Paris veut évaluer l'impact des plans climat avec une cartographie CO2 en temps réel

Rédigé par

Leonard / Matthieu Lerondeau

Head of Communications & Communities, Leonard

1856 Dernière modification le 20/12/2019 - 12:02
Paris veut évaluer l'impact des plans climat avec une cartographie CO2 en temps réel

A Paris, un projet pilote vise à mesurer en continu l’impact des mesures du plan climat en analysant les concentrations en CO2. Si le principe semble simple, la mise en pratique d’une telle analyse sur des gaz à effet de serre est très compliquée. Au-delà de l’aspect technique, se pose aussi la question de la réplicabilité de l’expérimentation dans d’autres villes françaises. Un aspect qui soulève l’épineuse question du fossé qui sépare les grandes métropoles des autres villes en termes de moyens économiques et humains. Le point avec Thomas Lauvaux, partenaire scientifique du projet porté par la start up Origins.earth et chercheur au Laboratoire des sciences de l'environnement et du climat (LSCE). Aux côtés d’Arianna De Toni (EcoAct), Karine Bidart (Agence Parisienne du Climat) et Cécile Maisonneuve (La Fabrique de la Cité), il était l’un des intervenants de la conférence sur « Les métropoles, au cœur de la transition environnementale » de Leonard. Il s’agit de la 2e conférence du cycle d’événements sur l’environnement qui se déroule jusqu’en mai prochain.

Pourquoi créer un outil de suivi en continu des émissions de CO2 destiné aux villes ?

T.Lauvaux : A l’heure actuelle, je pense que la plupart des pays ont pris conscience des enjeux autour de la transition écologique. En revanche, à leur échelle, il est difficile d’agir rapidement. Chaque décision bouleverse en effet un grand nombre de paramètres économiques et sociétaux. Le temps d’application des accords arrachés lors des COP est donc nécessairement long. En s’adressant aux villes, nous descendons d’un échelon. Elles ont en effet la faculté d’agir directement sur leur territoire et ce, sur des temps très courts. Il est plus aisé de modifier les infrastructures, le transport ou le mode de chauffage pour réduire les émissions de CO2, que de demander à plusieurs filières de changer leurs habitudes de travail et de création de valeur à l’échelle nationale, voire internationale. Les maires ont accès à ses leviers puissants pour changer le cadre de vie de leur concitoyen. D’un point de vue très pragmatique, ils disposent aussi de seulement cinq ans pour changer la donne et envisager ainsi une réélection sur un bilan positif.

Si l’on s’intéresse à l’information disponible, la balance penche en revanche plutôt en faveur des Etats. Ces derniers ont des équipes dédiées au plan climat, ils peuvent commander des études complètes ou bénéficier de travaux globaux comme ceux du GIEC. Pour les villes, l’information disponible est plus réduite. Pourtant afin d’élaborer des politiques, il est essentiel de connaître la situation à l’instant t. Notre outil n’est pas encore totalement opérationnel, nous en sommes encore à la phase des expérimentations mais il comble en partie cette lacune.

Thomas Lauvaux lors de la conférence 'Les Métropoles au coeur de la transition environnemental" chez Leonard

La plupart des grandes villes ont déjà commandé des études sur la situation de leur territoire, à quelles informations supplémentaires vous leur donnez accès ?

T.Lauvaux : La problématique de l’information se décline en plusieurs aspects. Le premier est la temporalité de cette dernière. Du fait des mandats plutôt courts, les équipes municipales créent des plans climats à cinq ans et l’information est souvent complexe à récupérer. En France par exemple, sauf cas particulier, il n’existe pas de loi obligeant les industriels ou les gestionnaires de parc immobilier à déclarer l’impact de leurs activités ou leurs consommations d’énergie. Aussi, les données sont collectées au compte-goutte, puis traitées et mises en forme. Pour qu’un rapport précis sorte, il se passe ainsi souvent quatre à cinq ans.

Le deuxième aspect est celui de la vérification de l’information et des calculs théoriques à la base des décisions politiques. En fournissant une carte instantanée, nous pouvons apporter des données permettant d’affiner les résultats et de réduire les marges d’erreur qui sont aujourd’hui trop importantes (de l’ordre de 30%), alors que les arbitrages se font parfois sur des baisses de 3% d’émissions. En revanche, nous ne prétendons pas nous substituer à l’information existante, les données récupérées en temps réel, sont, comme je le disais, une couche supplémentaire de data permettant de construire des modèles s’approchant au mieux de la réalité. L’information brute de la concentration en CO2 que nous relevons ne peut être liée directement à tel changement de chaudière ou telle construction de piste cyclable. Les gaz à effet de serre voyagent avec le vent, se concentrent en fonction des caractéristiques du lieu, etc.

Enfin, un des aspects fondamentaux de ce monitoring en temps réel est l’information aux citoyens. Un rapport est assez indigeste pour le grand-public. Des données comme celles de Airparif sont en revanche bien plus pédagogiques. Cela permet d’expliquer aussi des phénomènes naturels. Ainsi, sur une année froide, le CO2 va augmenter et nous pouvons le montrer de manière concrète.

Pourquoi est-ce difficile de mettre en place un monitoring en temps réel des émissions de CO2 ?

T.Lauvaux : La première difficulté est de savoir d’où vient la source émettrice du CO2. C’est le sens de nos recherches, afin d’isoler des influences extérieures qui ne proviennent pas du territoire de la ville. Une ville comme Paris, n’a ainsi pas d’action possible pour réduire la pollution d’industries situées dans sa lointaine couronne. Nous prenons donc en compte les vents et l’environnement immédiats des villes pour pondérer les relevés et réussir à savoir ce qui provient directement des sources locales de rejet de CO2.

Ensuite, et on le voit avec l’arrivée prochaine de la RE2020, l’énergie grise des bâtiments et infrastructures est un enjeu majeur. Or les dégagements en CO2 liés à la production ou au recyclage des matériaux ne sont présents ni à l’instant t, ni même sur le territoire de la ville. Il est donc essentiel de prendre en compte le fait que nous avons un outil performant, mais qui doit être complété par d’autres informations.

Cet outil sera déployé d’abord à Paris, est-il transposable aux autres villes françaises ou européennes ?

T.Lauvaux : La réponse est plus complexe qu’un simple oui ou non. Pour adapter ce modèle de suivi à une ville, nous devons disposer d’informations complémentaires, ce qui implique d’avoir des moyens pour les obtenir. Aujourd’hui, les grandes villes se regroupent dans des organisations à l’échelle internationale. Paris fait ainsi parti du C40, ce qui lui donne un accès à des outils et des capacités d’analyse poussées. Du fait de sa richesse et de sa population, Paris a aussi la possibilité d’employer une équipe pour créer son plan climat. La réalité est tout à fait différente dans une ville comme Marseille. Même à cette échelle, les moyens sont trop limités pour que le traitement de l’information soit idoine. Il est donc essentiel d’accompagner les villes françaises pour que la transition écologique soit une réalité et cela passe par un soutien de l’Etat. Selon les pays et les critères utilisés pour définir ce qu’est une grande ville, la population habitant les très grandes villes ne dépasse pas 20 à 30%, un des enjeux de la transition est donc de se donner les moyens d’étendre les actions aux 70 à 80% restants.

De nombreuses villes françaises ont-elles un plan climat ?

T.Lauvaux : Je laisse les spécialistes de la question répondre plus précisément, mais de mon expérience, la plupart des villes ont pris la mesure des problèmes qui les attendent et créent des feuilles de route. Reste que mettre en place un plan demande déjà de faire un premier bilan et donc des informations initiales. Et quand bien même celles-ci existent, nous avons souvent des problèmes de cohérence. Pour des questions de coûts, les petites, moyennes et grandes villes françaises s’adressent à des cabinets de conseil dont les méthodologies de calculs diffèrent. Lorsque l’on recoupe les différents rapports, on s’aperçoit que certaines données sont redondantes, d’autres tout simplement absentes. Je ne remets pas en cause le travail des consultants, il s’agit juste de choix tout à fait pertinents mais qui peuvent varier : pour l’énergie nécessaire aux bâtiments, à qui attribue-t-on les émissions, aux habitants ou aux centrales, quels gaz à effet de serre prend-on en compte, quels sont les secteurs à intégrer dans le calcul, etc.

Actuellement une des réponses à ces difficultés est l’arrivée de grands groupes comme Suez, partenaire du projet sur Paris. Ils proposent souvent d’aider les villes dans leurs plans climat en complément d’autres services. Comme ils sont présents dans différentes typologies de villes, ils ont une vision transverse sur les méthodologies à appliquer et y offrent un cadre d’analyse relativement stable, qui peut être adapté d’une ville à l’autre à moindre coût.

 

Propos recueillis par Clément Gaillard, Construction21

 

économie circulaire, dossier

De septembre 2019 à mai 2020, Leonard vous invite à explorer les transitions engagées et celles qui restent à entreprendre dans les territoires et les métiers de la construction et des concessions pour relever les défis imposés par l'impératif de la transition climatique. 

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