Crisco, 17 000 m² de bureaux connectés : illustration d’une mise en application durable et efficace du DEET

Rédigé par

Antoine VINCKE

DG

1879 Dernière modification le 17/04/2023 - 12:00
Crisco, 17 000 m² de bureaux connectés : illustration d’une mise en application durable et efficace du DEET

 

L’ensemble immobilier Crisco illustre la stratégie de la foncière la Française REM en réponse au DEET. Pour consommer moins et mieux, le bâtiment Crisco fait largement appel aux outils numériques, ainsi qu'au dialogue avec les occupants. 

Une stratégie énergétique de LFREM sur le long terme

 Le « décret tertiaire », comme on continue à l’appeler en dépit de sa nouvelle dénomination de DEET (pour dispositif Éco Énergie Tertiaire) fait partie du contexte réglementaire et environnemental des bailleurs depuis de nombreuses années. Ses objectifs de réduction des consommations d’énergie vont de pair avec ceux de décarbonation du secteur de l’immobilier.
La Française REM, qui gère plus de 30 milliards d’actifs immobiliers et travaille sur ce chantier depuis plusieurs années a identifié 4 grandes familles d’actions qu’elle actionne lorsque c’est pertinent de manière à atteindre les objectifs du DEET : 

  • Relation occupants : implication de nos locataires dans la démarche (comités verts, communications spécifiques)
  • Gestion des systèmes énergétiques : GTB, GTC, horloges, sondes, détecteur,
  • Systèmes énergétiques : production et émission de chaud et de froid, ventilation, éclairage, auxiliaires
  • Enveloppe des bâtiments : murs, menuiseries, planchers hauts et bas.

L’ordonnancement de ces actions dépend notamment de l’occupation du site et de la mobilisation des parties prenantes autour de la stratégie énergétique de la société de gestion. La Française REM a retenu une approche globale, en analysant les consommations des parties communes et privatives de ses actifs, afin de pouvoir maximiser l’impact de sa stratégie. Ainsi elle a défini des plans d’action conjointement avec ses Property managers et mène des actions systématiques auprès de ses utilisateurs. La récente hausse des prix de l’énergie et les tensions sur l’approvisionnement en électricité ou en gaz ont permis d’accélérer la prise de conscience des enjeux énergétiques par un nombre croissant de locataires. En respectant le cycle de vie naturel des actifs, la société de gestion vise à soutenir la résilience de la valorisation des actifs sur le long terme. 

Retours d’expériences méthodologiques et organisationnelles sur le DEET

Connaître son patrimoine 

Pour pouvoir agir efficacement, il faut connaître avec un bon degré de fiabilité le point de départ et mesurer l’impact de ces actions. C’est ce principe qui a guidé La Française REM pour sélectionner un prestataire afin de collecter les données de consommation d’énergie des actifs dont elle a la gestion. 
Depuis deux ans, conjointement avec les PM, elle s’attèle à qualifier la donnée : exhaustivité des compteurs et des sources d’énergie , cohérence au regard d’une consommation attendue pour chaque typologie d’actif, sensibilisation des locataires quant à l’importance du partage des données énergétiques. C’est à partir de ces consommations fiabilisées pour chaque actif que La Française REM définit des trajectoires de réduction des consommations d’énergie pour atteindre les objectifs du DEET, soit en retenant la cible en valeur absolue, soit la cible relative de réduction d’énergie par rapport à une consommation de référence d’ici 2030. L’analyse des plans d’actions associés à ces trajectoires pourra mener à justifier la modulation des objectifs.

Favoriser les échanges avec les PM et les locataires 

La co-responsabilité du bailleur et de l’occupant, induite par le DEET, implique de facto le locataire dans la connaissance de la performance énergétique des actifs, et dans l’atteinte des objectifs visés.
L’appréhension de cette performance au niveau de chaque local loué (l’entité fonctionnelle assujettie, selon la terminologie du DEET) avec la saisie de ces données dans la base OPERAT n’est pas toujours alignée avec la vision bâtiment telle que le gère une société de gestion. Cependant, la mise en place de ce dispositif, ainsi que la tenue des comités verts pour la plupart des actifs concernés, a initié cette démarche commune. C’est précisément ce qui a été mis en œuvre avec notre partenaire Aveltys, dans le cadre du Challenge national Cube Flex pour un immeuble de bureaux multilocataires situé à Sèvres (92), où une réelle démarche de sensibilisation des occupants a été menée. 

Consommer moins - une rénovation pas à pas performante – Le Crisco 

Le bâtiment CRISCO, que nous prenons ici en exemple, n’a pas attendu la mise en application du décret pour s’engager dans une démarche progressive de réduction des consommations d’énergie, mais la philosophie adoptée semble pouvoir être applicable à bon nombre d’actifs. 
Bénéficiant de l’opportunité d’une vacance locative lors  d’une fin de bail, le CRISCO a bénéficié d’une rénovation en 2017, sans que le bâti ou le système de chauffage ne soient concernés par ces travaux. L’efficacité énergétique passe donc plus par une optimisation des programmations et régulations que par l’amélioration des performances intrinsèques des équipements ou du bâti. Dans ce sens, il est un très bel exemple de la voie à privilégier pour dégager des économies significatives en contrepartie d’un investissement raisonné. Les risques de dérive sont néanmoins accrus : augmentation des probabilités de dysfonctionnement entre l’équipement et le superviseur d’une part, crainte de ne pas piloter correctement les installations en exploitation d’autre part. 
Conscient de l’importance d’instaurer des systèmes de management de la qualité pour prévenir ces aléas, le propriétaire a donc :

  • Déployé, lors des travaux, une démarche de commissionnement, défini, rappelons-le, comme « l’ensemble des tâches pour mener à terme une installation neuve afin qu’elle atteigne le niveau des performances contractuelles et créer les conditions pour les maintenir » (Mémento du commissionnement, 2008, COSTIC, ADEME, FFB),
  • Mis en place une garantie de charges en exploitation, dont une garantie de performance énergétique réelle. 

Concrètement, les actions déployées dans le cadre d’une mission de re-commissionnement pour effacer les surconsommations constatées à la réception (environ 10%) ont été les suivantes : 

  • Optimisation des analyses fonctionnelles sur la ventilation (CTA) et le chauffage (ventilo-convecteurs), 
  • Vérification exhaustive de chaque émetteur lors de l’état des lieux (représentativité des sondes, état des contacts de feuillure, liaisons maître-esclave, fonctionnement des batteries électriques et état de vétusté des vannes pour les batteries d’eau glacée), 
  • Contrôle des régulations d’éclairage (fonctionnement des détecteurs, vérification entre câblage physique et vue logique, état des contacteurs).

Au quotidien, l’adaptation régulière (hebdomadaire) des consignes aux conditions externes ainsi qu’un contrôle des dérives énergétiques via un système d’alerte, couplé à un monitoring précis et fiable des énergies (par usage et par étage), ont permis d’atteindre et de maintenir une performance : légèrement inférieure à 100 kWhef/m²/an. 
Ce résultat place le CRISCO dans le premier quartile des sites de bureaux en France et en dessous des seuils en valeur absolue fixés par la réglementation Éco Énergie Tertiaire pour cette activité et cette géographie.
Il est important néanmoins de souligner que les derniers pas ont été franchis en associant la sobriété à l’efficacité. La sobriété est une réflexion portant sur notre besoin énergétique alors que l’efficacité est le coût énergétique déployé pour répondre à ce besoin. La sobriété a connu un large essor en lien avec l’explosion des prix des énergies. Elle nécessite moins des compétences techniques qu’une écoute et une pédagogie de la part de l’Energy Manager pour insuffler des changements dans les comportements. 
Pas de sobriété sans embarquer les utilisateurs : sensibiliser, travailler sur l’usage, mobiliser par le jeu et le challenge.
À grand renfort de campagnes de sensibilisation, ponctuées par des sessions d’explication avec l’ensemble des locataires, ou encore des questionnaires pour assurer une meilleure adéquation entre le pilotage et les conditions d’utilisation réelles du bâtiment, nous avons déployé une collaboration « gagnant-gagnant » avec les locataires. Ces derniers s’approprient pleinement leur bâtiment, qui peut devenir une réelle source de fierté, en participant à des défis ludiques comme le concours CUBE. 

Consommer mieux – Flexibilité électrique - le secteur tertiaire a un rôle à jouer

En complément du « consommer moins », un autre vecteur d’optimisation concerne le « consommer mieux ». L’électricité a cette caractéristique qu’à chaque instant la consommation doit être égale à la production au risque de déstabiliser le réseau. C’est aux gestionnaires de réseaux électriques, RTE et ENEDIS, filiales d’EDF, de garantir à chaque instant cet équilibre. À cette fin, il existe deux solutions complémentaires : la première consiste à allumer de nouveaux moyens de production ; la seconde, plus vertueuse, réside dans le fait d’identifier des moyens d’abaisser la consommation. Les secteurs du bâtiment tertiaire et du résidentiel représentent jusqu’à 70% des appels de puissances électriques sur les journées critiques en hiver. Il s’agit donc pour les bâtiments de « lisser » leur consommation sur les plages horaires critiques, de réaliser des effacements, ou encore de décaler les moments où ils consomment leur énergie : on parle de « flexibilité énergétique ». L’objectif poursuivi est d’éviter la surcharge du réseau national au moment des pointes de consommation, notamment sur les plages critiques (de 8h à 13h et de 18h à 20h). 
Dans le cadre du Plan Sobriété, RTE a présenté à la fin de l’été 2022 le dispositif Ecowatt, véritable météo du réseau électrique, qui a été largement relayé médiatiquement. Afin d’accélérer l’émergence de nouvelles solutions et organisations vertueuses dans le secteur tertiaire, mais aussi de valoriser les meilleures pratiques, RTE, accompagné de l’IFPEB/A4MT, a également souhaité lancer une expérimentation grandeur nature inédite, fondée sur la mesure réelle des effacements réalisés au cours de l’hiver 2022-2023. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les filières de l’énergie et du bâtiment n’ont pas – à date – de métrique pour identifier le gain potentiel associé à cette démarche. La Française REM et Aveltys se sont proposées pour faire partie des pionniers, à travers leur engagement au sein du bâtiment Crisco. En complément des actions de sobriété énergétique, nous avons cherché à identifier les gisements de flexibilité énergétique du bâtiment.
Dans la même logique que celle qui a été exposée précédemment, il nous est apparu essentiel d’inclure les utilisateurs de Crisco dans cette démarche. Une réunion d’information s’est tenue, le 10 octobre 2022, pour présenter la démarche et préciser la différence entre sobriété, efficacité et flexibilité. Les retours furent très positifs, tant en termes de participation que de questionnement. À la suite de cette réunion, les utilisateurs ont reçu un questionnaire destiné à mieux connaître les usages et les efforts qu’ils étaient prêts à consentir dans les heures tendues. 
Les réponses fournies ont été prises en compte au regard du fonctionnement technique du bâtiment, et des actions ont été mises en œuvre, notamment :

  • Anticiper le chauffage, en le lançant deux à trois heures plus tôt avec une consigne de surchauffe par rapport à la consigne (+1°C ou +2°C).
  • Alterner le fonctionnement des équipements. Des groupes de ventilo-convecteurs ont fonctionné en alternance par tranche de 1h15 entre 8h et 13h et ont été arrêtés à 18h.
  • Diminuer les débits de renouvellement d’air. Les centrales de traitements d’air (CTA) ont été alternativement abaissées, sur la base d’un contrôle de la qualité de l’air intérieur (O2 + CO2).

Mandat a été donné pour transmettre les données de consommation relevées par ENEDIS à l’IFPEB/A4MT, garant de la méthodologie. L’unique arbitre du concours est la consommation au compteur. Les économies d’énergie effacées aux heures de pointe sont calculées en comparant la courbe de charge prévisionnelle (si le bâtiment n’avait pas participé à Cube Flex) à la courbe de charge réelle sur ces deux journées. 

Sur ces deux journées consécutives, 2,5MWh ont été effacés aux heures de pointe soit un gain de 41% récompensant les actions techniques et humaines déployées sur ces deux journées. Le « pic » de l’effacement a flirté avec les 50% sur une heure pour le Crisco.  

Aller plus loin avec du pilotage prédictif à partir d’une data plus qualitative

Nos nouvelles pistes d’amélioration concernent l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le bâtiment. Sujet d’actualité, l’IA révolutionne nombre de secteurs. Une expérimentation est en cours sur Crisco pour piloter les centrales de traitements d’air avec un algorithme apprenant. Nous nous heurtons encore à deux difficultés majeures : l’IA se nourrit de données qui se doivent d’être fiables et elle est particulièrement à son aise dans des problèmes finis, c’est-à-dire dont l’intégralité des données sont mesurées. Or, dans le secteur du bâtiment :

  • Les données sont souvent de piètre qualité, et ce en dépit du fait que Crisco soit, à ce titre, plutôt exemplaire. Il ne faut surtout pas oublier l’adage anglais : « garbage in, garbage out », qui pourrait sans doute être – mal – traduit en français par « on récolte ce que l’on sème ». Un algorithme nourri par données inexactes génèrera irrémédiablement des résultats faux.
  • L’incomplétude de ces informations. Si les bâtiments remontent des données techniques – ce qui sera encore plus le cas avec le décret BACS(1)–, peu d’entre eux remontent des informations relatives à leur usage. Difficile d’optimiser le bâtiment sans savoir combien de personnes l’occupent ; à quelle heure elles arrivent ou le quittent, dans un contexte où l’usage lui-même du bâtiment est rendu de plus en plus flexible.

Les premiers résultats sont néanmoins encourageants, et laissent très clairement entrevoir une (r)évolution dans la manière dont nous pilotons les bâtiments, avec un apport futur indéniable de l’intelligence artificielle dans les démarches d’optimisation de leur fonctionnement. 

BACS - Building Automation & Control Systems, Décret n° 2020-887 du 20 juillet 2020 relatif au système d'automatisation et de contrôle des bâtiments non résidentiels et à la régulation automatique de chaleur

 

 

Un article signé Antoine Vincke, La Française


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