Cinq questions à Cyrille Merle : les enjeux du bas carbone

Rédigé par

Juliette M'Fouilou

Chargée de communication web

3895 Dernière modification le 21/03/2019 - 11:30
Cinq questions à Cyrille Merle : les enjeux du bas carbone

Appartenant à la Direction de l'Ingénierie & Développement des Systèmes Energétiques Locaux au sein d’EDF – Direction Collectivités, Cyrille Merle travaille au quotidien sur des problématiques bas carbone. Nous lui avons posé cinq questions pour en savoir plus sur cette démarche de plus en plus présente dans la conception de bâtiments.

 

1. Quels sont les enjeux du bas carbone ?

Cyrille Merle : Le premier est celui de l’impact climatique, il faut diminuer les émissions de CO2 à tous les niveaux si l’on souhaite limiter la hausse des températures. EDF est évidemment directement concerné par cet objectif, même si, pour nos activités françaises, la problématique est un peu différente par rapport à d’autres pays. Le mix énergétique y est en effet peu émissif compte tenu de la part importante du nucléaire. Le Groupe est néanmoins pleinement conscient des défis qui nous attendent et s’implique. En témoignent les initiatives locales que nous soutenons dans l’autoconsommation d’électricité ou la mobilité durable.

 

Ensuite, il faut rappeler que la réduction de l’empreinte carbone d’une activité va au-delà du champ d’action d’un seul acteur, aussi important soit-il. Pour un bâtiment, par exemple, celle-ci englobe d’abord la phase de construction, puis les rénovations ultérieures et l’usage qu’en font les occupants. Ces derniers ont bien évidemment besoin d’énergie pour les usages du quotidien y compris pour se déplacer depuis ou vers le bâtiment. Les enjeux du bas carbone sont donc globaux et cela doit être pris en compte dès la genèse d’un projet.

 

2. Sur les quartiers où vous intervenez, comment se traduit cette préoccupation pour le bas carbone ?

CM : Personnellement, je suis responsable de l’offre aménagement du groupe EDF. Je dois donc coordonner nos différents niveaux d’intervention. Nous nous adaptons donc à l’environnement en ayant en tête différents leviers qui interagissent et sur lesquels nous avons plus ou moins la main en fonction des projets.

 

Sur le plan de l’offre électrique, au-delà de la connexion aux réseaux, nous proposons de développer le recours aux énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire, et de mettre en œuvre des projets d’autoconsommation collective. Parmi nos projets, deux opérations sont en plein développement : le Logis Cévenol, composé de logement sociaux, et Lyon Confluence, qui est en phase de démarrage, où les consommateurs sont à la fois des particuliers, des commerçants et des bureaux. Sur ce type d’initiative, nous sommes rapidement confrontés à la nécessité d’absorber les pics de production à des périodes où les besoins électriques sont les plus bas dans l’année, se pose alors les questions du juste dimensionnement des installations au regard des coûts de stockage pour assurer l’équilibre économique de l’opération. Il faut bien reconnaître qu’au jour d’aujourd’hui ces opérations complexes à gérer ne peuvent exister sans subventions.

C’est là qu’intervient un deuxième levier, celui du smart grid thermique. Les échanges de chaleur sont une des clés pour économiser l’énergie à l’échelle d’un quartier. La mutualisation énergétique entre bâtiments de logements et d’immeubles tertiaires permet de valoriser des solutions de type réseau à basse température. Par exemple, en recourant à la géothermie de surface, nous avons accès à une ressource à température constante, qui peut être chauffée ou refroidie au gré des besoins avec un minimum de consommation extérieure.

 

Enfin, pour rendre ces réseaux intelligents et coupler les besoins thermiques et électriques, la production d’eau chaude sanitaire peut faire le lien entre électricité et thermique. Les ballons d’eau chaude sont des « batteries potentielles » et peuvent représenter en période estivale une opportunité de stockage intéressante.

 

Outre la rénovation et la construction bas carbone, l’une des voies pour créer des territoires bas carbone serait de limiter les déplacements ou d’électrifier une grande partie du parc automobile. Évidemment, il faut rester pragmatique, même si nous allons devoir optimiser nos modes de déplacements nous ne pourrons pas les abolir de nos vies, c’est pourquoi, la piste du véhicule électrique me paraît la plus réaliste. De nouveaux enjeux naissent, ceux de notre capacité à fournir la puissance nécessaire en électricité de ces nouveaux quartiers, de ces territoires qui accueilleront demain de plus en plus de véhicules électriques. Ce sont de nouvelles opportunités pour développer de la recharge intelligente mais également stocker de l’électricité localement. Avec le smart charging, nous allons pouvoir effectuer la recharge quand l’énergie est la plus abondante et, à terme, nous utiliserons les batteries des véhicules comme des ressources de stockage. La mobilité électrique s’inscrit donc intelligemment dans un tout à l’échelle d’un quartier et même d’un territoire plus vaste.

 

La multitude des installations rend leur pilotage en temps réel complexe. Celui-ci est pourtant essentiel, afin d’arriver à une optimisation maximale de la gestion de l’énergie. [SB10] [CC11] Aujourd’hui, les solutions connectées se déploient à la maille du logement, du bâtiment, du quartier et même jusqu’à la ville. Une de nos filiales, Citelum, propose par exemple une plateforme de gestion intelligente de la ville (MUSE). Les mâts d’éclairage public peuvent recevoir des capteurs qui permettent de comprendre en temps réel la ville, que ce soit la qualité de l’air, la fluidité du trafic, le stationnement, etc. Ces capteurs sont alors autant de données, qui combinées entre elles, permettent de faciliter la gestion du trafic et d’éviter par exemple les véhicules qui tournent vainement à la recherche d’une place, mais aussi d’assurer la maintenance de l’éclairage et des ouvrages publics. En étant en mesure de signaler une route en mauvais état ou un équipement défectueux, nous optimisons les tournées des équipes techniques qui peuvent ainsi se concentrer sur des missions plus utiles et contribuer à limiter par la même occasion les émissions de CO2.

 

3. Est-ce qu’un quartier bas carbone peut-être reproduit à l’identique ?

CM : Il existe des grandes verticales dans notre offre (thermique, électrique, pilotage), mais celles-ci ne peuvent être systématisées à l’identique. Chaque lieu est différent quant à son potentiel en énergies renouvelables, mais aussi concernant les éléments programmatiques liés au projet. Je suis paysagiste de formation. Lorsque je découvre un projet j’ai pour réflexe d’analyser le site et son environnement. Notre travail se rapproche de celui de l’urbaniste ou de l’architecte puisque nous imaginons des solutions locales en privilégiant le confort, le bien-être ou la facilité d’usage. Au-delà du potentiel que nous identifions, nous essayons de toujours maximiser le renouvelable, tout en restant dans un coût et un dimensionnement cohérent. Les deux premiers piliers du développement durable sont l’environnement et le social, mais le troisième reste l’économie. L’objectif est de créer des projets à un coût maîtrisé et maîtrisable à moyen et long terme en prenant en compte la dimension énergétique dans sa globalité ; les usages dans le bâtiment mais également les déplacements.

 

4. Quelles sont les perspectives de l’aménagement bas carbone et ses apports ?

CM : Il faut tout d’abord préciser que les choix urbanistiques restent primordiaux dans cette approche. L’un des premiers impacts indirects d’un quartier est la problématique des déplacements. Penser bas carbone, implique des modifications des modes de vie, de repenser le travail, de trouver des solutions qui permettent de rapprocher les lieux de vie, de travail et de loisirs. En parallèle, de nombreuses initiatives voient le jour pour transformer notre manière de voir et de vivre la ville. Je pense notamment à l’agriculture urbaine ou aux espaces de coworking. Le travail d’EDF s’insère dans une vision partagée par différents corps de métier et nous apportons notre pierre à l’édifice sur les questions énergétiques, tout en proposant une intervention qui va au-delà du simple périmètre de l’énergéticien au sens traditionnel de la fonction. Les réflexions sur le bas carbone ne font que débuter et les perspectives sont importantes.

 

5. A vous entendre, le bas carbone va plus loin que le métier actuel de EDF. Est-ce une piste que le groupe explore ?

CM : Le bas carbone est un métier à part entière qui se développe. Historiquement, EDF est producteur d’énergie, mais le Groupe innove et évolue pour accompagner ses clients. Différentes filiales du groupe sont déjà en mesure d’apporter des réponses concrètes sur la ville de demain et son aménagement, que ce soit Citelum, Dalkia, Izivia ou EDF renouvelables... De nouveaux profils nous rejoignent, ce qui nous permet de parler la même langue que nos partenaires sur les projets. Les enjeux du bas carbone sont autant l’affaire du foyer que du territoire et du politique. Rien ne sert de concevoir la plus performante et innovante des solutions, si celle-ci est mal utilisée ou mal maintenue. Au-delà de la conception, notre travail est donc aussi de sensibiliser les habitants et décideurs aux bons usages et de comprendre en retour ce qui permet de les engager dans la démarche bas carbone. Cela peut se traduire, par exemple, par le développement de nouveaux services plus ergonomiques comme l’offre Sowee, offre de fourniture énergétique couplée à une station connectée qui permet notamment de piloter son chauffage par des consignes de température ou de budget, ou sa recharge de véhicule depuis son canapé.

 

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Propos recueillis par Clément Gaillard - Construction21


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