Manuelle Gautrand, pour "une démarche humaniste et écologiste"

Rédigé par

Stéphanie Obadia

Directrice de la rédaction

2145 Dernière modification le 03/01/2023 - 09:23
Manuelle Gautrand, pour

 

Architecte née à Marseille et installée dans une agence parisienne depuis 25 ans, Manuelle Gautrand rayonne aujourd’hui en France, comme à l’international. Elle nous livre sa vision de l’architecture. 

Vous êtes à la tête de l’agence Manuelle Gautrand Architecture. En 2017, vous avez été remarquée pour la réalisation de la vitrine mondiale de Citroën, le C42, sur les Champs-Elysées, et vous avez reçu le prix européen d’architecture. Un tournant ?


Ce prix, remis par The European Centre for Architecture Art Design and Urban Studies et The Chicago Athenaeum, est l’un des plus hauts prix d’architecture européens. Il célèbre la carrière d’un architecte européen. C’était une grande surprise pour moi, puisque c’est un prix pour lequel on ne postule pas. J’en retiens une grande fierté, d’autant que j’étais la première architecte française et première femme à recevoir ce prix. C’est pour ma part le couronnement d’une démarche humaniste et écologiste qui correspond aux valeurs européennes.


Vous avez livré près de 30 bâtiments en France et à l’international. Bien souvent remarqués, publiés et très souvent primés. Quelle est la philosophie de votre agence ?


Nous avons toujours travaillé sur des projets très variés dans leur programmation et leur localisation. Pour des grands clients publics et privés, en France et à l’étranger : équipements culturels, bureaux, logements, équipements commerciaux, hôtels, etc. L’ADN de l’agence est l’enrichissement des projets. Cela passe par une approche très conceptuelle et analytique. Nous abordons les projets par différentes portes d’entrée : l’environnement, le site et bien sûr les attentes et les envies du maître d’ouvrage. C’est ensuite que l’on creuse le programme afin d’aller plus loin, d’innover, plus en harmonie avec les mutations sociétales et environnementales. Il ne s’agit pas de simplement se poser sur un site mais d’établir toute une narration interactive avec le maître d’ouvrage afin de dessiner un projet unique. 


C’est d’ailleurs très enrichissant puisque cela ouvre les champs des possibles. Il suffit d’établir un dialogue, d’imaginer ensemble l’évolution du projet pour récolter des idées bonus. L’important est d’amener le projet dans autre chose qu’une traduction littérale, souvent peu innovante et peu créative.

 

A chaque nouveau projet, une nouvelle écriture ?


Toute œuvre architecturale doit être avant tout au service de la ville et de ses citoyens et chacun de nos projets est imaginé en ce sens, avec une approche innovative et sensible. Loin d’une architecture internationale et standardisée, nous cherchons toujours à nous inspirer de la ville et de son site pour y imaginer un projet éminemment contextuel et sensible, fonctionnel et économe, mais aussi porteur de beauté et de poésie. A chaque nouveau projet, c’est une nouvelle page blanche qui s’ouvre.

 

Vous prônez également une articulation entre espace privé et public…


Cela fait en effet partie de nos fondamentaux. Nous prônons en effet des lieux mixtes et ouverts sur la ville. L’articulation doit être la plus fine possible entre les espaces publics et privés. Cette promenade de la rue vers les parties communes élargies revient dans tous nos projets. Une petite expérience qui ne nous laisse pas indifférents. Et cela fonctionne très bien : nous avons livré il y a deux ans et demi Edisson Lite dans le cadre de Réinventer Paris I. Sa particularité : des espaces partagés et programmés. Les 76 m2 du rez-de-chaussée de l’immeuble sont des parties communes que la copropriété loue et dont elle peut tirer des revenus. Les loyers commerciaux permettent de financer les charges et le surplus investi dans un fonds de financement pour les travaux futurs du bâtiment.

 

Et l’environnemental ?


Nous souhaitons que chacun de nos projets participe activement à notre effort collectif contre le réchauffement climatique et la pollution grandissante de nos villes. Là encore, bien loin de toute standardisation et de toute duplication simpliste de labels, nous essayons de trouver pour chaque projet la solution environnementale la plus pertinente : une solution unique pour chaque projet, prenant profondément appui sur les qualités locales mais aussi culturelles du site, son histoire, sa géographie et sa topographie.

Autour de cette ambition environnementale, nous développons une approche tout autant scientifique que sensible des matériaux que nous souhaitons mettre en œuvre, des matériaux bas-carbone, biosourcés et le plus possible locaux.

 

La conjoncture est aujourd’hui assez tendue avec la flambée des prix. L’expression est-elle toujours aussi libre ?


Il est primordial, quel que soit le contexte et malgré une conjoncture tendue, de travailler sur le sens de l’architecture, sa symbolique. De conserver une écriture qui n’est pas générique. Cela exige en revanche une très grande concision.

 

Qu’est-ce que, pour vous, une architecture réussie ?


Je dirais : une architecture sensible et généreuse qui amène de la valeur. Elle doit aussi raconter une histoire, vous emmener dans un voyage. Nous aimons passionnément générer ce désir d’architecture auprès des maîtres d’ouvrage, et susciter chez eux cette envie de voyager dans nos projets. Nous sommes des conteurs, et cette part de notre métier est peut-être une des plus poétiques.

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