Intensifier les usages en s’appuyant sur les résidents

Rédigé par

Estelle Gallic

1662 Dernière modification le 01/06/2023 - 17:25
Intensifier les usages en s’appuyant sur les résidents


Pour répondre aux besoins des habitants dans une ville densifiée, le logement doit se modifier et nécessite de créer de nouveaux espaces mutualisés. L’assistance à maîtrise d’usage (AMU) et l’utilisation d’outils numériques peuvent aider à la gestion et à une meilleure appropriation de ces espaces pour améliorer la qualité de vie des habitants.  

On l’a constaté ces dernières années : le périmètre du lieu de vie s’est déplacé pour se recentrer sur l’habitat. Un phénomène accentué par la crise sanitaire. Avec l’essor du télétravail, le logement n’est plus seulement un lieu de repos et d’intimité familiale : il exige de nouveaux usages. Cela passe souvent par la nécessité de prolongements extérieurs : balcons ou jardins, alors même que les logements sont de plus en plus petits (-15 men 20 ans en typologie égale en Île-de-France[1]). Parallèlement, la ville fait face à une nécessité de se densifier, pour lutter contre l’artificialisation des sols et répondre aux objectifs de transition écologique. 

Des immeubles inspirés d’ailleurs qui mutualisent des services

De nouveaux modes d’habiter émergent, inspirés d’ailleurs. Aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud, les immeubles serviciels ou condominiums sont bien connus. Ce sont des immeubles de logements qui disposent d’espaces partagés. Sur ces modèles, de nombreux immeubles modernes proposent désormais aussi des espaces mutualisés. Certains sont devenus assez classiques, comme les locaux vélos, qui répondent à une réglementation ou les jardins partagés, mieux connus, mais d'autres vont plus loin. On trouve ainsi des immeubles avec salles de sport, piscines, toits-terrasses, salles communes, buanderies ou conciergeries pour les résidences les plus luxueuses.

Il en est ainsi dans l’immeuble Allure, dans le quartier des Batignolles, dans le 17e arrondissement de Paris. Ce projet a été porté et mis en œuvre en tandem par deux promoteurs immobiliers (Ogic et Demathieu Bard) et deux agences d’architecture (Fresh et Itar). Ce bâtiment, inspiré des copropriétés new-yorkaises, est composé de 121 logements avec une partie en habitat social. Il comporte plusieurs espaces collectifs dont certains particulièrement innovants. On trouve ainsi une terrasse d’une centaine de mètres carrés... qui est réservable à la location, pour 10 à 15 euros de l’heure, dispose d’une cuisine d’extérieure, avec plancha, barbecue, tables de pique-nique (idéal pour les anniversaires ou moments entre amis) et attenant à cette terrasse se trouve une “chambre d’hôtes à louer” : parce que, comme le précise Ingrid Taillandier, architecte chez ITAR Architectures concernant le projet Allure : “Nous n’utilisons, finalement, que très occasionnellement cette pièce en plus, communément appelée chambre d’amis, nous permettons aux habitants d’en bénéficier lorsqu’ils en ont besoin, ce qui leur permet de faire l’économie d’une pièce en plus lorsqu’ils acquièrent un logement, ou de la consacrer à autre chose[2].” Les résidents peuvent louer pour 40 à 50 euros par nuit –  frais de ménage inclus –, soit moitié moins que les logements courte durée du quartier, pour leurs familles ou amis. La résidence possède aussi son propre espace buanderie, qui évite aux résidents l’achat d’un lave-linge ou de sèche-linge, aussi chers qu’encombrants. Ces espaces sont pensés comme des lieux “conviviaux et propices aux échanges” selon les promoteurs. L’argent récupéré sur ces locations permet de faire baisser les charges de copropriété. 

Au-delà des simples espaces mutualisés, de nombreux projets d’habitats participatifs voient également le jour, suite à l'encadrement législatif apporté par la loi ALUR de 2014. Ces manières d’habiter différentes font écho aux besoins de lien social, de solidarité mais aussi d’économies d’échelles qui correspondent aux aspirations de plus en plus de citadins. Ces habitats participatifs vont souvent loin dans la mutualisation des lieux et intègrent des salles communes, salles de jeux pour les enfants, salles de cinéma ou espaces de coworking pour permettre aux télétravailleurs d’avoir un espace où se retrouver.

Mutualiser : des vertus écologiques et solidaires 

Mutualiser les usages a des vertus économiques mais aussi environnementales : ainsi, une outilthèque évite d’avoir à générer de futurs déchets en optimisant le prêt d’objet ou d’outils, comme des perceuses, mais aussi taille-haies ou tondeuses. Une salle de sport commune évitera l’achat, et donc le coût environnemental de 15 vélos d’appartements individuels (qui ne serviront plus après quelques semaines... la plupart du temps !) C’est aussi le cas des potagers partagés qui fleurissent partout en ville. Ainsi, à Nantes, depuis 2021, sur 40 sites différents, les locataires du bailleur social Nantes Métropole Habitat ont accès à des jardins potagers partagés au pied de leur résidence. L’occasion pour les habitants de mettre les mains dans la terre et d’assurer (une partie) de leur autonomie alimentaire ! 

Après une phase de concertation et de co-construction, les résidents, accompagnés par deux animateurs-jardiniers ou des associations d’agriculture urbaine, ont délimité les périmètres, appris à se servir des outils et ont commencé à planter. Pour chaque jardin, le bailleur social a fourni des graines et installé les équipements partagés nécessaires : bacs à compost, clôtures, cabanes à outil, tables de rempotage et récupérateurs d’eau de pluie… Les potagers partagés permettent de répondre au besoin de reconnexion à la nature, exprimé par de nombreux citadins qui peuvent faire le choix de vivre en ville plutôt que s’éloigner pour construire une maison individuelle à la campagne, ce qui participe à l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. Poussant l’expérience encore plus loin, Nantes métropole Habitat a équipé l’un des immeubles d’un toit-terrasse transformé en « serre-pépinière ». L’activité agricole est prise en charge par un maraîcher professionnel, qui fournit des plants pouvant être replantés dans les jardins. De son côté, la chaleur récupérée dans la serre chauffe l’eau sanitaire des logements. 

Cette utilisation des toits est de plus en plus présente dans les projets des promoteurs. C’est le cas chez Cogedim, qui cherche à faire vivre ces espaces en les transformant en lieux de convivialité. Serres partagées à Asnières, grande terrasse commune à Villeurbanne, piscine à Saint-Laurent-du-Var et ou encore l’immeuble New G, qui, dans le 13e arrondissement de Paris propose salle de sport, atelier de bricolage, terrasses, buanderie ou encore bibliothèque partagée. Les enfants ont même droit à une aire de jeu sur la terrasse, sur laquelle se trouve aussi une grande serre potagère ainsi qu’un écran de cinéma ouvert à tous les habitants. Tout a été pensé pour créer une vraie communauté de vie. 

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Comment coller aux besoins des usagers ? 

Mais comment faire en sorte que les usages prévus au moment de la conception d’un bâtiment soient appropriés par les habitants ? Il y a parfois un gouffre entre les besoins fantasmés d’une maîtrise d’ouvrage et les besoins réels des futurs résidents. Pour faire en sorte que les usages des lieux collectifs soient mieux appropriés, dans l’idéal, il faut inclure l’habitant ou futur habitant aux projets dès la phase de conception. Les professionnels de la production urbaine, sont encore aujourd’hui peu habitués à introduire un acteur-habitant dans la co-conception de la production des espaces. Néanmoins, ils commencent à s’interroger sur la maîtrise d’usage. En effet, les formes de légitimité construites dans le domaine de la production de l’espace ont eu tendance à écarter l’habitant au profit des experts, comme l’ont observé de nombreux chercheurs. (Zetlaoui-Léger, 2013[3], Gardesse, 2011).

C’est là que l’assistance à maîtrise d’usage a toute sa légitimité. En effet, l’AMU permet d’identifier les besoins réels exprimés par les experts de l’usage que sont les résidents et non pas les besoins projetés du maître d’ouvrage, qui doit déjà composer avec de nombreuses contraintes ! Faire appel à un AMU permet une meilleure programmation. Dans sa dimension opérationnelle, l’AMU se déploie en invitant l’usager à devenir acteur de son cadre de vie bâti et à tisser des liens avec l’expertise technique. Concrètement, l’AMU consiste en une analyse sociologique et spatiale et des ateliers d’intelligence collective pour faire émerger des solutions à travers la recherche de consensus satisfaisant pour toutes et tous. Il permet une meilleure appropriation des espaces, et à terme une amélioration de la qualité de vie. Ces différents apports sont bien résumés dans le tableau ci-dessous, issus du livre Blanc de l’AMU : 

Utiliser le numérique pour intensifier la mutualisation

Le projet bâti sera donc plus cohérent et répondra encore mieux aux besoins de ses habitants s'ils ont pu participer à sa conception. L’utilisation de l’AMU n’est qu’un des étages de la fusée pour favoriser la densification. Le deuxième outil est celui de la gestion numérique pour assurer une planification réussie des espaces collectifs et services mutualisés. Qui a besoin de la salle de sport, de quelle heure à quelle heure ? Des décisions qui peuvent devenir des casse-têtes si rien n’a été prévu pour le partage numérisé des espaces. Ce fut le cas pour la résidence Pür, à Talence, construite par Aqprim en 2018. L’immeuble comporte 124 lots du 2 au 5 pièces. La résidence est particulièrement innovante dans ses espaces partagés : un très vaste local vélo, une piscine en rooftop, un jardin et une salle de musculation, le tout géré par un gardien. Au moment du confinement de 2020, en l’absence du gardien, les résidents ont dû s’organiser pour utiliser les lieux, par exemple la salle de musculation : “On notait sur un papier les heures qu’on voulait réserver sur la salle, on s’entraînait et on désinfectait le matériel”, explique Paul, qui y a vécu deux ans. “En contexte de confinement, de nombreuses personnes ont apprécié de continuer à faire du sport et à utiliser du matériel comme les rameurs, vélos d’appartement et autres bancs qu'elles n'avaient pas à domicile.” 
Agendas partagés, applications mobiles, groupes sur des réseaux sociaux, avec l’avènement de la technologie les usagers et les gestionnaires ont tous des stratégies différentes pour gérer le flux de réservation. Certains syndics préfèrent gérer ce partage à l’aide d’un simple document Excel partagé et un Google agenda, comme l’explique Flavien Saint-Martin Tanguy du syndic de la résidence Allure citée précédemment. Les bons outils numériques permettent d’assurer une gestion réussie de ces espaces et services mutualisés.  

Contribuer à son lieu de vie et retrouver du lien social 

Les objectifs de la ville dense passent ainsi par une mutualisation et un partage des espaces. Lior Strahilevitz est professeur de droit à l’université de Chicago. Il travaille sur la notion des communs et a publié un essai de sociologie qui montre comment certaines municipalités nord-américaines ont mené des expériences, et fait des espaces partagés des immeubles des vecteurs de meilleure entente entre des populations hétérogènes (ethniquement et socialement[4]). On le sait, partager des espaces au sein d’un immeuble peut engendrer des frictions, des conflits, des appropriations indésirables. Comment réunir les résidents et encourager une cogestion harmonieuse des lieux partagés ? Encore une fois, en faisant appel au numérique.

Si certains utilisent, on l’a vu, des outils divers, il est essentiel que les résidents puissent avoir une confiance absolue dans l’outil utilisé et sa sécurité, notamment concernant l’utilisation des données personnelles (revente des données publicitaires, comme le font Whats’app, Facebook, Google...). Une application dédiée permet à la fois de gérer les espaces partagés et de créer de la solidarité de voisinage : parce que le numérique c’est bien, mais se voir en vrai, c’est encore mieux ! Mettre en place ce type d’application dans tous les immeubles peut permettre de faire remonter rapidement les problèmes, de faire intervenir un tiers-facilitateur (conseil syndical, syndic). Ce type d’application permet aussi aux habitants de se rendre des services, et donc d’encourager l’entraide et le vivre-ensemble. C’est le cas sur la résidence Pür à Talence, citée plus haut. Les résidents ont choisi l’application Kunagi, dédiée au partage, après avoir délaissé Facebook. Sheerazade y habite depuis 2018 : “Il y a des gens qui demandent de l’aide pour un déménagement, d’autres qui donnent des meubles. Ce qui est bien, c’est que contrairement à Facebook, on sait que notre vie privée est protégée.” Il s’agit d’utiliser ces technologies pour les mettre au service du lien social, d’améliorer la qualité de vie dans les immeubles et au final l’expérience des habitants dans la ville dense. 

 

Un article signé Estelle Gallic, Kunagi 

 

[1]Nos logements, des lieux à ménager, étude sur la qualité d'usage des logements collectifs construits en Île-de-France entre 2000 et 2020. 

[2]Entretien réalisé sur le site du groupe OGIC 

[3]ZETLAOUI-LEGER, dir., 2013b, « La concertation citoyenne dans les projets d’écoquartiers en France : évaluation constructive et mise en perspective européenne », rapport final, programme CDE, Université Paris-Est.

[4]Lior Strahilevitz, "Social Norms from Close-Knit Groups to Loose-Knit Groups," 70 University of Chicago
Law Review 359 (2003).


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