La valorisation d’énergies fatales et renouvelables basse température

Rédigé par

Carine Paquier

2327 Dernière modification le 20/01/2023 - 11:55
La valorisation d’énergies fatales et renouvelables basse température


De nombreux projets pourraient valoriser des énergies renouvelables et énergies fatales basse température, le gisement est énorme, la technologie existe, mais les projets n’aboutissent pas toujours. Pourquoi, comment, et à quelles conditions pourrait-on faciliter l’émergence de ces projets ?

Les réseaux moyenne et basse température, pour une meilleure mobilisation de la chaleur fatale

Les réseaux de chaleur existants ou actuellement en conception sont majoritairement de deux types : 

  • Ceux qui s’appuient sur un vecteur énergétique chauffé à 80°C qui ne permettent que très difficilement de mobiliser les ressources d’énergies renouvelables ou d’énergies fatales basse température
  • Ceux qui fonctionnent sur boucle tempérée (15°C) mobilisant généralement des ressources type géothermie /thalassothermie (Réseau 5eme génération). Mais la conception de ces réseaux empêche généralement l’utilisation d’autres sources d’énergie fatale en période hivernale car le réseau n’est pas conçu pour s’adapter à des variations de température sur la partie tempérée. 

En complément de ces configurations classiques, des projets à températures intermédiaires fonctionnant sur des niveaux de température entre 45 et 80°C se développent en France et à l’international. Ceux-ci permettent d’intéressantes alternatives énergétiques.

De nombreuses configurations techniques privilégiant une forte adaptabilité peuvent être imaginées pour ces nouveaux réseaux, permettant in-fine de mieux mobiliser des ressources d’énergie renouvelable et fatale insuffisamment mobilisée jusqu’ici. Ces réseaux s’appuient sur une régulation plus fine des niveaux de température complétés par du stockage pour s’adapter au mieux aux besoins et aux ressources.

Des inconvénients subsistent, la diminution des températures des réseaux pose le sujet de l’eau chaude sanitaire et des bâtiments aux besoins spécifiques (piscines, hôpitaux, bâtiments non rénovés…). Il faut donc en parallèle réfléchir à des sources de chaleur complémentaires pour satisfaire ces besoins.

L’impact des constructions neuves et des rénovations

Les rénovations thermiques permettent de diminuer les niveaux de température nécessaires pour le chauffage (35 à 45°C). Au-delà de la diminution des besoins, les impacts des rénovations et diminutions des températures sont multiples : 

  • Permettre d’utiliser des énergies basse température au sein de ces bâtiments, en direct ou via des pompes à chaleur décentralisées 
  • Permettre d’améliorer le fonctionnement global des réseaux en limitant les pertes thermiques
  • Limiter les appels de puissance sur le réseau via une bonne régulation et une gestion intelligente du stockage. 

La rénovation de l’existant et le déploiement de ces réseaux basse température sont donc indissociables et sont une formidable opportunité de développer l’utilisation de chaleur renouvelable et atteindre les objectifs de la France en termes de déploiement EnR&R.

Les énergies renouvelables 

Généralement les énergies renouvelables sont bien mobilisées dans les réseaux de chaleur puisqu’envisagées dès la genèse du projet. Les régimes de température du réseau sont donc souvent pensés en adéquation avec les ressources disponibles localement. 
Vu la durée des contrats, généralement de l’ordre de 20-25 ans,  il est cependant nécessaire de rendre les réseaux de chaleurs et en particulier la distribution plus évolutive. Les diminutions des températures prévisibles sur le réseau permettent de mobiliser progressivement des ressources comme le solaire thermique pour le chauffage
Par exemple, à Belgrade en Serbie, dans le cadre du projet RELaTED, un réseau de chaleur à 55°C permet de valoriser la chaleur issue d’une centrale solaire thermique. 

La chaleur fatale industrielle

Lors des études de potentiel de récupération de chaleur fatale, il est toujours plus évident de s’attaquer aux process avec les niveaux de chaleur les plus élevés
En pratique, ces potentiels sont souvent bien identifiés et généralement mobilisés pour des usages internes (chauffage des locaux…). 
Il est plus complexe d’identifier les sources de chaleur basse température puisqu’elles ne représentent pas une perte évidente du point de vue de l’entreprise : Eaux de nettoyage, produits industriels faisant l’objet d’un refroidissement <40°C…

Par ailleurs, mobiliser ces ressources nécessite souvent de coûteuses modifications alors que le prix de vente de cette chaleur basse température est difficile à évaluer. La rentabilité pour l’industriel ou le gestionnaire n’est donc pas évidente alors qu’elle permet la maîtrise du coût de l’énergie finale consommée par tous les abonnés en bout de chaîne.
Il faut donc identifier l’ensemble des externalités positives pour l’industriel et prévoir un engagement contractuel adéquat pour permettre la réinjection sur des réseaux de chaleur.

À titre d’exemple, sur les usines de raffinage, l’énergie fatale haute température est généralement bien mobilisée dans le process interne. La chaleur haute température exportable sur un réseau est donc limitée. Le sujet de la chaleur plus basse température n’est pas toujours identifié et nécessite des analyses internes complexes.
Compte tenu de la complexité des sites, I’énergie fatale disponible est souvent diffuse sur le site, et leur récupération nécessite des modifications plus complexes, parce qu’elles impactent plus largement le site. Ces travaux sont souvent tributaires des plannings d’arrêts de maintenance quinquennale voir septennale, ce qui complique la planification des projets.

Chaleur fatale urbaine

Dans de nombreuses études, la récupération de la chaleur fatale sur les Stations d’épuration et réseaux d’assainissement est identifiée comme un potentiel viable. Cependant, le nombre d’installations réalisées reste assez limité. 
En effet, le point bloquant n’est pas nécessairement le potentiel de la ressource, mais la capacité à mobiliser des énergies dont les sources peuvent être positionnées sur le territoire d’une collectivité différente de celle où se trouve le réseau. Se posent alors des questions de la gouvernance qui sont des freins importants à la mise en œuvre de ces mutualisations.

Un des nombreux retours d’expérience d’Egis Conseil en île de France datant de ces dernières années concerne la réflexion autour de la récupération de chaleur sur l’incinération des boues de STEP.
Dans le cadre de cette étude, menée par un délégataire et, les freins sur ce projet ont été doubles : 

  • L’exploitant technique de la station d’épuration ne souhaitait pas modifier son process
  • Le bailleur social public qui construisait plusieurs résidences à proximité du site qui aurait pu être un important consommateur d’énergie fatale n‘a pas souhaité s’engager à consommer la chaleur produite puisqu’il prévoyait déjà une chaufferie gaz

De l’importance de la planification énergétique en amont

Quand les études sont effectuées en parallèle de la contractualisation pour la création/extension d’un réseau, les points de blocages sont le plus souvent liés à des problématiques de planning entre la mobilisation des ressources et le déploiement des réseaux. En effet, bien souvent, le concessionnaire (cas d’une DSP) préfère avoir recours à la biomasse voir de la géothermie, plus simple et maîtrisée en termes de mise en œuvre, de risques et de contractualisation . Cette contractualisation est liée à la pérennité de la ressource donc supérieure à la durée de vie de l’installation.
 
Dans le cas d’un réseau haute température, il est donc indispensable d’avoir une réelle anticipation de la part de la collectivité pour permettre une contractualisation amont et non pas d’en laisser la seule charge aux concessionnaires.

Pour un réseau basse température, il est plus aisé de prévoir l’intégration d’ENR complémentaire au cours de la vie du réseau puisque les régimes de température de ce même réseau peuvent être amenés à évoluer. Il ne faut alors pas considérer le réseau comme un outil figé, mais bien comme un vecteur d’évolution de l’approvisionnement énergétique local. Concernant la régulation, les priorités de recours aux ressources doivent donc évoluer, toujours dans l’objectif de favoriser le recours d’énergie de récupération tout en respectant les conditions d’amortissement des autres installations ENR.

La question de la gouvernance

Les projets de réseaux de chaleurs sont par essence des projets de territoire. C’est pourquoi certains projets développé autours d’opérations de rénovation de grande ampleur comme celles portées par le NPNRU voient émerger des projets portés conjointement par la Ville et les bailleurs.

La récupération de compétence par la ville permet de produire des projets plus proches des citoyens et s’appuie sur le dynamisme des élus qui se saisissent du sujet. Selon notre retour d’expérience Egis Conseil, ce portage a pourtant l’inconvénient de complexifier des projets de territoires qui pourraient dépasser les limites administratives de la Ville. 

En complément, nous avons constaté chez EGIS que la création d’une société de projet ou toute autre structure de portage adaptée permet d’intégrer les industriels locaux concernés dans la démarche tout en leur garantissant un positionnement clef dans les négociations ultérieures sur les modalités d’utilisation de la ressource.  

On peut citer par exemple la difficulté de proposer la mise en place PAC sur eaux usées sur une STEP quand la compétence pour la gestion de l’eau est intercommunale alors que le projet de réseau est localisé sur une Ville adjacente. 

Les leviers de réussite d’un projet

En résumé, la majorité des points de blocages pour l’utilisation des énergies fatales est d’ordre contractuel. De nombreux systèmes techniques existent et les industriels sont parfaitement compétents pour proposer des projets performants.
Suite à ces constats, les leviers sont notamment les suivants :

  • Communiquer en amont des projets
    • Donner du sens aux synergies territoriales
    • Animer les filières locales de l’énergie
  • Mener une réflexion amont sur la gouvernance des projets, notamment sur le rôle de la collectivité au regard de l’ensemble des potentiels locaux
  • La création d’une structure de portage adaptée, intégrant les industriels locaux concernés
  • Penser l’évolutivité des réseaux, en particulier sur la distribution hydraulique, Ils ne peuvent plus être figés pour 30ans.

Enfin, sur ces dernières années, le prix bas de l’énergie était un frein important pour l’aboutissement de certains projets de récupération d’énergie fatale. Cependant, les évolutions contextuelles devraient permettre de favoriser ce type de projet en justifiant des durées d’engagement plus courtes.

Un article rédigé par Florence Caruel (Egis Conseil –Transitions Energie&Data)


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