs que les plantes ont prélevés pour grandir;
  • paillant les pieds des plantes pour nourrir et protéger les végétaux mais aussi le sol et ses résidents ;
  • gérant durablement les « mauvaises herbes » sans les éradiquer, ses dernières participant au maintien de la qualité du sol (plantes fixatrices d’azote, décompactantes, dépolluantes…);
  • pensant aux sols exploités et dégradés de façon indirecte (terres rares pour les appareils numériques, agriculture intensive du coton pour l’industrie du textile, déforestation associée aux productions agricoles…) en se tournant vers des produits aux labels adaptés, ou en visant davantage de sobriété, on participe à la protection des sols de l’autre côté de la planète.

Il est aussi nécessaire de sensibiliser et former les moins avertis aux enjeux de la qualité des sols, pour que la prise de conscience se généralise. Chacun peut inciter son voisin à participer à l’opération « Plante ton slip » s’il n’est pas sensibilisé à ces enjeux, ou aller plus loin en participant aux sciences participatives (Observatoire participatif des espèces et de la nature…).


[1] Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat

 

Article publié sur ADEME Presse
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