Faire pousser la nature en ville avec l’outil SESAME

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

2618 Dernière modification le 02/03/2023 - 15:19
Faire pousser la nature en ville avec l’outil SESAME

 

Les 12ème Assises nationales de la Biodiversité auront lieu du 7 au 9 septembre 2022 à Besançon. L’occasion de découvrir SESAME, fruit d’un travail piloté par Luc Chrétien, forestier de formation, œuvrant aujourd’hui au Cerema. Ensemble, nous parlons de cet outil, mais aussi plus largement des questions posées par la végétalisation des espaces urbains. 


Quel est ce projet, Sésame, sur lequel vous travaillez ?  

 

L’acronyme SESAME signifie « les Services écosystémiques rendus par les arbres, modulés selon l’essence », c’est-à-dire que cela traite de tous les services rendus par la nature à l’humanité, et que ces services sont très différents d’une espèce à l’autre.  

En ville, on plante des centaines d’espèces d’arbres : certaines sont très intéressantes pour un service donné, d’autres beaucoup moins pour un autre. L’idée du projet, c’est donc de faire l’équilibre, de trouver la bonne essence au bon endroit.  

Plus largement, SESAME veut promouvoir l’usage de la végétation en ville et son respect : il y a plusieurs dizaines d’années, l’arbre était presque considéré comme une sorte de mobilier urbain, que l’on pouvait installer et couper à notre guise sans en faire grand cas ! 


Comment est né SESAME ?  

 

La ville de Metz a proposé au Cerema de travailler sur l’intérêt des arbres par rapport aux polluants atmosphériques. Nous nous sommes documentés sur le sujet, et petit à petit nous nous sommes rendu compte que ce n’était peut-être pas le meilleur angle d’attaque que d’aborder un seul service rendu par les arbres, mais plutôt l’ensemble, pour essayer de dresser la carte d’identité de chaque espèce par apport à cette gamme de service.  
 

Pensez-vous qu’actuellement en France les espaces urbains sont correctement végétalisés ?  

 

On le fait de plus en plus, mais pas suffisamment. C’est surtout très variable en fonction de collectivités. Il y a beaucoup de métropoles françaises qui le font dans les règles de l’art, mais aussi beaucoup d’autres villes pour lesquelles ce n’est pas acquis, et où on est encore dans une ère de l’automobile. C’est parfois simplement le poids des habitudes : on peine à imaginer un changement radical. Tout cela est en train de bouger petit à petit, mais cela prend encore du temps.  

Par ailleurs, dans certaines agglomérations où on plante des arbres, on en coupe encore beaucoup, et on ne mise pas encore assez sur le capital du végétal existant. Enfin, dans plusieurs cas, la végétation est vue comme de la décoration et ajoutée à la fin, quand le projet est terminé. Nous plaidons plutôt pour le fait d’intégrer la végétation au projet, dès sa conception.  
Pour moi, le tableau est donc encore très contrasté.  
 

Quels avantages représente le développement de la biodiversité dans les espaces urbains pour les habitants des villes au quotidien ?

 

L’argument qui est le plus mis en avant en ce moment, c’est la régulation locale du climat : les arbres rafraîchissent l’atmosphère de la ville de plusieurs degrés selon les études, ce qui fait une grosse différence en temps de fortes chaleurs, et contrairement au climatiseur, lui ne rejette pas de chaleur de l’autre côté. Mais il ne faut pas non plus ramener l’arbre à cet unique effet.  

Il a aussi pour rôle de réguler les polluants, soit en les absorbant lors de sa respiration, soit en prenant les particules fines qui se déposent sur ses feuilles.  

Ensuite, l’arbre constitue un support de biodiversité. Si nos villes ne comportaient aucun arbre ou arbuste, il n’y aurait aucune place pour la faune sauvage. La végétation est une source de nourriture, elle constitue un abri, un lieu de reproduction…  

Elle participe aussi à la régulation du régime des eaux : le sol est ameubli, l’infiltration facilitée le long des racines…  

Je pense aussi au côté nourricier : on a longtemps rejeté les arbres fruitiers en ville, mais cela se développe de plus en plus, et cela participe à la prise de conscience des populations : si vous mangez des cerises tous les matins sur la route pour aller au travail, vous allez accorder plus d’importance à cette végétation qui vous entoure.  

Enfin, l’une des fonctions les plus importantes, c’est celle d’agrémenter et diversifier le paysage. Cela créé de l’événement : la floraison de magnolias en ville, cela marque la saison, et c’est esthétique.  
 

Comment favoriser l’acceptabilité d’une végétalisation plus importante des villes ? 

 

Il ne faut pas avoir une vision idéalisée des choses : le milieu urbain est un milieu très hostile pour les arbres, et qui va l’être de plus en plus avec le changement climatique. D’un autre côté, quand vous parlez à des gens dans la rue des arbres qui sont à côté de chez eux, en général, ils vous parlent de l’ombre, les dépôts sur la toiture… Les « méfaits » de la végétation sont facilement éprouvés, contrairement aux services rendus.   


En fait, il faut choisir le bon arbre au bon endroit pour minimiser les contraintes : ne pas planter un marronnier proche d’une piste cyclable, par exemple. Et puis, il faut accorder toute sa place au végétal dès le départ quand on aménage un espace.  
 

Y-a-t-il des végétaux « exemplaires » qui s’adaptent particulièrement bien aux villes ? 

 

Ce que nous prônons, c’est la diversité. Il faut cependant savoir que les espèces ne sont pas du tout égales entre elles, et qu’il n’existe pas d’espèce miracle : chacune a ses avantages dans certains domaines et ses inconvénients dans d’autres. Par exemple, l’une des espèces phares du nord-est de la France, le hêtre, est très mal doté pour survivre en ville en temps de réchauffement climatique, tandis que l’érable champêtre est un véritable champion en la matière : il résiste à la pollution, la chaleur, la sécheresse, les sols pauvres…  
 

Quelles ont été vos principales difficultés pour mener à bien ce travail de recherche ? Quel a été votre mode opératoire ?  

 

Pour SESAME, il y a principalement eu un travail de compilation bibliographique, en croisant les sources et en les comparant, également avec les études de terrain qui sont réalisées. Ensuite, on confronte les informations recueillies avec les services gestionnaires de la ville, ce qui nous permet d’affiner nos résultats. Malheureusement, on manque de bases de données en la matière en Europe. Et pour certaines espèces exotiques, parfois il n’existe même pas de données en France. 
 

Y-a-t-il des modèles de villes que vous considérez comme exemplaires en termes de végétalisation ? 

 

Pour moi, le précurseur en la matière, c’est la ville de Lyon. D’autres villes sont vertueuses en la matière, comme Metz, ou encore beaucoup de villes de l’ouest : Angers, Nantes, Brest, Poitiers, Rennes… 
 

Comment voyez-vous le développement des arbres en ville en France dans le futur ?

 

La place qu'il reste dans les villes pour les végétaliser est souvent assez faible, et les politiques publiques nous poussent à densifier les villes pour moins consommer d'espaces naturels en périphérie. Cette apparente contradiction devra être dépassée afin de construire des villes denses, certes, mais surtout vivables : les arbres y contribueront sans nul doute, et l’espace requis n’est pas toujours si important. 

 

Quelle sera la proche grande étape pour l’outil SESAME ?   

 

SESAME sera présenté lors des Assises de la Biodiversité, du 7 au 9 septembre prochain. Il s’agit d’un temps d’échanges important pour nous, en particulier avec les collectivités, qui sont des structures auprès desquelles le Cerema intervient de plus en plus. Pour moi, c’est aussi l’occasion de « marquer le coup » en termes de prise en compte de l’urgence écologique : on a l’impression que la société bouge encore assez peu sur ces sujets. On a donc besoin de moments comme ceux-là pour que les gens qui ont une prise de conscience soient de plus en plus nombreux.   

 

Propos recueillis par Amandine Martinet - Construction21

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