La fourniture d'électricité : prochaine « technologie sans fil » ?

Rédigé par

Philippe Durand

Chargé de missions

2070 Dernière modification le 14/10/2016 - 11:29
La fourniture d'électricité : prochaine « technologie sans fil » ?

Depuis le début des années 2000, le marché électrique français connaît des perturbations, avec la multiplication des acteurs, distributeurs ou producteurs, dont certains sont étrangers. Si les particuliers peuvent y voir, à raison, des opportunités, la jungle s’épaissit pour beaucoup d’autres, pour qui l’avenir est difficilement lisible. Face à cette complexité nouvelle, de plus en plus nombreux sont ceux qui font le choix de l’indépendance énergétique. Le stockage d’énergie, qui connaît un essor sans précédent, vient apporter la dernière pièce manquante.

La production électrique se morcelle en France, depuis une quinzaine d’année. Outre l’ouverture à la concurrence du marché occupé par EDF, de nombreux particuliers ont lancé leurs petites productions électriques, même si « L’ouverture du marché apparaît très partielle et le poids de l’opérateur historique EDF reste largement prédominant », selon la Cour des Comptes.

Jusqu’au début du présent siècle, l’ensemble de la production électrique française était concentré dans les mains d’un seul producteur, les quelques sources annexes étant négligeables. Depuis, la quantité d’unités de production (éolienne et photovoltaïque, principalement, mais aussi biomasse et marémotrice) est en croissance constante. Les énergies renouvelables sont toujours une source très minoritaire d’énergie, mais ont permis à des milliers de petits producteurs, entreprises ou particuliers, de prendre part à la production. Au début de la vague du photovoltaïque et mini-éolien, il était d’ailleurs très avantageux de revendre son électricité sur le réseau (bien plus que de la consommer soi-même), en raison de tarifs de rachats incitatifs. Mais les conditions de rachats ont changé de manière unilatérale, et les calculs initiaux de rentabilité se sont effondrés. Quoi qu’il en soit, la revente passe forcément par la connexion filaire au reste du réseau, chose dont on peut aussi se passer.

Car il existe une étape au-delà, qui surfe sur la vague de progrès technique constant des unités de production et des batteries : l’off-grid, hors réseau, en anglais. L’off-grid ne se résume pas à la production individuelle de son électricité : l’unité off-grid produit, stocke et consomme son électricité de manière complètement indépendante du réseau. Allons-nous nous affranchir du réseau électrique, approchons-nous du off-grid général ? Si tel était le cas, il s’agirait d’une révolution majeure dans l’industrie électrique. « Grâce à ces individus qui se débranchent en partie du "système", imaginons nos sociétés occidentales consommant moins de pétrole, moins d'électricité, moins de finance internationale, moins de médecines technologiques, moins d'objets, et générant moins de déchets, moins de gaspillages… », prophétise Christophe Chenebault, sur un plan plus large.

Si une grande majorité des logements et bâtiments resteront dans le réseau (dans les pays occidentaux), force est de constater que la production nucléaire stagne et que la production thermique décroît. Les énergies renouvelables sont donc appelées à prendre le relais. Or elles nécessitent un point de stockage d’énergie – les fameuses batteries dont le saut capacitaire actuel fait parler de lui. Le « sans-fil » (relié au réseau) électrique est donc plus que possible, il représente l’avenir, ceux qui sont destinés à l’off-grid. Et ceux-là pourront bénéficier des avantages de l’indépendance du réseau : une dépense énergétique quasi-nulle, une énergie propre, et une liberté par rapport au fournisseur. L’avantage n’est pas que financier et écologique, il est aussi social.

Le off-grid : oui, mais pour qui ? Les applications sont multiples, pour les entreprises comme pour les particuliers. Les sociétés qui travaillent dans des zones reculées, difficiles d’accès, ou qui déplacent régulièrement leur lieu d’activité seront les premières concernées par ce nouveau phénomène. Les entreprises forestières, de forage, les activités de montagne, ou insulaire, ou off-shore sont autant de candidats à ce nouveau mode de production/consommation. Le rattachement au réseau dans les zones reculées peut être très compliqué et coûteux (voire simplement refusé par le gestionnaire du réseau).

Le off-grid, oui, mais comment ? Dans le principe, l’opération reste relativement simple : Une (ou plusieurs) unité(s) de production électrique éolienne ou photovoltaïque fournit un courant grâce à l’énergie renouvelable. Afin de lisser la quantité d’énergie disponible, une batterie est placée dans le circuit, afin d’emmagasiner le courant qui n’est pas utilisé, afin de le restituer lorsque les appareils en ont besoin. La batterie agit comme une réserve ou un tampon, afin de lisser l’énergie disponible.

Or, du côté production, comme du côté stockage, les progrès de ces dernières années ont été faramineux, ce qui fait que le système global fonctionne plutôt bien, malgré un coût encore élevé, mais en chute constante. Gilles Ramzeyer, directeur de la division stockage d’énergie de Forsee Power, un des principaux intégrateurs de batterie en France et en Europe, décrypte la tendance du marché : « Si nous considérons tout d’abord le cas d’un particulier rural, qui dispose d’importantes surfaces aménageables, l’autonomie à 100% est d’ores et déjà techniquement possible, mais à un coût élevé. Mais la baisse continue des coûts et l’augmentation des performances pourraient rendre cette solution envisageable à moyen terme à un coût abordable […]. » La question de l’espace se pose naturellement de manière très différente en ville : « Pour un citadin par contre, l’équation risque de rester encore longtemps techniquement insoluble. La surface disponible par citadin est extrêmement réduite. Sur le court et moyen terme, l’autonomie n’est pas envisageable techniquement, sans même aborder la question du coût », ajoute le directeur de Forsee Power. Il résume par ailleurs l’écueil principal vers l’autonomie complète off-grid : « au-delà du coût, le problème de fond reste surtout la quantité d’espace dont on dispose pour déployer des systèmes de production et de stockage d’énergie ». Reste que les progrès constants en densité d’énergie des batteries et en rendements des unités de production pourraient rendre tout cela possible à court terme.

La notion d’alimentation électrique sans raccordement filaire au réseau était encore illusoire il y a 20 ans, car la technologie était encore bien trop balbutiante. Mais les progrès techniques sur les 20 dernières années ont été fulgurants, tant sur les appareils individuels de production électrique que sur les capacités de nouvelles batteries, et les prix ont simultanément chuté sans cesse. Le off-grid est possible aujourd’hui, moyennant l’espace disponible et un investissement initial (qui peut éventuellement être allégé par des aides de l’état). Et face à un réseau de plus en plus sollicité et dont la production stagne ou décroît, il apparaît de plus en plus comme une solution sure pour notre avenir électrique.

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