Pourquoi les chantiers de désamiantage sont-ils si complexes ?

Rédigé par

Christian Humbert

1272 Dernière modification le 02/06/2022 - 20:00
Pourquoi les chantiers de désamiantage sont-ils si complexes ?

 

Les sites à dépolluer en France sont encore très nombreux : parmi les pratiques de ce secteur, le désamiantage reste l’une des plus complexes et doit nécessairement être pris en charge par des entreprises certifiées. Car il n’y a pas d’économies de bout de chandelle à faire dans le domaine.

Normes NF X 46-010 et NF X 46-011 de 2012 sur les critères d’évaluation et de suivi des entreprises pour la réalisation des travaux de confinement et de retraits de l’amiante, norme NF X 46-100 de 2019 sur le repérage de matériaux et produits contenant de l’amiante dans les infrastructures, norme NF P94-001 de 2021 sur la définition du contenu, de la méthodologie et des modalités avant travaux… Le désamiantage obéit à des protocoles draconiens, ce métier ressemble à de l’horlogerie suisse, par sa précision, sa rigueur et le savoir-faire que les entreprises du secteur ont dû développer depuis l’interdiction en 1997 de ce produit jadis considéré comme « miracle ». Ces 25 dernières années, l’amiante est en effet devenue l’ennemi public nº1 du secteur du bâtiment. Et son retrait des structures du XXe siècle ne supporte aucun amateurisme.

L’amiante, ennemi public nº1

La France compte de nombreuses entreprises en dépollution des sols et des infrastructures. Parmi les spécialités, le désamiantage – environ 2 000 entreprises – fait partie des niches les plus techniques, et les plus essentielles en termes de santé publique tant les ravages de l’amiante ces 50 dernières années ont été catastrophiques. Et ce n’est pas terminé : selon Sonia Hertz, vice-présidente de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva 72), quelque 1 600 décès par an, d’ici 2050, seront encore imputables à l’amiante. « Il reste, selon les estimations, 20 millions de tonnes d’amiante disséminées un peu partout, assure la responsable associative. Toutes les écoles qui ont été construites avant 1997 ou tous les bâtiments publics qui ont été faits avant cette date-là, on ne les a pas démolis mais ils sont là. Il faut les surveiller, il faut les réparer et pas dans n’importe quelles conditions surtout. » Ce cri d’alarme vaut mille discours : il faut faire vite et bien. Mais surtout bien. Car aller trop vite peut coûter cher.

La complexité du désamiantage s’explique par la nature même du produit à dépolluer : pour « bien » faire, les entreprises doivent évacuer totalement le site à désamianter, puis doivent le confiner pour empêcher l’air de sortir. Car ce sont les fibres d’amiante – 500 fois plus fines qu’un cheveu et donc très volatiles – qui constituent le principal fléau pour la santé. Cela concerne des dizaines de milliers de sites dont de très nombreuses écoles en France, et ces chantiers ne peuvent pas être reportés sans cesse au risque de faire peser de graves menaces sanitaires.

Le site de Censier appartenant à l’Université Sorbonne Paris 3 vient finalement de fermer ses portes après des décennies de controverse. Construit il y a près de 60 ans avec recours à l’amiante, un travail de coffrage avait été réalisé en 1979 afin que les étudiants et personnels éducatifs ne soient pas en contact avec des particules amiantées. Mais une étude faite en 1995 a montré que les taux d’amiante enregistrés étaient supérieurs à ceux admis. De nouveaux travaux ont alors été réalisés, mais la menace ne cessait de planer depuis lors. Ce n’est qu’en avril 2022 que le site a fermé ses portes aux étudiants, mais la polémique n’est pas terminée avec l’annonce de l’occupation temporaire des lieux par la société Plateau urbain quand bien même les travaux de désamiantage n’ont pas commencé. Bref, avec l’amiante, il faut être dans le traitement complet plutôt que dans les demi-mesures potentiellement dangereuses.

Des scandales malgré la réglementation

La réglementation sur l’amiante est très stricte. A titre d’exemple, les professionnels du BTP sont dans l’obligation d’arrêter un chantier dès lors que de l’amiante a été repérée. Ils doivent alors faire appel à une entreprise spécialisée pour intervenir afin de protéger l’environnement, les personnes travaillant sur le site et les riverains situés à proximité de la zone touchée. La sécurité collective doit être totale, et la mise en place des protocoles scrupuleusement respectée. Se débarrasser de l’amiante sans le savoir-faire et les certifications en la matière est extrêmement dangereux et passible de lourdes sanctions.

Des scandales sont toujours possibles comme l’ont montré encore récemment plusieurs chantiers entrepris à Genève (Suisse) qui n’ont respecté aucune norme de protection pour les travailleurs et l’environnement alors que la présence d’amiante avait été signalée par plusieurs employés. L’un d’entre eux souffrait d’une pneumopathie au moment où ces faits ont été révélés. Ce grave type de comportement ne constitue pas un cas tout à fait isolé, car certains professionnels et donneurs d’ordre ne veulent pas ralentir et rendre plus coûteux les chantiers avec des procédures très encadrées à suivre.

En France, l’encadrement passe par plusieurs organisations qui peuvent délivrer les précieux labels indispensables pour opérer dans ce secteur d’activité : l’Association française de normalisation (Afnor) ou Qualibat par exemple sont en effet chargées, grâce à leurs commissions d’experts, de statuer sur le sérieux des pratiques. A l’Afnor par exemple, la certification d’une entreprise suit un processus rigoureux : étude de recevabilité, audit partiel, pré-certification, audit du premier chantier et certification, le tout suivi d’audits de surveillance et d’un audit renouvellement. Rien n’est laissé au hasard, d’autant que l’impératif désamiantage des bâtiments du siècle précédent fait désormais partie des prérequis de tout chantier. Selon le Syndicat du retrait et du traitement de l’amiante et des autres polluants (Syrta), « l’obligation pour le maître d’ouvrage de faire réaliser un repérage amiante avant travaux, désormais inscrite dans la loi El Khomri, avant toute intervention, représente heureusement un accélérateur de prise de conscience. » Les pouvoirs publics ont en effet choisi d’encadrer au maximum le secteur, car les dangers sont évidents.

Les difficultés du terrain

« Prise de conscience ». Cela pourrait sembler tomber sous le sens, mais il arrive encore trop souvent que des maîtres d’ouvrage veuillent aller un peu trop vite en besogne, rognant sur les coûts du désamiantage. Si bien que la qualité ou la mise en place des chantiers n’est pas toujours au rendez-vous. Il y a par exemple des chantiers maudits, comme celui de la Tour Montparnasse à Paris. Le chantier de désamiantage de la plus haute tour de la capitale française a commencé en 2006 et devait être achevé en 2017. Nous sommes en 2022. « La tour Montparnasse est un lieu symbolique, l'exemple de ce qu’il ne faut pas faire, déplorait en 2014 Michel Parigot, vice-président de l’Andeva. Au lieu de désamianter tout le bâtiment, les copropriétaires ont fait des calculs de boutiquiers et du bricolage, en procédant morceau par morceau. Dans ces conditions, il est difficile de protéger les salariés. » Cette mise en garde n’avait semble-t-il pas été entendue, puisque cinq ans après la fin prévue du chantier, le cauchemar n’est toujours pas terminé. Une situation d’autant plus surprenante que figurent parmi les principaux copropriétaires de la Tour Montparnasse, une assurance (AXA) et une mutuelle (MGEN). Le chantier de la Tour Montparnasse illustre le fait qu’un chantier mal conçu est souvent synonyme de coûts supplémentaires, car l’éradication se doit d’être totale. Et donc prise en charge par des professionnels connaissant leur travail sur le bout des doigts.

Le Syrta veille au grain et ne se gêne pas pour pointer du doigt les chantiers mal réalisés ou les entreprises trop peu regardantes sur la qualité de leurs prestations. Selon le syndicat, certains professionnels non-certifiés gèrent des chantiers de désamiantage alors que les entreprises certifiées sont là, avec deux décennies de savoir-faire : « Cette confusion n’est bonne pour personne : on impose aux premiers des contraintes surdimensionnées à leur activité, et les savoir-faire spécifiques des seconds ne sont pas bien reconnus et valorisés. Dans le même ordre d’idée, une confusion souvent piégeante existe entre désamiantage sur chantier et installations fixes, dont les contraintes et exigences sont très différentes, du fait même des configurations physiques des sites. »

Les professionnels vous le diront, il y a en effet autant de difficultés rencontrées que de chantiers de désamiantage. Qu’il s’agisse d’une tour de bureaux ou d’un sous-marin, les techniques utilisées doivent toujours être conçues sur-mesure. Pour les grandes tours comme celles du quartier de la Défense dans l’ouest parisien ou même celle de Montparnasse, les chantiers ciblent parfois des zones presque inaccessibles ou les interstices et les joints des façades extérieures qu’il faut décontaminer. Les besoins sont énormes, les chantiers souvent très complexes.

Le secteur du désamiantage a donc encore de beaux jours devant lui, les sites à dépolluer en France étant encore très nombreux. En 2015, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) a mené une enquête complète qui a permis de radiographier les chantiers de désamiantage en France. Pour cette seule année, 25 000 chantiers de désamiantage ont eu lieu en France. La production annuelle de déchets d’amiante est, elle, d’environ 200 000 tonnes. A ce rythme, il faudra environ un quart de siècle pour désamianter toutes les structures encore touchées par ce fléau rien qu’en France. Si notre pays a été l’un des précurseurs au niveau mondial pour le désamiantage dès la fin des années 90, beaucoup reste donc encore à faire.

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