La route, socle de l’électrification des mobilités ?

Rédigé par

Leonard / Matthieu Lerondeau

Head of Communications & Communities, Leonard

476 Dernière modification le 16/08/2022 - 11:00
La route, socle de l’électrification des mobilités ?

Les nostalgiques des circuits électriques peuvent se réjouir : la route électrique grandeur nature est peut-être en train de voir le jour. Entre réduction des émissions et amélioration de l’autonomie des véhicules, elle présente de sérieux atouts. Reste à dépasser un certain nombre de freins, en particulier politiques…

Trois grandes familles de technologies

Recharger son véhicule électrique tout en continuant à rouler. Voilà la promesse de la route électrique, qui s’incarne aujourd’hui dans trois familles de technologies, plus ou moins matures. La première, qui est sans doute la plus éprouvée, consiste à installer des caténaires au-dessus du sol, à l’image de ce que l’on connaît dans le monde ferroviaire. Une solution efficace mais réservée aux véhicules de haute taille, qui demande par ailleurs l’installation de pantographes sur les véhicules. eHighway, développé par Siemens, est sans doute le projet de ce type le plus avancé.

La seconde piste technologique est à chercher sous les véhicules, grâce à la conduction par rail au sol. Les véhicules doivent alors être équipés de patins de captation, à l’image des voitures miniatures qui virevoltent sur les circuits d’enfants. A ce jour, les tramways de Bordeaux, Angers ou Tours sont parmi les rares exemples concrets d’Alimentation Par le Sol (APS), le nom de la technologie de conduction par rail au sol développée par le français Alstom. La grande discrétion de cette technologie dans l’environnement urbain a  également séduit les villes de Barcelone et Rio, qui souhaitent en équiper leurs tramways. En Suède, Elways a déployé une section de route test près de l’Aéroport d’Arlanda, à Stockholm. Elonroad, l’un des acteurs les plus avancé sur ce type de technologie, opère quant à lui actuellement un tronçon de 1km à Lund dans le sud de la Suède sur lequel il parvient à charger plusieurs catégories de véhicules.

Enfin, la dernière option technologique s’appuie sur l’induction pour proposer une recharge sans contact des véhicules. Une bobine réceptrice placée sous le châssis communique avec une boucle intégrée à la chaussée : l’énergie est transmise par un champ magnétique. De nombreuses expérimentations sont aujourd’hui menées dans le monde, alors que la limitation de puissance reste le frein majeur pour l’induction. Des filiales de VINCI – Omexom et Eurovia – mènent actuellement des projets pilotes à Karlsruhe et à Cologne avec la start-up israélienne ElectReon, à l’origine de la technologie.

Un accompagnement naturel de l’électrification

L’avènement des mobilités électriques n’est plus un horizon spéculatif ou un épiphénomène. Si les véhicules 100% électriques représentent aujourd’hui autour de 10% des ventes totales d’automobiles dans le monde, de nombreux constructeurs se sont fixés des objectifs de vente de véhicules électriques très ambitieux à horizon 2030-2035. Dans ce contexte, l’électrification des infrastructures routières apparaît comme un mouvement naturel. Elle permet en effet d’atténuer certains freins à l’adoption des mobilités électriques. Les principaux attraits des Electric Road Systems (ERS) sont la diminution de la taille des batteries nécessaires (un poids lourd ERS a besoin d’une capacité de 350 kWh contre 1200 kWh pour un poids-lourd électrique “classique”), la réduction radicale du nombre de bornes de recharge nécessaires, et bien sûr de manière plus générale une réduction majeure des gaz à effet de serre et des besoins en matières premières constitutives des batteries, comme le lithium, le nickel et le cobalt (la réduction des émissions de CO2 est estimée à 87% par rapport au parc “diesel” diesel et 64% par rapport à un scénario poids lourd “tout batterie », celle des besoins en matières premières à 1,7 Mt sur 20 ans). Ces systèmes offrent aussi des bénéfices opérationnels notoires pour les transporteurs routiers par rapport aux véhicules « tout batterie » : réduction du temps d‘immobilisation des véhicules pour la recharge, meilleure charge utile et réduction du prix d’acquisition des véhicules (constitué pour 1/3 par le coût de la batterie).

En s’appuyant sur le principe physique incontournable que l’électricité se transporte mieux qu’elle ne se stocke, les ERS ambitionnent d’atteindre un objectif séduisant : moins de batterie pour plus de rayon d’action.

 

Des freins importants à surmonter 

Malgré la validité technique de la route électrique, les freins restent importants. Le premier se situe du côté des véhicules, qu’il faut adapter quelle que soit la technologie employée… “L’industrie automobile est occupée à fabriquer des batteries et des logiciels, la question de la charge par induction est une préoccupation lointaine. Pour l’instant il s’agit de démontrer que les technologies fonctionnent”, explique Mauricio Esguerra, CEO et co-fondateur de Magment dans le New-York Times.

L’autre frein majeur concerne le modèle de gouvernance de la route électrique, qui se situe au croisement de nombreux marchés peu habitués à travailler ensemble, certains très régulés et d’autres moins. “L’introduction des ERS dépendra du soutien gouvernemental, seul à même d’équilibrer les perspectives économiques du secteur des transports et du secteur de l’énergie”, précise un rapport du projet CollERS: Connecting countries by Electric Roads mené en collaboration par la Suède et l’Allemagne.


Une coordination politique nécessaire

Au-delà des technologies, la dimension politique du développement des routes électriques est incontournable. En France, le gouvernement a mené trois groupes de travail liés à l’autoroute électrique, sur les enjeux et stratégies, les solutions techniques, et l’expérimentation en vraie grandeur. Une initiative qui a donné lieu à un appel à projets autour de l’expérimentation d’ERS, dans le cadre du 4ème volet du Programme d’Investissement d’Avenir (PIA 4). Dans l’un des rapports des groupes de travail on peut lire “L’ERS sera européen ou ne sera pas, tant les trajets longue distance des poids lourds et VUL traversent l’Europe en tous sens”. Dans ce contexte, le projet CollERS est exemplaire. Les résultats (détaillés ici) mettent en avant un certain nombre de points moteurs liés à la collaboration transeuropéenne :

  • Faire la démonstration de l’efficacité des ERS
  • Favoriser la coopération stratégique entre les pays
  • Renforcer les développements nationaux grâce aux synergies européennes
  • Ouvrir la voie à une intégration des ERS dans la législation européenne

 

La route, productrice d’électricité ? 

Au-delà de la conduction de l’électricité, les routes de demain pourraient également servir à la production d’énergie, et mettre à profit leur emprise foncière. Dans cette logique, un grand nombre de projets de routes solaires (Solaroad ou WattWay par exemple) – fonctionnant comme des panneaux photovoltaïques – ont vu le jour, avec des résultats encore mitigés… Plus prometteuse, les ombrières solaires pour autoroute – développées par l’Austrian Institute of Technology – pourrait faire coup double en produisant de l’électricité tout en rafraîchissant la route. Chez Eurovia, la technologie Power Road ambitionne de capter l’énergie thermique du rayonnement solaire et de la transmettre aux infrastructures environnantes, via un système de pompes à chaleur. D’autres explorent le potentiel de l’éolien autoroutier, dont les rendements seraient améliorés par le passage des voitures…

Quelle que soit la technologie, la route évolue et cherche aujourd’hui à prendre sa part dans les efforts de transition énergétique.

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