Les démarches collaboratives, leviers de réussite pour un projet urbain

Rédigé par

Joris Gaudion

AMO chef de projet senior

627 Dernière modification le 08/07/2021 - 07:13
Les démarches collaboratives, leviers de réussite pour un projet urbain
Camille Boesplug interroge Christophe Dumas et Joris Gaudion, Co-fondateurs de LaVilleE+ sur leur vision de la concertation citoyenne et plus précisément les démarches participatives intégrées aux projets urbains.

Quels sont les leviers pour réussir un projet urbain ?

 

Chaque projet urbain réussi se construit dans un contexte de territoire spécifique. Pour  en permettre la réussite, plusieurs leviers sont activables. Le projet doit répondre aux enjeux de société sur le climat, le vivre ensemble, la raréfaction des ressources fossiles mais aussi apporter des réponses opérationnelles pour offrir un confort de vie et d’usage dans le domaine de l’habitat, du travail, de la mobilité, de l’alimentation  ou encore de la santé.

La qualité du projet se définit sur deux axes principaux, l’alignement avec la vision stratégique et l’ancrage local. Difficile, même en étant un expert, un chercheur, un professionnel, un élu ou un usager d’avoir raison seul. Dans ce contexte, la démarche de participation des parties prenantes s’affirme aujourd’hui comme un levier clé pour impliquer les acteurs au cœur des projets. En s’impliquant , ils participent à l’affinage des objectifs face aux enjeux du territoire, ils améliorent les intentions du projet en co-construisant des scénarios et ils s’approprient mieux le projet lui-même en participant  au test et à la validation de ses différentes caractéristiques concrètes.

 

Qu’est ce que la participation citoyenne ?

 

A l’échelle locale, la participation citoyenne permet de compléter le dispositif démocratique résultant des élections, en créant une opportunité d’échange entre les acteurs au cours de la mandature, c’est à dire la  gouvernance du territoire, les porteurs de projet et les parties prenantes que sont les habitants et les acteurs qui animent la ville (convivialité, tourisme, événementiel, culture, monde économique, éducation et formation, ….). Il y a une aspiration de plus en plus forte de la société civile à être entendue et un besoin d’être plus étroitement associé aux choix réalisés en matières  de politiques publiques, d’où cette invitation pour les parties prenantes à participer à la vie locale en apportant leurs idées concernant les projets et politiques publiques de leur collectivité. Cette participation citoyenne prend une place grandissante au sein de la démocratie locale, et en particulier à l’échelle municipale et à l’échelle de l’intercommunalité. Ce sont en effet les échelles clés pour influer sur le cadre et la qualité de vie des gens. La participation citoyenne apporte bien sûr un vrai plus à toutes les échelles mais ces deux échelles sont d’autant plus significatives qu’elles sont les plus proches du citoyen, et des parties prenantes en général, dans leurs pratiques quotidiennes de travail, d’habitat ou de loisirs. 

 

Quelles distinctions entre participation citoyenne, démarches collaboratives et co-construction ?

 

Les trois notions s’imbriquent les unes avec les autres, mais il y a une différence de degré d’implication. Tout d’abord, il faut considérer que la participation citoyenne est une notion vaste, difficile à définir. La collaboration, elle,  est une forme de participation citoyenne, plus poussée, plus précise et plus qualitative.  En effet, la collaboration implique une plus grande richesse dans les échanges puisqu’elle suggère un échange entre égaux, basé sur le partage d’informations de manière transparente, l’écoute active et l’argumentation. A un degré d’intégration supérieure existe la co-construction. On parle de “co-construction” dans une démarche collaborative lorsque les échanges entre parties permettent une intégration des arguments les uns aux autres dans un raisonnement ou dans un système commun. LaVilleE+ se positionne par exemple principalement dans une approche de co-construction pour maximiser la richesse des interactions et argumentations dans la cadre de projets urbains. La co-construction des projets nous apparaît aujourd’hui comme une clé essentielle de réussite pour bâtir un projet avec l’ensemble des acteurs concernés par celui-ci.

 

Qui est à l’initiative de ces démarches de collaboration ou de co-construction ?

 

La démarche, qui consiste à faire preuve d’innovation dans la gouvernance d’un projet, peut être engagée par l’un des acteurs intégré dans le processus de décision du projet. Cet acteur à l’initiative de cette démarche collaborative doit avoir une certaine légitimité qui dépend de la bonne articulation entre 3 missions clés dans la chaîne d’acteurs et du respect des prérogatives de chacun. Premièrement, la décision et les arbitrages sont du ressort des décideurs des sphères publiques et privées. Deuxièmement, l’analyse technique, juridique et économique est du ressort des services des collectivités ou des porteurs de projet avec leur écosystème d’assistants à maîtrise d’ouvrage (AMO) et de maîtres d’œuvres (MOE). Troisièmement, les citoyens ne sont donc pas appelés à décider ou à analyser mais à participer aux débats, à l’enrichir, à collaborer activement pour identifier des leviers d’actions, à partager leur expertise d’usage.  Dans le cadre de projets urbains, ce seront donc essentiellement aux décideurs des sphères publiques et privées d’initier une démarche de co-construction, bien qu’ils puissent y avoir été encouragés par les autres acteurs précédemment cités, à savoir donc les services, les écosystèmes des porteurs de projets et les citoyens.

 

Qui sont les acteurs appelés à participer aux démarches de collaboration et comment sont-ils sélectionnés ?

 

Les acteurs appelés à participer aux démarches de collaboration sont multiples. Il s’agit majoritairement d’impliquer des collectifs de citoyens aux profils divers et variés, mais la gouvernance peut également faire le choix d’intégrer les acteurs socio-économiques tels que les commerçants, les associations ou les collectifs d’usagers…Toute personne concernée par le projet est légitime pour entrer dans cette démarche de co-construction. Pour cela, la collectivité peut par exemple lancer un appel aux volontaires pour constituer un panel citoyen. Parfois, la constitution de ces collectifs passe par le tirage au sort ou encore le recrutement ciblé de pratiquants ou contributeurs spécifiques  afin de compléter l’effectif..  Mobiliser des citoyens est plus ou moins simple selon les cas de figure, mais il est important dans tous les cas de faire attention à la représentativité du panel. Afin d’éviter tout biais de culture ou de raisonnement, il apparaît opportun de rechercher autant que possible un équilibre des groupes sociaux en termes d’âges, de lieu d’habitation, de catégories socio-professionnelles, de bords politiques…. L’exemple des mobilités actives est très intéressant à ce sujet. Seniors et jeunes actifs sont globalement d’accord sur la question du parcours piéton et du rôle du trottoir, mais leurs avis divergent par contre lorsqu’il s’agit de réduire la place de la voiture au profit du vélo. En raison de leurs limites physiques, les seniors défendent l’accès au cœur de ville en voiture avec un argument évident : tout le monde ne peut pas venir à vélo ! 

 

Quelles sont les clés de réussite d’une démarche de co-construction ? 

 

Une démarche de co-construction doit sa réussite à différents facteurs : les outils de facilitation utilisés,  l’ancrage local des discussions, l’engagement des acteurs sur la durée, la considération accordée aux acteurs, la cadrage préalable, l’assiduité des participants, la qualité des arguments, la créativité des idées, l’implication de la gouvernance et des services… Les démarches de co-construction dépendent donc en partie de l’investissement des acteurs eux-mêmes dans le processus, mais dépendent également de la manière dont ces acteurs sont intégrés aux processus. LaVilleE+ met tout en œuvre au quotidien pour actionner ces leviers de réussites.

Il faut pour cela : 

  • Déterminer le champs des possibles et des impossibles de la négociation
  • Informer et considérer l’ensemble des acteurs
  • Apporter du concret aux discussions en maximisant l’ancrage local
  • Engager et maintenir des citoyens tout au long de la démarche
  • Utiliser les bons outils de facilitation pour garantir l’accessibilité de la démarche.
  • Travailler sur la question des communs, espaces appropriables par la communauté
 

Déterminer le champ des possibles et des impossibles de la négociation

 

Dans le cadre de ces démarches collaboratives, il s’agit de mener des débats, discussions et négociations sur des projets entre les citoyens, les porteurs de projets, la gouvernance, les services etc.  Pour canaliser les énergies, il est important de poser le cadre au préalable pour savoir dans quelle direction il est possible d’animer les ateliers collaboratifs.  Alors que les villes et les intercommunalités ont des prérogatives différentes en termes d’attractivité, d’emplois, de culture, de commerce, d’événementiel, de mobilité, d’environnement, de sécurité, d’éducation et de formation ou bien encore d’urbanisme, il est nécessaire d’amener les acteurs à poser un diagnostic et à formuler des réflexions activables par la ville dans la limite de ses prérogatives.Si l’on prend l’exemple d’une ville souhaitant engager une démarche collaborative pour nourrir la feuille de route de transition écologique municipale, Il lui sera ainsi possible de déployer un programme de « cours oasis » pour répondre aux enjeux de l’îlot de chaleur urbain ou encore d’une nouvelle politique de circulation et de stationnement pour améliorer la qualité de l’air. Il lui sera plus complexe d’agir sur le cycle de l’eau, la qualité de l’air ou encore sur la politique d’attractivité économique ou de transports en commun. La réflexion collective, pourra, lorsqu’elle dépassera les prérogatives municipales, alimenter des projets partenariats et de collaborations inter-communales. Se focaliser sur les possibles, sur les éléments de progrès envisageables du point de vue politique, juridique, financier et technique permet une efficacité dans la négociation.

 

“ Informer et considérer tous les acteurs : citoyens, gouvernance, services…”

 

Nous avons pu constater à de nombreuses reprises l’intérêt de soigner l’implication des acteurs de la gouvernance dans la démarche collaborative et participative. Mieux informés, les élus et les directeurs généraux de la collectivité sont ainsi plus aptes à formuler des recommandations pour approfondir les débats, explorer des voies alternatives ou encore informer sur la faisabilité de telle ou telle idée, concept ou  solution. Mieux pris en compte, mieux considérés, les citoyens dépassent leurs positions initiales en travaillant les réflexions plus en détail ce qui les rend plus applicables dans le contexte économique, juridique et technique local. Cette recherche du détail est clairement un moyen efficace de consolider les propositions pour les différentes parties. A noter également l’importance de créer du lien entre les acteurs pour par exemple transmettre le travail des citoyens aux membres de la gouvernance de manière à garantir l’appropriation des éléments.

 

“Apporter du concret aux discussions en maximisant l’ancrage local”

 

Maximiser l’ancrage local permet d’apporter du concret aux discussions, d’ancrer les échanges sur les réalités du territoire. Cet aspect est primordial pour nous à LaVilleE+, l’ancrage local de la démarche étant un réel facteur clé de succès. Il s’agit de prendre en compte les spécificités du territoire sur lequel on mène une réflexion en menant par exemple des balades urbaines dans le cadre de nos ateliers. Cela consiste à mener une marche exploratoire ou un circuit à vélo le long de la ville, de s’arrêter aux lieux sur lesquels il y a un terrain de négociation et de débattre in situ. Baignés par le bruit, les odeurs et l’ambiance des lieux, nous pouvons donc, avec les élus , les services et les acteurs citoyens, établir un diagnostic et des recommandations ancrées sur les perceptions, sur le vécu à l’instant T. Remettre en cause la circulation des poids lourds en centre-ville ou encore réinterroger le rôle et la place du banc public sera par exemple efficacement nourri de l’observation en direct par les participants de la démarche. 

 

“Engager et maintenir l’implication des citoyens tout au long de la démarche”

 

Engager les acteurs sur la durée est un réel défi, il s’agit de les intégrer à la démarche collaborative dans un premier temps, mais aussi et surtout de maintenir leur niveau d’assiduité, d’énergie et de créativité. C’est pourquoi nous avons pris le parti à LaVilleE+ de varier les types d’ateliers avec des discussions sur des projets, des moments d’échanges avec les responsables politiques, des balades urbaines exploratoires, des sessions de  jeu avec les générations futures, des temps de rencontre avec les autres habitants… Ces différents formats permettent de rythmer le processus, de renouveler l’enthousiasme des acteurs et de renforcer  leur créativité pour maximiser leurs contributions aux débats. Nous distinguons également de ces temps synchrones des temps d’échanges asynchrones avec par exemple la création de canaux d’échanges Telegram pour faire vivre le débat en continu. Pour maximiser l’engagement des citoyens, nous privilégions un déroulé sur une période de 3 à 9 mois

 

“Utiliser les bons outils de facilitation pour garantir l’accessibilité de la démarche”

 

LaVilleE+ se positionne dans une approche de co-construction basée sur des ateliers collaboratifs. Depuis 2018, nous effectuons des ateliers mêlant 3 outils à savoir : le Design Thinking pour favoriser l’émergence et la combinaison des idées, le Serious Gaming pour consolider la réflexion et proposer un cadre d’échange pragmatique à hautes intensité, et l’approche sensible par l’observation et l’expérimentation terrain pour ancrer la réflexion dans le contexte local. Ces outils sont déployés sur la majorité de nos ateliers collaboratifs, qu’ils soient en présentiel ou en distanciel, en salle, sur le terrain ou sur la plateforme collaborative Miro. Ces outils méthodologiques permettent à chacun des participants de comprendre facilement visuellement ce qui se déroule, d’intervenir dans un climat de confiance et convivial, et de s’immerger dans le territoire en quelques instants pour faire preuve de créativité.

 

“Travailler sur la question des communs, espaces appropriables par la communauté”

 

La question des communs est au cœur du sentiment de qualité de vie des usagers et des habitants, en particulier dans les zones denses. De natures très différentes, simple banc, jardin, espace végétal, place publique, lieu de création, espace de transmission de savoir ou d’entrepreneuriat, ils participent à créer du lien au quotidien en favorisant l’observation, la rencontre et l’échange. Ils sont un excellent terrain d’exploration collectif à inscrire sur la liste des «  possibles » du projet.

 

Comment appliquer ces clés de réussite sur les projets ?

 

Nous avons déjà eu l’occasion d’appliquer ces clés de réussite à nos projets, en particulier dans le cadre des Assises de la Transition Écologique de la Ville de Palaiseau. Nous avions comme rôle la mission d’animer  “La Parole Citoyenne”, le panel citoyen appelé à réflechir sur les mesures à prendre pour réussir la transition écologique municipale. Après une identification sur le terrain des lieux de négociation pour garantir une approche sensible, nous avons pu composer et animer une série d’ateliers intégrant nos méthodologies de serious game et de design thinking. Nous avons organisé certains ateliers en distanciel en raison du contexte sanitaire, mais pour tout de même rythmer le processus, nous avons tenu à organiser des ateliers pratiques sur le terrain : centres de loisirs avec les écoliers, balade urbaine exploratoire  à vélo à travers le territoire, rencontre avec les usagers du marché, rencontres avec le conseil des jeunes, tables rondes avec la gouvernance…

Nos 19 citoyens panélistes, 40 écoliers, 4 membres du conseil des jeunes et une vingtaine de Palaisiens du marché ont ainsi contribué sur 3 mois à nourrir le débat sur des projets locaux de la ville. La gouvernance s’est également impliquée dans le processus avec les citoyens pour s’approprier les éléments de discussion, gage de réussite. C’est ainsi que nous avons pu co-construire ensemble des réflexions autour de la transition écologique de Palaiseau, par des échanges nourris et ancrés sur la réalité du territoire

 

Pourquoi faire aujourd’hui le pari de l’intelligence collective ?

 

Aujourd’hui les solutions sont de plus en plus complexes. Le « projet urbain réussi » doit être engagé dans la réduction des émissions carbone, dans une approche d’économie circulaire globale et doit incarner les multiples transitions nécessaires pour adapter nos villes et nos territoires aux enjeux sociaux, environnementaux et économiques.

La recherche du « projet urbain réussi » nécessite le travail et l’engagement d’un maximum d’acteurs élus, dirigeant des services au sein des collectivités, expert techniques, spécialistes de l’usage….

On peut véritablement encore parler de « pari sur l’intelligence collective » tant le sujet, même s’il est à la mode, nécessite encore de nombreuses investigations, explorations, mises en situation afin de détourer les leviers clés de succès des politiques publiques et des projets qui en résultent.

A LaVilleE+ nous nous sommes engagés dans une voie qui fait la part belle à la pratique terrain, au plus près des acteurs, « au contact », en multipliant les angles de vue et d’approche pour favoriser l’appropriation de la complexité par les acteurs ainsi mobilisés. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas une méthode de collaboration unique mais une diversité de pratiques collaboratives utiles à la formulation d’une réponse adaptée à chaque contexte local et à l’écosystème d’acteurs. De la confrontation de points de vue différents naît l’intelligence du projet… socle de sa réussite future !

 

 

 

 

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