Les bureaux Kalifornia, illustration du réemploi dans le tertiaire

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

4117 Dernière modification le 02/03/2023 - 15:20
Les bureaux Kalifornia, illustration du réemploi dans le tertiaire

 

Le projet Kalifornia s’inscrit dans la démarche Bureaux de demain portée par l’Ifpeb, le Cerema, A4mt, Circoe et Evea, avec l'appui de l’ADEME, le CPIER de la Vallée de la Seine, la région Normandie, et la région Ile de France, qui vise à favoriser l’économie circulaire dans les travaux d’aménagement des espaces de bureaux. Pour en savoir plus sur cet espace de construction de 23 230 m² à Malakoff, en région parisienne, nous nous sommes entretenus avec trois représentants du côté maîtrise d’ouvrage chez Bouygues Immobilier, mais aussi avec l’un des architectes des Ateliers 2/3/4/ pour la partie maîtrise d’œuvre.

Kalifornia en quelques chiffres : 

 

  • 23 230 m² de bureaux agiles
  • A Malakoff, aux portes de Paris, à 7 min de la Gare Montparnasse
  • 4 500 m² de terrasses et jardins en cœur d’îlot
  • +2 000 collaborateurs en capacité d'accueil  
  • 1 pavillon dédié à la convivialité 
  • Service conciergerie 
  • Espaces de restauration variés (restaurant, cafétéria…)
  • Labels BBCA, Biodivercity , Jardin de Noé, E+/C-, BREEAM, HQE, ... 
  • Livraison 4 trimestre 2024

 

D’où vient votre engagement pour la question du réemploi dans le tertiaire ?  

 

Charles Petit : Les collaborateurs de Bouygues Immobilier sont très sensibilisés sur l’impact environnemental de nos projets, à ce titre l’équipe projet avait à cœur de pousser une démarche ambitieuse de diminution carbone sur Kalifornia.

Plus largement, cette démarche découle de la feuille de route et de la stratégie RSE de Bouygues Immobilier qui se fixe un objectif de diminution de 32% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.  

Agathe Papin : Il y a une forte volonté chez Bouygues Immobilier d’inscrire nos projets dans une démarche bas carbone. Le réemploi de matériaux est un levier fort de la stratégie pour diminuer l’empreinte carbone et les EGES de nos opérations.

Jean Guidet : A l’agence Ateliers 2/3/4/, nous nous sommes toujours posé la question de comment introduire la question du réemploi dans nos projets : c’est pertinent quand on connaît le gâchis et la quantité de déchets que peuvent produire nos professions dans le BTP.   


Pouvez-vous nous parler du projet Kalifornia sous le prisme de cet usage du réemploi ?  

 

CP : Le chantier du projet Kalifornia vient de démarrer. Il s’inscrit dans la démarche Bureau Généreux de Bouygues Immobilier qui illustre nos valeurs, porte notre vision et incarne nos idéaux. Avec cette démarche, nous nous engageons pour que nos bureaux prennent en compte les besoins précis des usagers finaux, le tout en valorisant les espaces extérieurs pour les collaborateurs et les riverains afin que tous puissent profiter d’un morceau de nature en ville.

Cette démarche est donc tournée vers les usages, s’illustrant par exemple par la présence de terrasses à tous les étages des lots privatifs, un travail sur la qualité de l’air, ou l’augmentation du nombre de salles de réunions… Le Bureaux Généreux comporte également la définition d’une stratégie environnementale poussée sur le projet. C’est dans ce cadre que nous avons développé l’économie circulaire et le réemploi sur Kalifornia.

Amedeo Marques : Concrètement, nous avons identifiés un potentiel d’approvisionnement de 28 produits issus de l’économie circulaire : 7 flux en réemploi, 7 flux en réutilisation, 13 flux  issus du recyclage et 1 flux en fin de stock.  Moquette, faux-plancher, sanitaires, équipements de base vie, peintures, terres végétales, carrelages, cloisons plâtre sont des exemples de matériaux réemployés sur le projet.

JG : En 2019, le projet a été développé en visant les économies d’énergie et carbone (label E+/C-) sans forcément intégrer une démarche de réemploi. Bouygues Immobilier a voulu développer une stratégie d’économie circulaire avant le lancement des consultations d’entreprise et nous l’avons très bien accueilli. Nous avons été tout de suite enthousiasmés par cette démarche qui concrétisait une envie de faire à l’agence.  

AM : Dans un premier temps, nous nous sommes interrogés sur les matériaux ou mobilier issus de l’économie circulaire. Une phase de réflexion s’est mise en place, zone par zone ; et matériaux par matériaux. À la suite de cette réflexion avec l’équipe de Maitrise d’œuvre et en particulier avec les architectes des Ateliers 2/3/4/, nous avons établi une stratégie économie circulaire pour le projet.

Nous avons été accompagnés par l’AMO Économie Circulaire Elan pour l’ensemble des missions de l’accompagnement de la stratégie jusqu’au sourcing des produits. Les produits pour des bâtiments d’un tel volume sont compliqués à sourcer et l’aide d’un AMO Économie Circulaire facilite l’intégration et la réussite de la démarche pour la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre et les entreprises d’exécution.


Quels freins avez-vous identifiés pour mener à bien ce projet ? Quelles ont été les solutions trouvées pour y remédier ? 

 

CP : Les filières du réemploi ne sont pas encore très développées et organisées. La disponibilité de matériaux définis en conception ne peut donc pas toujours être garanties en exécution au moment d’acheter et installer les matériaux. Par ailleurs, du fait du développement en cours de ces filières, certains matériaux peuvent être plus chers réemployés que neufs. Il est clair que, plus les acteurs du marché de la construction feront appel au réemploi, plus les filières se développeront et plus ces contraintes disparaîtront.

JG : En effet, il est parfois difficile de trouver les ressources nécessaires. En revanche, l’architecte a toujours fait avec les contraintes du moment : le site, la réglementation… par conséquent intégrer le réemploi, ce n’est pas se limiter, c’est composer avec un élément nouveau, et nous l’intégrerons dans notre façon de concevoir.

AM : Il y a aussi des freins en termes d’assurances et de conformité technique. Aujourd’hui, il existe une certaine frilosité à ces niveaux-là sur la question du réemploi. L’action du Booster du Réemploi et la participation de l’ensemble des acteurs de la construction (bureaux de contrôles, assureurs) sont en train de faire tomber ces barrières. 

Aussi, un autre élément bloquant est notre capacité d’achat et de stockage par anticipation des matériaux en tant que promoteur.

AP : Je parlerais aussi de la perception du réemploi par les utilisateurs et les futurs acquéreurs : ils peuvent être un peu hésitants en se demandant par exemple si les produits et le rendu seront aussi esthétiques, qualitatifs et performants que du neuf. C’est à nous d’avoir un discours pédagogique, notamment pour les rassurer et les informer.

JG : Les matériaux issus de réemploi n’ont pas vocation à être différents des matériaux neufs car le réemploi vise justement à utiliser les matériaux pour le même usage donc la plupart du temps, cela sera invisible pour les usagers. 

 
Quelles sont les différences d’approche majeures entre un projet « classique » et un projet de réemploi tel que le projet Kalifornia ?  

 

CP : Pour faire du réemploi, on commence par se poser la question des matériaux qui seront disponibles au moment de la construction et l’on s’assure de la pérennité de l’approvisionnement pour les retenir, il y a donc une vraie réflexion à mener en amont avec les AMO Économie Circulaire sur les ressources disponibles par rapport à un projet classique.

JG : Le réemploi engendre plein de questions supplémentaires, notamment au niveau de l’assurabilité, l’engagement des entreprises, les bureaux de contrôle qui doivent valider l’ensemble… 


Pensez-vous que les professions du BTP sont assez informées et sensibilisées sur la cause de l’économie circulaire dans le bâtiment ?  

 

CP : Le travail qui a été mené par des acteurs tels que le Booster du réemploi commence à porter ses fruits. Je pense que tout le monde a pris conscience de l’importance du sujet et souhaite participer à cette démarche. En revanche, il y a encore certains petits acteurs pour qui c’est complètement nouveau : il y a donc encore beaucoup de sensibilisation et de formation à réaliser.

AM : C’est laborieux ! Je pense que nous avons de la chance de faire partie d’un groupe ambitieux qui se doit de donner l’exemple et donc de porter et pousser sur ses sujets de décarbonation de nos constructions. D’autres acteurs sont plutôt suiveurs, et d’autres attendent que la filière soit structurée pour se lancer et n’ont pas encore envie de faire l’effort à date.  

JG : C’est très intéressant qu’un acteur aussi important que Bouygues Immobilier fasse partie du Booster du réemploi et oblige ainsi les entreprises « à s’y mettre ». C’est cette impulsion qui va donner une autre dimension à la filière. 

AM : Kalifornia est à un moment de pivotement : l’économie circulaire est encore jeune et n’a pas beaucoup de projets de références sur lesquels s’appuyer. Mais les entreprises sont en train de modifier leur stratégie RSE pour intégrer des objectifs de décarbonation : cela va donc progressivement devenir quelque chose de normal l’utilisation de matériaux réemployés dans des constructions neuves.  

JG : Ce qui peut être intéressant, c’est de banaliser le réemploi. C’est peut-être là que cela va prendre de l’ampleur, quand ce ne sera plus considéré comme quelque chose qui sort des normes.   


Quels sont les acteurs clés du succès d’un projet de réemploi ?  

 

AM : Pour que cela marche, c’est un quatuor qui doit être engagé pour cette cause : le Maitre d’Ouvrage, l’architecte, la maîtrise d’œuvre et l’AMO Economie Circulaire.

Sur Kalifornia, nous avons la chance de travailler avec les Ateliers 2/3/4/, et notamment Jean, qui sont très intéressés par ces sujets et sont très moteurs sur la stratégie d’économie circulaire du projet. D’autre part, Elan en tant qu’AMO Economie Circulaire nous apporte beaucoup en nous guidant sur ces sujets.    


Selon vous, quels bénéfices et intérêts principaux le réemploi présente-t-il pour le secteur du bâtiment ?  

 

CP : L’impact majeur est évidemment de diminuer notre impact environnemental en réduisant nos émissions de carbone dans l’acte de construire. Le réemploi, c’est moins de carbone mais c’est aussi beaucoup moins d’utilisation de ressources primaires. 

Les métiers de la construction sont un des grands contributeurs des émissions de gaz à effet de serre, il est donc primordial de développer ces démarches et de les mettre en avant afin de montrer que nous prenons en compte ces enjeux, que nous y sommes sensibilisés et cherchons des solutions par l’innovation. 

AM : Il y a aussi un enjeu de diminution et revalorisation des déchets pour les projets de déconstruction.  

JG : Notre profession est très consciente des enjeux climatiques et environnementaux actuels, et de la pollution qu’elle créé avec son activité. Le bénéfice est donc surtout là : limiter notre impact sur la planète et économiser du carbone. Et puis, tout cela est vertueux économiquement parlant : cela créé des emplois localement, c’est très positif.  


Aimeriez-vous vous lancer dans d’autres projets de réemploi à l’avenir ? Certains sont peut-être déjà planifiés ?  

 

JG : Oui ! Nous allons le proposer sur l’ensemble de nos projets à venir, par exemple aujourd’hui nous sommes sur un projet de réhabilitation d’un bâtiment existant. 

Il s’agit d’un bâtiment qui a déjà un preneur, on peut donc aller plus loin dans le choix de la décoration par exemple. Pour ce projet, on a essayé de réemployer la plupart des éléments qui étaient déjà présents dans le bâti de base, sans aller les chercher ailleurs.  

CP : De notre côté, désormais, nous intégrons une démarche de réemploi de manière systématique dans notre travail.  

 

Propos recueillis par Amandine Martinet - Construction21

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