L’humain au coeur du bâtiment

Rédigé par

Anne-Laure Boursier

Project manager for Circular economy solution implementation

2759 Dernière modification le 12/11/2018 - 11:00
L’humain au coeur du bâtiment

Anne-Laure Boursier, philosophe chez Rabot Dutilleul, est la rédactrice en chef du dossier "L'humain au coeur du bâtiment". Elle utilise l'approche philosophique et les sciences humaines pour penser les grands enjeux de l'immobilier. Ses principaux sujets de réflexion actuels concernent le sens de la ville et l'éthique de la ville, entendue comme voie d'accès au bonheur ou, plus simplement, au bien-être. 

Les disciplines scientifiques sont officiellement organisées en deux ensembles distincts : d’un côté les sciences du monde et de l’autre les sciences humaines. Les premières étudient les lois qui régissent le monde, les secondes s’intéressent aux êtres humains. Les deux sont rationnelles, sinon elles ne seraient pas scientifiques. Certes, les humains font aussi partie du monde et donc ils subissent aussi les lois du monde, comme tout corps matériel. Quelles sont ces lois ? « Les lois sont des rapports constants et nécessaires entre les phénomènes de telle sorte que les uns étant donnés, les autres s’en suivent nécessairement »[1]. Si la pomme se détache de l’arbre, elle tombe, c’est ce que nous dit la loi universelle de la gravitation, et elle nous permet également de calculer la durée de la chute, en fonction de différents paramètres comme la hauteur de la branche. Moi aussi j’effectue une chute libre si je tombe de l’arbre auquel j’ai grimpé. L’humain n’échappe pas à ce déterminisme universel des phénomènes matériels. En outre, la psychologie, la sociologie, l’économie etc. ont pour vocation de formuler des lois spécifiques régissant sa conduite et de la modéliser, en incluant les phénomènes immatériels et les comportements.

Pourtant, les affaires humaines nous paraissent devoir se placer sous le signe de la contingence et non de la nécessité. Si tout fait a une cause et si les mêmes causes produisent les mêmes effets, il nous semble cependant que nous humains avons une capacité à rompre cet enchaînement mécanique des causes et des effets : nous sommes des êtres libres. Or le libre arbitre est une entorse au mode d’explication rationnelle consistant à lier les phénomènes entre eux, selon des lois de cause à effet. Il est un renoncement à la seule causalité déterminée et admet le principe d’une causalité libre.

Nous avons donc la capacité à agir et choisir en nous représentant les différentes actions possibles sans être déterminés par le passé et sans suivre les chemins tracés d’avance. C’est ainsi que nous sommes en mesure de détourner des fonctions pour de nouveaux usages – utiliser un banc pour s’allonger, ou prendre des raccourcis sans utiliser les chemins prévus pour les piétons. A titre d’exemple, on trouve sur internet des site de Hacking des produits issus de la grande consommation, comme IKEAhackers.net  “all about modding, repurposing and customizing IKEA products. We have 5,000 (+ counting!) hacks from all over the globe” [NDLT: Tout sur la modification, la requalification et la personnalisation des produits IKEA. Nous avons 5 000 piratages (et plus encore à venir) issus du monde entier]. Cette liberté et cette créativité sont tout particulièrement à l’œuvre dans nos logements. Les mécanismes rationnels et déterministes sont donc insuffisants pour penser l’interaction entre les bâtiments et leurs habitants.

Or la ville et ses bâtiments sont souvent l’œuvre des sciences du monde, et assez peu celle des sciences humaines, dont nous aurions pourtant tout intérêt à intégrer les perspectives. En effet, « l’humain est le cœur du bâtiment et sa raison d’être », comme le dit avec pertinence l’architecte Charles-Henri Tachon.

Dans ce dossier thématique, nous avons donc voulu mettre l’humain au centre de la réflexion en proposant des points de vue éclectiques, ayant en commun d’analyser sa place dans le bâtiment. Ainsi, nous nous intéresserons à l’humain en tant qu’usager, en tant que patient, travailleur, habitant d’une copropriété, être sensible et moral, consommateur, mais aussi en tant qu’habitant d’un milieu particulier.

Article signé par Anne-Laure Boursier, philosophe, Rabot Dutilleul

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[1] http://www.Philolog.fr, Déterminisme et Liberté, Kant

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