"La construction hors-site, un atout majeur au service de la décarbonation" (Pascal Chazal)

Rédigé par

Grégoire Brethomé - Construction21

Responsable éditorial

5297 Dernière modification le 10/02/2023 - 11:51

Pascal Chazal, directeur du magazine Hors-site et président du Campus Hors-site, première école spécialisée dans la construction hors-site, est aussi CEO de Patch Conseil, cabinet de conseil en construction hors-site. Il met en avant les atouts de ce système constructif, déjà bien implanté à l'étranger, qui tend à se développer en France.

Alu, béton, bois etc. quels sont les matériaux les plus propices à faire de la construction hors-site ?

La construction Hors-site n’est pas un sujet de matériaux mais un sujet de process ! Il est possible de faire du hors-site avec tous les matériaux, cependant les matériaux de la filière sèche sont souvent privilégié, car le temps de séchage et le poids du béton sont des freins à l’industrialisation.

Entre 2D et 3D quelle est la tendance actuelle ? Les bénéfices de chacune des méthodes ?

Le 2D est pour le moment largement privilégié car il ne change pas trop les habitudes, les acteurs de la construction depuis des années intégrer dans leurs projets des éléments 2D en béton, plus récemment des éléments en bois, façades par exemple. Le 3D offre un très fort potentiel d’amélioration et se développe partout dans le monde à vitesse exponentielle, mais pour réussir, il faut changer les habitudes, pour que les usines puissent produire de manière efficace, il faut que la conception soit adaptée, que les processus d’achat changent, c’est un véritable changement de paradigme.

Est-ce que la RE2020 favorise la construction hors-site ? Est-ce que cela fait une vraie différence dans le calcul des émissions carbone ?

Oui la RE2020 va pousser très fort vers la construction Hors-site, la nécessité de réduire l’impact carbone va pousser les acteurs à utiliser moins de béton et se tourner vers des matériaux recyclables, renouvelables et biosourcés. L’acier, le bois seront donc de plus en plus utilisés, ces matériaux ne sont pas transformés sur le chantier mais dans les ateliers ou les usines, c’est du hors-site. Par ailleurs, comme le prouve certaines études (Cambridge, Édimbourg, Lulea…). La construction hors-site réduit considérablement l’impact carbone de la construction, elle réduit les déchets, les transports permet de mieux utiliser les heures et les matériaux, jusqu’à 40% de réduction du carbone embarqué !

Dans quelle mesure peut-on avoir recours au hors-site dans le cadre de rénovations (hors EnergieSprong) ?

Le volume de rénovation performantes est tellement considérable, (700 000 logements par an) que la main d’œuvre ne sera jamais suffisante si l’on fait tout sur le chantier. Des études (Greenflex, Energiesprong) ont montré qu’un tiers des logements peut être rénové en utilisant la préfabrication. Produire des éléments en usine permet d’accélérer le processus de rénovation et de libérer les ouvriers pour les opérations plus complexes ou la préfabrication n’est pas une bonne solution. 

Existe-t-il des préfabrications qui misent sur le bas carbone, et notamment les matériaux biosourcés ?

Oui bien sûr de nombreux acteurs cherchent à créer des boucles locales et à utiliser les matériaux biosourcés, le chanvre, la terre, le lin, la paille, et même la pierre. Il est plus facile de les incorporer dans un atelier et de livrer un élément fini sur le chantier.

La France est-elle en avance par rapport à ses voisins européens ? À l’international ?

La France a fait beaucoup de progrès ces dernières années sur le bois, elle rattrape son retard sur la Scandinavie, l’Allemagne ou l’Autriche, mais la vision est une vision bâtiment : on conçoit comme d’habitude, comme si on allait construire le bâtiment en béton, une fois conçu, on cherche un pré fabricateur, il n’y a pas de recherche d’optimisation, ça marche on sait faire mais le coût est trop élevé. La France est par contre en retard par rapport à d’autre pays sur l’industrialisation, la construction modulaire, la construction Hors-site et les nouvelles méthodes de construction. Le Royaume-Uni est très en avance, avec un engagement très fort du gouvernement qui a compris que pour mettre en place une véritable industrie, il faut lui donner de la visibilité sur son carnet de commande. C’est ce qu’ils font par la mise en place d’accords-cadres de plusieurs milliards de livres. 

Pouvez-vous nous citer des exemples français ? Et à l’international ?

En France on voit un beau développement de certaines entreprises du bois, Mathis par exemple ou comme le réseau Maître cube, d’autres acteurs font de l’industrialisation un atout comme GA Smart Building. À l’international, les exemples sont nombreux, on peut citer Boklok (IKEA) en Suède, Goldbeck en Allemagne, Laing O’rourque ou Tide construction au Royaume-Uni. Nous avons un article dans le dernier N° de Hors-site sur Tide et Vision Modular qui est un véritable succès story.

Quelles sont les grandes innovations attendues pour 2023 ?

Les innovations attendues sont plus culturelles que techniques, pour que le hors-site se développe, il faut avant tout que les acteurs de l’amont, élus, politiques, maîtres d’ouvrages, concepteurs comprennent la construction Hors-site est un atout majeur au service de la décarbonation que les avantages sont grands pour le pays sur le plan environnemental, social et économiques. La prise de parole de Emmanuel Macron, du ministre du logement Olivier Klein en faveur de la construction Hors-site sont des signes forts. 

Comment jugez les perspectives de développement pour la filière ?

Tous les grands cabinets s’accordent pour dire que la construction Hors-site va se développer très vite et très fort, qu’elle peut représenter 30% du marché d’ici 2030. Nous avons mené avec Batimat, l’ACIM et le Campus Hors-site une enquête pour la deuxième fois dans le cadre du baromètre de la construction Hors-site, nous avons interrogé plus de 400 décideurs, maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvres, 80% de ceux-ci pensent que la construction Hors-site va se développer dans les prochaines années. Ce n’est pourtant pas un long fleuve tranquille, devant les difficultés de construire sur site, les nouvelles normes, (RE2020) la demande arrive en masse, des industriels investissent, mais ils peinent à être rentable, le marché n’est pas orienté vers l’usines mais vers le chantier, c’est cela qu’il est impératif de changer sinon les usines vont fermer faute de rentabilité.
 

Des propos recueillis par Stéphanie Obadia, Directrice de la rédaction
et Grégoire Brethomé, Responsable éditorial - Construction21

 

Partager :