La relation bailleur/preneur, clé de la réussite d’un projet de rénovation énergétique

Rédigé par

Françoise MISERMONT

Responsable Technique, Doctorante

1698 Dernière modification le 12/04/2023 - 12:00
La relation bailleur/preneur, clé de la réussite d’un projet de rénovation énergétique

 

L’implication conjointe des propriétaires et preneurs à bail conditionne la réussite de la rénovation énergétique du secteur tertiaire. Quel rôle chacun doit-il jouer aujourd’hui pour la qualité environnementale et la performance énergétique de demain ? 

Dispositif Éco Énergie Tertiaire : une programmation conjointe vers des objectifs communs

L’objectif visé par le dispositif Éco Énergie Tertiaire (DEET) est une baisse de 60 % de la consommation d’énergie à l’horizon 2050. Cette réduction appelle à la mise en œuvre d’actions  visant à l’amélioration des performances énergétiques du parc immobilier tertiaire où deux acteurs y jouent un rôle majeur : les propriétaires et les preneurs à bail. La rénovation énergétique accroît une problématique historique qui les divise : celle de la répartition des travaux à engager. Mais alors, comment appréhender en bonne intelligence ces nouveaux enjeux énergétiques ? Cette étude distingue deux catégories d’actions ayant un impact sur les consommations d’énergie : les actions pour l’usage, propres à l’activité du preneur à bail et les actions pour le bâti, relatives à la performance globale de l’enveloppe, propriété du bailleur. Plusieurs études antérieures ont analysé l’influence de ces actions sur la consommation d’énergie, mais leurs conclusions se sont heurtées à l’absence de données réelles sur l’ensemble d’un parc. La réussite d’un projet de rénovation énergétique est pourtant conditionnée par la programmation conjointe d’actions relatives à l’usage et d’actions pour l’amélioration des performances du bâti.

L’amélioration des performances énergétiques des équipements liés à l’usage : enjeux et limites

Pour réaliser cette évaluation, une méthodologie d’analyse de données est retenue. Elle intègre des consommations d’énergie, un historique de travaux de rénovation sur une période de dix ans et les objectifs du DEET. Les données de consommation sont collectées auprès du gestionnaire du réseau de distribution de l’électricité, pour une période comprise entre 2011 et 2021. Les informations relatives à l’historique des travaux sont recueillies auprès des décideurs. Ces données concernent un établissement à usage commercial d’une surface moyenne à l’échelle du parc immobilier composé de 112 magasins dans lequel il s’inscrit. Ces derniers sont répartis sur l’ensemble du territoire français métropolitain et font l’objet d’opérations de rénovation visant à l’amélioration des performances des équipements d’usage depuis dix ans. L’établissement étudié, d’une surface de plancher de 3 480 m2 construit entre 2001 et 2012 est localisé en zone thermique H1a, sur la commune de Chanteloup-en-Brie (77). Le preneur à bail occupe l’établissement depuis 2007. Le tableau réalisé (Fig.1.) présente l’évolution des consommations d’énergie de la surface commerciale n°72.

Quelles actions pour quels effets ? 

Entre 2011 et 2021, les consommations d’énergie de la surface commerciale n°72 ont diminué : trois actions successives d'amélioration des performances énergétiques liées à l’usage ont provoqué cette baisse. Elles concernaient successivement le remplacement du système de climatisation, ventilation et chauffage (CVC) le remplacement des systèmes d’éclairage : et l’installation d’un système de gestion technique du bâtiment :

  • A partir de 2012, l’équipement CVC en place observe des défaillances qui se traduisent par une augmentation de la consommation d’énergie jusqu’en 2016. Devenu trop énergivore, il est remplacé par un système performant de type pompe à chaleur. Cette opération intervient dans le cadre courant des opérations de maintenance : elle est éligible au dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE).
  • En 2007, l’aménagement du magasin intègre la mise en œuvre de l'éclairage : cette installation constitue une première innovation car le dispositif prévoit trois niveaux d’éclairage. Le premier niveau sollicite 30% de l’ensemble de l’éclairage (en présence du personnel, hors horaires d’ouverture), le second mobilise 60% (en présence du public, durant les heures d’ouverture à faible affluence) et le dernier 100% (en présence du public, durant les heures d’ouverture à forte affluence).
  • Le remplacement de l’éclairage d’origine est réalisé en août 2018. Au total, 1180 tubes LED sont installés. Les niveaux d’éclairage sont conservés. L’outil de financement choisi pour ces opérations est le crédit-bail avec option d’achat.

Le système de gestion technique du bâtiment est déployé en juin 2017. Il collecte des données et pilote les équipements techniques à distance. Le fonctionnement de l’équipement CVC, initialement dirigé par le gérant du magasin, est relayé à l’équipe technique du siège social. Il en va de même pour les périodes d’allumage de l’éclairage. Dès 2010, les décideurs ont progressivement doté les établissements d’un système de gestion. En ce sens, ils ont investi dans l’innovation.

L’expérience est concluante : en dix ans, les consommations d’énergie du site n°72 ont diminué de 37%. L’évolution des consommations d’énergie sur cette période est corrélée au fonctionnement des équipements, résultat des besoins de l’activité. Sans actions portées à l’amélioration des performances énergétiques de l’enveloppe, les objectifs du décret tertiaire sont-ils atteints ? 

Des objectifs fixés qui ne seront individuellement pas atteints

L’optimisation de ces dispositifs permettrait, dans une certaine mesure, de nouveaux gains. Comme par exemple, l’ajustement du fonctionnement de l’équipement CVC au profil et aux besoins d’occupation du local. Ou la correction des dérives auxquelles sont soumis les systèmes de gestion du bâtiment. Ou encore, une réflexion sur la pertinence de l’éclairage selon le concept commercial : intensité, localisation des luminaires et ambiances souhaitées. L’objectif visé à l’horizon 2050 (-60%) n’est cependant pas atteint : entre 2016 et 2021, les consommations d’énergie ont diminué de 51%. Cette étude de cas révèle que : 

  • La performance énergétique des équipements installés ne compense pas les pertes inhérentes au manque d’efficacité de l’enveloppe
  • La recherche d’économie ne doit pas se faire au détriment du confort des usagers
  • La rénovation de l’enveloppe est nécessaire à l’atteinte des objectifs du DEET et plus largement en réponse à l’urgence d’une rénovation d’ampleur du secteur tertiaire

Enveloppe et usage au service de la performance

La majeure partie de l’immobilier tertiaire a historiquement dissocié l’usage et l’enveloppe. Cette dernière assurait un clos-couvert, une “boîte”  dans laquelle s’exerçait une activité donnée. Les qualités constructives étaient délaissées au profit de l’optimisation des coûts. Cette logique a participé à la construction d’un parc où la rénovation énergétique est désormais l’enjeu. A l’heure où le prix et la disponibilité de l’énergie impactent désormais la pérennité de l’activité, cette logique est appelée à évoluer. La qualité constructive doit désormais favoriser l’optimisation des coûts. Elle répond à plusieurs enjeux impliquant les intérêts du propriétaire et du preneur à bail :

  • Tout d’abord, un enjeu d’attractivité. La performance de l’enveloppe doit être assurée par le propriétaire. Il est l’acteur invariable du projet, à la différence de l’activité qui (liée au preneur) est amenée à évoluer. L’efficacité énergétique devient alors un facteur déterminant à l’expansion commerciale, au même titre que la localisation.
  • Ensuite, un enjeu économique. L’efficacité de l’enveloppe entraîne en chaîne la performance des équipements installés par le preneur à bail, en réponse aux besoins de son activité : les dispositifs (éclairage, CVC, …) sont dimensionnés à leur juste mesure et selon le confort visé.
  • Enfin, un enjeu d’exemplarité. L’interdépendance des performances de l’enveloppe et de l’usage implique des efforts partagés où chaque acteur participe à la valorisation de l’autre. 

Plusieurs dispositifs peuvent être saisis dans le cadre d’un programme de rénovation économiquement soutenable. Parmi eux, des dispositifs d’intracting  avantageux dans la mesure où l’augmentation du prix de l’énergie induit un raccourcissement du délai du retour sur investissement. Des évolutions peuvent être apportées aux outils juridiques tels que le bail commercial et l’annexe environnementale. Enfin, la projection anticipée des besoins permet d’ajuster les actions à réaliser. 

Au-delà du dispositif Éco Énergie Tertiaire…

A raison d’un faible taux de renouvellement du bâtiment et sans massification des actions de rénovation, le parc énergivore d'aujourd'hui sera celui de 2050. Le DEET offre un cadre à l’exercice de la rénovation énergétique, dont les propriétaires et leurs locataires doivent conjointement se saisir. Au changement énergétique s’ajoute un contexte mondial en constante évolution. L’avenir du tertiaire est conditionné par l’évolution des tendances politiques (conflit en Ukraine, disponibilité de l’énergie), soumis aux variations à venir du climat (+2,7°C avant la fin du siècle selon le GIEC) et enfin aux bouleversements des modes de consommation (développement du commerce en ligne, circuits courts, …). Et si la question “comment appréhender les projets de rénovation ?” devait être complétée par “à quels besoins devra répondre le tertiaire en 2050 ?”.



Un article signé Françoise Misermont, Université Clermont Auvergne

1. Décret n°2012-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire. Section 8, sous-section 2. « Les actions destinées à atteindre les objectifs mentionnés au I portent notamment sur : la performance énergétique des bâtiments, l’installation d’équipements performants et de dispositifs de contrôle et de gestion active de ces équipements, les modalités d’exploitation des équipements, l’adaptation des locaux à un usage économe en énergie et le comportement des occupants. »
2. Le cadre juridique est donné depuis 1804 par les articles 605 et 606 du Code Civil. Selon ces articles, le preneur à bail “n’est tenu qu’aux travaux d'entretien” tandis que “les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire”. Les travaux qui visent à l’amélioration des consommations d’énergie ne s’inscrivent pas clairement dans l’une ou l’autre de ces catégories. 
3. Il s’agit du parc immobilier de l’enseigne B&M FRANCE, spécialisée dans le commerce de détail. La surface SHON moyenne des établissements est de 3353m2. Les typologies sont variées : stand alone, retail park, centre-commercial et centre-ville. L’installation des premiers systèmes de gestion technique du bâtiment a eu lieu dès 2010, de même que le déploiement de l’éclairage LED.
4. Deux pompes à chaleur sont installées : les unités monoblocs sont placées en toiture. Ces équipements observent un coefficient de performance de 3,10 (chauffage).
5. Une veille annuelle des consommations d’énergie est réalisée par les décideurs ; les sites énergivores sont identifiés et la cause des dérives analysées. Si le système CVC est en cause, son remplacement est inscrit au prochain budget annuel de maintenance. 
6. Péron, René (2004). Les boîtes les grandes surfaces dans la ville. Nantes : L’ Atalante, 221 p.
7. « L’intracting est un dispositif de financement permettant de financer des actions d’efficacité énergétique.(…) Les crédits de fonctionnement non dépensés, c’est-à-dire les économies (d’énergie) réalisées suite et grâce aux actions engagées, sont ainsi « transformés » en crédits d’investissement ». CEREMA (2018) L’intracting : une démarche pour financer la rénovation énergétique des bâtiments. 


Article suivant : Dispositif Éco Énergie Tertiaire : les propositions concrètes des acteurs de l'ingénierie, Damien Racle


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