Périne Huguet: "Prouver que le combat matière grise contre énergie grise peut être gagné"

Rédigé par

Sylvain Bosquet

Responsable Web editorial

5034 Dernière modification le 25/04/2017 - 08:00
Périne Huguet:

Périne Huguet, lauréate nationale pour la France et finaliste internationale des Green Solutions Awards 2016 dans la catégorie Climats Chauds, revient sur le projet qu'elle a présenté au concours: le siège du Parc National de la Guadeloupe. Une réalisation exemplaire à plus d'un titre qui mérite amplement le feu des projecteurs. 

Périne Huguet: Je suis architecte membre fondateur de l’atelier 13, collectif d’architectes installé en Guadeloupe (FWI) depuis plus de 10 ans. Le collectif d’architectes Atelier 13 a été créé afin de mettre en commun, au service de la qualité architecturale, des compétences variées et complémentaires telles que:

  • la maîtrise de la construction bioclimatique et de haute qualité environnementale en milieu tropical humide ;
  • le design et l’approche scénographique des lieux,
  • la démarche patrimoniale…
L'Atelier 13, Collectif d'architectes créé depuis 2006 
Production orientée vers les bâtiments à forte valeur
environnementale, vers le patrimoine, les bâtiments recevant
du public et le design

Quel a été votre rôle dans la réalisation du Siège du Parc National de la Guadeloupe et qui y a participé?

P.R.: J'étais l’architecte mandataire de l’équipe de maîtrise d’œuvre qui a réalisé le Siège du Parc National de la Guadeloupe. L’équipe était également composée de : Eric Ramlall, Laurent Lavall, Frédéric Pujol architectes, BIEB bureau d’étude structure et VRD, A2E bureau d’étude fluides, Robert Célaire ingénieur consultant HQE, l’Agence TER paysagiste et Laurent Séauve bureau d’étude photovoltaïque et suivi énergétique.

Comment le projet est-il né?

P.R.: Le projet du siège du Parc National de la Guadeloupe a fait l’objet d’un concours d’architecture en 2007. La volonté du maître d’ouvrage était affichée dès la lecture du programme.  Il souhaitait, en plus d’un lieu qui facilite l’identification du Parc National auprès du public et des partenaires, un lieu qui véhicule les valeurs de l’institution Parc National vers le respect, la protection et la préservation de la nature et de l’environnement guadeloupéen, exemplarité, transmission des savoirs et des valeurs.

Quels ont été les fils conducteurs de votre démarche?

P.R.: Nous avons donc conçu le bâtiment du siège du Parc National comme un bâtiment exemplaire à tous les niveaux : exemplaire dans son intégration au site qui le reçoit, exemplaire dans sa maîtrise de la consommation énergétique et dans son bilan CO2, exemplaire dans son confort, la convivialité de ses espaces de travail et de rencontre, exemplaire par l’image de l’institution qu’il véhicule, exemplaire dans son respect de l’environnement proche et plus généralement guadeloupéen.

Quelles solutions avez-vous apportées qui répondent aux défis des climats tropicaux?

P.R.: Nous avons imaginé, puis construit, un bâtiment qui se pose délicatement sur le terrain, en respectant le site, les écoulement d’eau de surface, la perméabilité du sol, les arbres remarquables, la topographie des lieux, les ambiances … Un bâtiment qui s’ouvre aux vents dominants pour créer une climatisation naturelle optimisée. Un bâtiment qui offre à tous les instants des ouvertures et des vues lointaines et sur la nature environnante. Un lieu dans lequel on pénètre comme dans un sous-bois, ou le bruit de l’eau qui coure entre les roches, vous accueille et où la nature pénètre pour apporter fraîcheur et tranquillité.

Pour un bilan CO2 maîtrisé et une belle intégration dans le site naturel nous avons opté pour un bâtiment tout en bois épousant les courbes de niveaux. Comme la filière bois n’existe pas en Guadeloupe, nous avons d’abord opté pour des essences de bois issues de forêts durablement exploitées puis nous avons imaginé couvrir les façades ventilantes des espaces de circulation et de rencontre avec les troncs bruts de jeunes arbres (anciennement exploité pour servir d’étais dans la construction). Cette démarche en collaboration avec l’ONF nous a permis d’introduire dans le bâtiment le bois local souhaité par le maître d’ouvrage et de donner à la lumière intérieure des ambiances de sous-bois typiques de la foret guadeloupéenne.

Pour le confort thermique des espaces de travail, nous avons d’abord maîtrisé les apports de chaleurs extérieurs avec une enveloppe et des abords parfaitement adaptés :

  • isolation des toitures renforcée et/ou une toiture végétalisée,
  • des façades en double peau de bardage bois protégées par les débord de toiture,
  • les fenêtres ventilantes à lames, largement dimensionnées protégées par des pare soleil calculés suivant les orientations,
  • des masques végétaux et des abords totalement végétalisés (y compris les parkings bien entendu).

Puis nous avons optimisé la ventilation naturelle avec un patio central en goulot ouvert aux vents dominants, des bureaux systématiquement traversants et pourvus de très larges et généreuses ouvertures ventilantes, des espaces de circulation et de rencontre en contact direct avec l’extérieur par des simples grilles habillées de jeunes troncs d’arbres issus de la foret guadeloupéenne.

Pour les pannes de vent, toutes les pièces sont équipées de brasseurs d’air en plafond. Nous avons ensuite, avec la participation active des usagers, maîtrisé les consommations en énergie par des appareils performants :

  • éclairage LED généralisé,
  • température de consigne pour le local serveur (le seul climatisé du bâtiment) remontée à 25°,
  • serveur informatique plus performant,
  • eau chaude solaire par chauffe eau à thermosiphon,
  • détecteurs de présence et de luminosité généralisés
  • et bien entendu lumière naturelle optimisée par des larges fenêtres, des doubles expositions systématiques et des pare soleil comme des étagères de lumière pour refléter la lumière naturelle et gagner quelques minutes sur l’heure d’allumage du soir.

Ayant obtenu, grâce à la qualité de l’enveloppe, des équipements et des abords, un bâtiment très peu énergivore, nous avons pu faire aboutir notre démarche Négawatt (sobriété, efficacité, renouvelable) en installant au dessus du patio et de la salle de réunion, un champ photovoltaïque de 36 kw en autoconsommation calculé pour satisfaire à plus de 100% des besoins en énergie du bâtiment. Nous avons ainsi réalisé le premier bâtiment tertiaire à énergie positive en autoconsommation photovoltaïque de Guadeloupe.

Nous avons poussé à l’extrême la démarche bioclimatique, avec tout au long de la conception des points information et échanges avec les futurs utilisateurs et les riverains. Cette démarche nous a permis d’obtenir l’adhésion de tous pour un usage optimisé du bâtiment.

Justement, quels sont les retours des occupants et usagers?

P.R.: Ainsi ce bâtiment tertiaire non climatisé - une performance en climat tropical humide - a été adopté par tous avec un véritable sentiment de bien-être, d’ambiance « zen et conviviale », de rencontre et d’échanges favorisés, de cohésion retrouvée dans l’équipe du Parc National.

Les performances du bâtiment ont été vérifiées dans les 3 ans de fonctionnement, la satisfaction manifeste des usagers (autant utilisateurs que visiteurs) nous a été exprimée à de nombreuses reprise lors de nos visites.

Qu'est-ce que la participation au concours et le prix remporté vous ont apporté?

P.R. : La reconnaissance nationale et internationale, lors du concours Green Solutions Award 2016, de l’ensemble et de la cohérence de notre démarche développement durable nous a apporté une vraie satisfaction et une pleine reconnaissance.

C’est un peu l’aboutissement d’années d’investissement en intelligence et en énergie humaine de toute une équipe (une vraie guerre contre tous les sceptiques)  pour prouver que le combat matière grise contre énergie grise peut être gagné. Une preuve que l’on n’a pas besoin de gros moyens technologiques, mais de beaucoup de bon sens, pour arriver à construire un bâtiment agréable et confortable à vivre et à travailler et très respectueux de son environnement. 

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