Préserver le patrimoine lors d’une réhabilitation énergétique

12027 Dernière modification le 27/04/2021 - 10:48
Préserver le patrimoine lors d’une réhabilitation énergétique

Avec un tiers du parc français, le bâti ancien est un enjeu incontournable de la rénovation. Si sa typologie variable rend difficile (mais possible, on le verra !) des interventions systématisées, la plupart des bâtiments partagent néanmoins de multiples atouts énergétiques grâce aux modes constructifs et aux matériaux employés. Malheureusement, ces caractéristiques ont bien souvent été atténuées, voire annulées, par des travaux successifs de rénovation non-adaptés. Elodie Héberlé, responsable technique au centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (CREBA), donne ainsi des clefs pour conserver intact le potentiel énergétique du bâti ancien lors de travaux de rénovation.

Si cette problématique vous intéresse, n’hésitez pas à vous inscrire au webinar « Préserver le patrimoine en le réhabilitant énergétiquement : avantages et enjeux » du CREBA, qui se tiendra le 06 mai 2021 de 14h à 16h.

 

Quels sont les enjeux autour de la réhabilitation du bâti ancien en France ?

Elodie Héberlé : Je pense qu’il est important de commencer par un point définition. La notion de « bâti ancien » fait référence à tous les bâtiments construits avant 1948 avec des matériaux et des techniques traditionnels. Il peut s’agir autant de tertiaire que de résidentiel, de la ferme à l’école, en passant par des immeubles haussmanniens. Cela correspond à environ un tiers du parc en France. Cela fait donc un grand nombre de bâtiments qui n’ont pas été soumis à des normes énergétiques lors de leur construction. Il est nécessaire de s’y attaquer si nous voulons rénover le parc français avec ambition.

L’enjeu est également de préserver l’intérêt patrimonial de ce bâti. Cet intérêt n’est pas toujours explicite : ce ne sont pas forcément des bâtiments classés. Mais ils sont liés à l’histoire des gens et du territoire. Il y a un travail de sensibilisation et de pédagogie à mener de ce côté, afin que les occupants prennent conscience que le patrimoine les entoure.

 

Est-ce qu’il existe des problématiques communes à tous ces bâtiments ?

E. Héberlé : Il est possible d’identifier deux problématiques majeures qui sont communes à la plus grande partie des bâtiments anciens.

La première est de préserver le patrimoine lors d’une réhabilitation. Ce point pose notamment la question du type d’isolation à privilégier. La pose d’une isolation par l’extérieure est souvent plus efficace, mais elle risque de nuire à l’aspect visuel du bâtiment. Par exemple, en Alsace, l’encadrement des fenêtres est souvent effectué en grès. Cela risque de disparaitre avec l’isolation par l’extérieur. Ces détails, parfois invisibles aux yeux des occupants de ces bâtiments car complètement intégrés dans leur quotidien, caractérisent et différencient les habitats régionaux.

Ensuite, il faut choisir les bons matériaux et solutions pour la rénovation. Le bâti ancien est majoritairement construit à partir de matériaux qui laissent passer l’humidité (chaux, plâtre, torchis, etc.). Il faut le laisser respirer. Les matériaux étanches comme l’enduit au ciment ou le polystyrène ne sont pas du tout adaptées. Malheureusement, dans la majeure partie du bâti ancien, les travaux de rénovation successifs ont été réalisés à partir de matériaux qui ne conviennent pas. Par conséquent, l’humidité stagne dans les murs, engendrant parfois des remontées capillaires trop importantes, le développement de moisissures à l’intérieur, de fissures sur les façades, etc. Tous ces éléments nuisent fortement à la qualité de la réhabilitation. Ces phénomènes peuvent d’ailleurs s’empirer si la circulation de l’air a été limitée lors du remplacement des fenêtres originelles sans réflexion sur la ventilation. Aujourd’hui, quand on veut faire de la rénovation de bâti ancien (mais c’est également vrai pour tous les bâtiments existants), il faut d’abord résoudre ces problèmes. C’est pourquoi il vaut mieux privilégier dès le début des matériaux à base de biosourcés, dans l’idéal, et de chaux et bien installer une VMC efficace si des fenêtres étanches sont posées.

 

Quels sont les atouts du patrimoine ancien dans la rénovation énergétique ?

E. Héberlé : Le bâti ancien souffre d’une assez mauvaise image dans l’imaginaire collectif. Pourtant, on observe que les bâtiments les plus consommateurs sont ceux surtout ceux qui ont été construits entre 1948 et la première réglementation thermique en 1974. En effet, à cette période, les modes de construction traditionnels, intrinsèquement économes en énergie (comme on le verra ci-dessous) ont été perdus à cause de la guerre et la construction n’est pas encore encadrée par une réglementation thermique.

Le bâti ancien a bien souvent l’avantage d’avoir un mode de construction bioclimatique. Ce sont des bâtiments qui s’adaptent très bien à leur environnement (relief, climat) et tirent parti des matériaux locaux employés. Tout ceci fait qu’ils ont été conçus pour consommer le moins d’énergie possible à l’époque de leur construction. Cette caractéristique va dépendre de la période de construction : plus on s’approche du 19e siècle, plus les constructions s’effectuent en ville et moins elles sont bioclimatiques.

Il bénéficie également d’un bon confort d’été. Des murs en pierre ou en brique d’une largeur de 30 cm permettent une forte inertie. C’est essentiel pour se protéger des fortes chaleurs.

Rénover le bâti ancien, c’est aussi faire le choix du bas carbone. Réutiliser un bâtiment qui a déjà été construit évite de consommer trop de matériaux et de sols. Si des matériaux bas carbone sont utilisés, le bilan n’en sera que meilleur.

A cela s’ajoute le cadre de vie qu’offre ce type de bâtiment, grâce à l’aspect esthétique et patrimonial.

 

Face à la variété du bâti ancien, existe-t-il tout de même des modes de rénovation applicables à tous les contextes ?

E. Héberlé : En tant qu’ingénieure thermique, j’ai très souvent entendu que la rénovation du bâti ancien se faisait au cas par cas. Mais cette image freine les gens plus qu’elle ne les motive à engager des travaux de réhabilitation. Il faut trouver le juste milieu entre le cas par cas et la massification des pratiques. Dans tous les projets, il faut porter une attention particulière à la mise en œuvre des travaux et à l’entretien du bâtiment dans le temps. C’est ce qui va déterminer si le bâtiment aura des pathologies ou non. Il est également nécessaire de s’assurer de la bonne prise en compte du patrimoine. Je pense que des approches comme le dispositif DOREMI sont souhaitables et à valoriser, mais qu’elles doivent un peu plus prendre en compte le patrimoine.

 

Comment encourager la rénovation du patrimoine ?

E. Héberlé : Il faut mener un gros travail de sensibilisation à la fois auprès des professionnels et des maitres d’ouvrages. En effet, la plupart des professionnels ne considèrent pas le bâti ancien comme un marché à part entière. Alors qu’il est tout à fait possible de faire de la réhabilitation responsable sans être un spécialiste du patrimoine : en utilisant de la ouate de cellulose ou même de la laine minérale par exemple, couplé à un frein-vapeur hygrovariable (posé dans les règles de l’art, évidemment). Bien entendu, cela dépend également de la demande du client. Si ce dernier préfère des matériaux biosourcés, les professionnels vont avoir besoin de se former s’ils ne le sont pas déjà. Il existe déjà de nombreuses formations disponibles. Il faut également sensibiliser les maitres d’ouvrages et leur faire prendre conscience que leur bien appartient au patrimoine bâti et participe à ce titre à leur cadre de vie.

Pour cela, nous pouvons compter sur des structures de conseil publiques comme les architectes de bâtiment de France, les parcs naturels régionaux, les conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, etc., qui œuvrent auprès des maîtres d’ouvrages. En effet, le changement dans les entreprises viendra de la demande du client : s’il n’y a pas de demande, les professionnels ne vont pas se lancer dans la rénovation responsable du patrimoine bâti.

 

Comment est-ce que le CREBA accompagne la rénovation du bâti ancien ?

E. Héberlé : Le CREBA se situe à mi-chemin entre les architectes et les ingénieurs. Il suit deux missions principales : montrer qu’une réhabilitation énergétique du bâti ancien qui respecte le patrimoine est possible et diffuser les connaissances sur ce sujet. Nous proposons ainsi gratuitement de nombreux outils à destination des acteurs qui s’intéressent à la rénovation du patrimoine, pour les accompagner dans leurs projets :

  • Une « charte de réhabilitation responsable du bâti ancien » qui comprend des prescriptions générales ainsi que des recommandations thématiques selon chaque opération (isolation, changement des fenêtres, etc.).
  • Une « guidance wheel » qui permet de connaître les risques et points d’attention techniques, patrimoniaux et énergétiques par travaux. Cet outil prend en compte plus de 50 types d’interventions possibles sur un bâtiment.
  • Une dizaine de retours d’expériences, sur des bâtiments avec des typologies, des usages et des sites différents.
  • L’espace documentaire du CREBA qui recense toute la documentation sur le sujet depuis une dizaine d’années.

 

Si vous souhaitez approfondir cette thématique, rendez-vous le 06 mai 2021 de 14h à 16h pour un webinar du CREBA intitulé « Préserver le patrimoine en le réhabilitant énergétiquement : avantages et enjeux ».

Le webinar développera l’exemple de Joinville à travers les interventions de Noémie FAUX, chargée de mission patrimoine, Anthony Koenig, Chargé de mission urbanisme, Ville de Joinville et Charles CAGNY, Maçon, Entreprise Cagny située à Joinville. Après ces interventions, un temps de discussion par groupes sera proposé aux participants autour de 4 thèmes : être bien entouré, être bien formé, connaître les matériaux et bien intégrer les équipements (le choix du thème s’effectue lors de l’inscription).

Cet événement s’inscrit dans le lancement d’un cycle de webinars dédié à la réhabilitation responsable du bâti ancien. Ce cycle comprend 5 webinars (dont celui-ci) qui s’appuieront notamment sur des retours d’expériences concrets. Il sera clôturé par le 3ème colloque du CREBA, à Toulouse, en mars 2022.

S’inscrire au webinaire.

 

Crédits photo : Daniel Jolivet, bâti ancien rue de la Chevrotterie, Villefranche-sur-cher, sur Flickr.

Propos recueillis par Manon Salé - Construction21, la rédaction.

 

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