Maîtrise d'usage: placer l’usager au centre de la réflexion dès la genèse du projet

Rédigé par

Anne-Laure Boursier

Project manager for Circular economy solution implementation

6714 Dernière modification le 13/11/2018 - 10:13
Maîtrise d'usage: placer l’usager au centre de la réflexion dès la genèse du projet

Anne-Laure Boursier, rédactrice-en-chef du dossier "L'humain au coeur du bâtiment, rencontre Amandine Chizelle, responsable de la maîtrise d’usage chez Nacarat.

Qu’est-ce que la maîtrise d’usage ?

La maîtrise d’usage est un métier créé il y a un an chez Nacarat et qui commence à apparaître chez de nombreux acteurs de la ville, du fait de l’évolution rapide des usages et de l’émergence tout aussi rapide de nouveaux usages dans la ville, le tertiaire et le logement.. L’objectif de cette démarche est de placer l’usager au centre de la réflexion dès la genèse du projet.

En quoi est-ce nouveau ?

L’approche dominante et habituelle des promoteurs est de type ingénierie. Les bâtiments sont conçus pour être techniquement très performants selon différents paramètres, que ce soit au niveau de la structure ou de la consommation énergétique, ou encore du confort thermique et acoustique. Or aujourd’hui, de nouveaux besoins émergent et avec eux de nouvelles exigences. Les bâtiments doivent pouvoir faire preuve de flexibilité, de réversibilité, de praticité, permettre la multiplicité des usages, ou encore intégrer de nouvelles fonctionnalités. Il est plus facile de répondre à ces besoins si on les prend en compte très en amont dans le process. C’est pourquoi le rôle de la maîtrise d’usage est de s’assurer qu’avant même de commencer à dessiner le projet, on se demande à qui est destiné le bâtiment et à quoi il va servir. Cela permet d’apporter une cohérence entre la conception technique et les usages qui prendront place dans le bâtiment.

Il y a quelques années, on construisait le siège d’une administration en sachant que celle-ci l’occuperait pendant les 30 ou 40 prochaines années. Ce n’est plus le cas et nous ne pouvons plus nous fonder sur ce genre de certitude. Il faut donc se demander : si demain, on souhaite mettre en place de nouveaux usages dans le bâtiment, par exemple y installer transformer des bureaux en logements, un parking silo en bureaux, etc., quelles sont les implications ? Il faut prévoir dans le cahier des charges technique la possibilité de faire évoluer le bâtiment vers ces nouveaux usages, par des mesures conservatoires ou d’autres dispositifs.

De manière générale en promotion, deux cas se présentent : soit le client est identifié assez tôt dans le projet, soit il ne l’est pas. Dans le premier cas, il est possible de travailler en co construction avec le client. L’idée est alors de travailler en vue d’un sur-mesure pour lui, tout en préservant cette exigence de la réversibilité. Dans le deuxième cas, le client n’est pas identifié. Il s’agit alors de s’assurer que les décisions programmatiques qui sont prises et qui influent sur la technique vont permettre de trouver preneur. Une fois le bâtiment livré, un suivi post commercialisation permet d’évaluer l’adéquation entre ce qui a été préconisé et mis en place en matière d’usage, et les usages réels.

La maîtrise d’usage est-elle pertinente quel que soit le contexte ?

Elle prend tout particulièrement sens dans les projets multifonctionnels dont les contraintes liées à la mixité des usages sont nombreuses. La maîtrise d’usage permet alors de réfléchir aux flux, aux contraintes diverses liées aux activités des preneurs (bureaux, restaurant, RIE, crèche, salle de fitness) mais aussi aux services que nous proposerons dans le bâtiment.

La palette de services s’enrichit chaque jour et la maîtrise d’usage nous permet de dimensionner l’offre de services la plus appropriée au projet et à son contexte que ce soit dans le cadre de la gestion technique du bâtiment ou des services destinés aux occupants.

Par exemple, afin de favoriser l’appropriation des espaces extérieurs par les collaborateurs travaillant dans un immeuble tertiaire, nous proposons avec nos partenaires, comme Topager par exemple, d’animer les toits ou les terrasses avec des projets d’agriculture urbaine : potagers, ruches, hôtels à insectes. Mais nous ne limitons pas notre intervention à l’installation des bacs pour plantation : nous accompagnons nos clients dans la mise en service et proposons aussi des ateliers afin de favoriser l’appropriation du projet par les usagers du bâtiment, principalement des salariés d’entreprise. Si demain le bâtiment se transforme et qu’il n’y a plus cet intérêt pour les potagers partagés, il est possible de remplacer les cultures maraîchères par des plantes ornementales comme la lavande, qui ne demandent pas de soin particulier.

Les équipes qui n’ont pas l’habitude de travailler avec une maîtrise d’usage collaborent-elles facilement ?

Les équipes se sont vite rendues compte de l’intérêt de travailler différemment, d’avoir un nouveau point de vue sur les plans, et cela a été d’une grande aide dans l’ajustement de la programmation des projets. Cela est d’autant plus pertinent qu’il y a une prise de conscience politique d’une réalité urbaine défaillante dans certains quartiers, associée à un contexte économique tendu, qui nous obligent à travailler autrement.

Quel est impact sur le coût du projet ?

La démarche de maîtrise d’usage se fonde sur la conviction qu’il existe un rapport inversé entre l’investissement en ressources pour l’entreprise (coût humain, matières, logistique, design etc) et l’influence que ces investissements ont sur la valeur perçue par les clients. Cette conviction est illustrée par la figure ci-dessous, qui a été imaginée par Philippe Picaud et citée dans le rapport Design impact de la Mission Design France. Elle montre que le travail sur l’image, l’émotion et la valeur d’usage, qui sont au cœur de la maîtrise d’usage mais aussi des démarches design, ont un impact considérable sur le client mais ne mobilisent qu’une faible partie des ressources financières nécessaires au projet immobilier dans son ensemble.

Interview menée par Anne-Laure Boursier, philosophe, Rabot Dutilleul

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