Pour les MOA, quels sont les risques et enjeux du défi de transformation numérique de leur patrimoine ?

Rédigé par

christian sabrié

Conseil

4052 Dernière modification le 16/03/2018 - 09:52
Pour les MOA, quels sont les risques et enjeux du défi de transformation numérique de leur patrimoine ?

Aujourd’hui le BIM est partout. En quelques années le BIM est passé d’un sujet de niche à un sujet de masse. Mais comment expliquer qu’un concept imaginé dans les années 60, alors que la CAO n’existait pas encore, soit resté confidentiel pendant presque quarante ans pour exploser littéralement ces dix dernières années, jusqu’à devenir complètement incontournable aujourd’hui ?

Une partie de la réponse se trouve sûrement dans ses origines. Imaginé par des informaticiens plus que par des professionnels du bâtiment, il porte dans ses gènes la data. Alors que le numérique est en train de transformer chaque aspect de notre vie quotidienne et qu’il a su démontrer son intérêt dans tous les secteurs économiques, il est resté longtemps absent des industries de l’immobilier et de la construction.

Ce changement de paradigme va-t-il transformer le « jeu d’acteur » d’un secteur  traditionnellement conservateur ?

Les vertus du BIM, notamment en phase conception-construction, ont fait l’objet de nombreuses études, de retours d’expériences et ne sont plus à démontrer. Même s’il faudra attendre encore quelques années avant que le BIM ne se généralise sur la totalité du cycle de vie des bâtiments, les premières maquettes numériques arrivent en phase Gestion-Exploitation-Maintenance (GEM) ce qui ouvre de nouvelles perspectives aux maîtres d’ouvrages et préfigure un changement profond de la chaîne de valeur. Avec une durée de vie comprise entre 30 et 50 ans, la phase d’exploitation d’un bâtiment dure entre 10 à 15 fois plus longtemps que la phase de construction et représente 80% de son coût global.

Dans ces conditions, le BIM GEM représente-t-il un véritable levier de performance pour les acteurs de l’exploitation ?

Gestion de la Maintenance Assistée par Ordinateur (GMAO), Gestion Technique de Bâtiment (GTB), Système d’Information Technique et Patrimonial (SITP) ; les solutions numériques ne sont pas nouvelles dans l’industrie de l’immobilier et de la construction, mais jusqu’ici elles fonctionnaient en silo et ne permettaient que peu d’échanges de données. Une des caractéristiques fondamentales du BIM c’est l’interopérabilité : la capacité d'un système à travailler avec d’autres sans efforts particuliers. Croiser les données de la maquette numérique avec celles issues de capteurs et objets connectés ouvre la voie à de nouvelles opportunités et de nouveaux usages : maintenance prédictive, utilisation dynamique des espaces, réalité augmentée, automatisation des plans pluriannuels de travaux, etc.

Pour les maîtres d’ouvrages, quels sont les risques et enjeux de ce nouveau défi de « transformation numérique de leurs patrimoines » ?

Exploiter un bâtiment neuf réalisé en BIM c’est une chose, « BIMer » leur patrimoine existant en est une autre et exploiter un patrimoine composé de bâtiments « BIMés » et de bâtiments « Non BIMés » encore une autre ! Se lancer dans une démarche de transformation numérique de son patrimoine ne doit pas se faire à la légère. Cela nécessite une analyse fine de ses enjeux, de ses objectifs et de ses processus métiers, pour définir la meilleure stratégie. Jusqu’à ces dernières années une seule solution s’offrait aux exploitants, numériser en masse leur patrimoine et intégrer les données dans un système d’information technique et patrimonial. Cette approche souvent lourde et coûteuse a fait ses preuves, notamment dans le logement social mais le retour sur investissement peut s’avérer incertain si l’implémentation n’est pas complètement maîtrisée. De plus, seules les données statiques sont capitalisées, celles issues des objets connectés ne sont pas prises en compte ce qui ferme la porte à de nombreux usages.

Mais l’avènement du numérique dans l’immobilier et la construction a permis la création d’un écosystème de startups innovantes autour du BIM, de la maquette numérique et des objets connectés ; cet écosystème  favorise l’émergence d’une vision plus agile et plus flexible. Les solutions portées par ces nouveaux acteurs facilitent une transformation du patrimoine progressive, basée sur l’adaptation des systèmes existants à l’utilisation de la maquette numérique. De nouvelles applications permettent également de démocratiser les outils de gestion de patrimoine qui, jusqu’ici, étaient réservés aux gros gestionnaires. Maintenant des entreprises dont la gestion de patrimoine immobilier n’est pas le cœur de métier peuvent trouver des solutions adaptées à leurs objectifs et à leurs budgets.

L’enjeu pour les maîtres d’ouvrages et gestionnaires n’est pas de maîtriser tel ou tel logiciel mais de maîtriser la donnée : créer un référentiel de données techniques et patrimoniales, unique, dynamique et partagé doit être leur priorité.

Ce référentiel composé de données fiables, qualifiées et mises à jour doit leur permettre d’améliorer la connaissance de leurs bâtiments et des équipements qui les composent pour d’une part, optimiser qualitativement et financièrement leur exploitation et d’autre part, proposer de nouveaux usages et de nouveaux services aux utilisateurs.

Comment aborder la transformation numérique du patrimoine ? 

La création de ce référentiel n’incombe pas seulement au maître d’ouvrage, il fait appel à un autre aspect fondamental du BIM : la collaboration. Le maître d’ouvrage définit le périmètre et les exigences du référentiel, renseigne une partie des données mais ce sont tous les acteurs de l’exploitation au sens large, internes ou externes à l’entreprise, qui doivent renseigner et mettre à jour les données. Ceci implique un changement profond dans les méthodes d’exploitation et de maintenance ; et oblige à sortir d’un fonctionnement en silo pour organiser de nouvelles formes de coopération entre les métiers et les acteurs.

Même si aujourd’hui tous les gains liés à l’utilisation du BIM et du numérique en phase Gestion-Exploitation-Maintenance sont encore difficiles à identifier et à quantifier, des études et des retours d’expériences permettent d’en confirmer tout le potentiel :

- Le manque d’interopérabilité est une source d’erreurs, de retards, de travaux improductifs divers dont l’impact financier a été estimé par la fédération Française du Bâtiment à 35 €/m2 minimum pour les entreprises en phase de construction et de 2,3 €/m2 /an pour les Maîtres d’ouvrages en phase exploitation.

- L’étude de Boston Consulting Group sur l’impact du digital dans la construction prédit une réduction des coûts d’exploitation et de maintenance de 10 à 17 %

- Le retour d’expérience de l’Union Sociale pour l’Habitat sur plus de 200 000 logements fait état d’un gain de productivité de leurs collaborateurs de 5% et d’une réduction de 10% des dépenses techniques.

Même si la création d’un référentiel de données techniques et patrimoniales basé sur le BIM représente un investissement important, le potentiel de création de valeur d’une implémentation bien maîtrisée reste largement supérieur. 

Patrice JOUANJUS Consultant & Expert GEM,  SMART USE

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