Intensifier les usages du patrimoine existant pour réduire l’empreinte écologique du secteur du bâtiment : l’apport essentiel de la programmation urbaine et architecturale

2773 Dernière modification le 25/05/2023 - 00:00
Intensifier les usages du patrimoine existant pour réduire l’empreinte écologique du secteur du bâtiment : l’apport essentiel de la programmation urbaine et architecturale


L’intensification des usages passe avant tout par l’optimisation et la pérennisation des bâtiments existants. La programmation urbaine et architecturale d'équipements publics propose un appareil méthodologique qui permet d'outiller le maître d'ouvrage souhaitant intensifier l'usage de ses ouvrages. 

Nous présentons ici plusieurs démarches développées chez AREP permettant de lever les freins régulièrement rencontrés au maintien de l’existant, en conscientisant les maîtres d’ouvrages sur son potentiel et son caractère vertueux. 

Le logigramme des poids carbone comparés

Confrontés à une multitude d’injonctions parfois contradictoires et à une grande diversité d’indicateurs de performance, les porteurs de projet peuvent se sentir déboussolés dans la quête d’une plus grande frugalité urbaine et architecturale. Pourtant, certains ordres de grandeur simples peuvent aider à s’orienter dans cette complexité.

Pour les aider dans cette tâche, nous avons imaginé un outil d’aide à la décision sous forme de logigramme, qui vise à fournir un cadre théorique pour optimiser l’empreinte carbone d’un projet de construction tout en incitant à intensifier l’usage du patrimoine bâti existant. Cet outil, développé dans le cadre de la mission « Luxembourg in Transition  », propose de considérer des options de projet par ordre croissant des émissions de CO2 moyennes qui en résultent, en s’inspirant des méthodes d’évaluation ASI (Avoid / Shift / Improve : éviter / remplacer / améliorer). 

Il permet ainsi de hiérarchiser les options de projets du point de vue de leurs émissions de carbone, de la moins émissive (éviter une construction superflue), à la plus émissive (recourir à une construction neuve standard), en passant par des options intermédiaires (remplacer une construction neuve par une rénovation ou une réhabilitation d’un patrimoine existant, surélever un bâtiment…) – améliorer l’empreinte carbone d’une construction neuve n’arrivant qu’en dernière position dans cette liste d’optimisations potentielles.

Cet aide-mémoire fournit enfin pour chacune des options une indication sur le nombre de tonnes de CO2 évitées en moyenne en fonction du type de programme envisagé  – indicateur pouvant également constituer une bonne approximation des gains en empreintes matière et énergétique, même si cette corrélation mériterait d’être vérifiée au cas par cas. 

Le calculateur d’intensité d’usage

Dans le cadre de nos missions de schémas directeurs d’équipements d’enseignement (notamment de collèges et de lycées), nous avons mis au point, en collaboration avec les communautés éducatives et les rectorats, un modèle de calcul théorique de la capacité d’accueil et d’intensité d’usage des locaux

À partir de la comparaison entre cet usage théorique et le besoin réel constaté, nous identifions le coefficient d’intensité de l’équipement, que nous comparons à d’autres établissements. Sur cette base et en focalisant l’analyse sur le fonctionnement spatial et temporel concret du bâtiment, nous aidons le maître d’ouvrage à identifier les raisons de sous-densité d’occupation et faisons des préconisations d’optimisation : organisation spatiale et fonctionnelle plus rationnelle, dimensionnement et géométrie des locaux permettant une plus grande variété d’usages, organisation des plannings plus fluide, fonctionnement technique et logistique facilitant les occupations… 

La programmation de l’incertitude 

La programmation de bâtiments agiles dans l’espace et le temps pour maximiser leur potentiel d’usage et limiter leur obsolescence est devenue la nouvelle frontière de la programmation. 

Alors que notre discipline était marquée par la détermination précise de l’usage futur de chaque local, l’enjeu contemporain d’un futur bas-carbone nous pousse à aborder de manière beaucoup plus souple les futures activités projetées. Ce local pourra être une salle de classe, mais il devra aussi être un local associatif ou une salle d’activités de loisirs, se combiner avec une autre classe pour devenir une grande salle polyvalente, cet immeuble de bureau devra pouvoir se transformer en logement, ce parking en bureaux…. 

Dans nos préconisations fonctionnelles (adressage et accès, relations de proximité…), de dimensionnement (épaisseur de la trame, hauteur sous plafond) ou techniques (portance, sécurité incendie, systèmes d’accès et de cloisonnement), nous nous efforçons d’anticiper les futurs possibles du bâtiment pour ne pas obérer sa transformation… Tout en limitant le surcoût de cette agilité. 

Pour ce faire, nous avons établi un guide de la programmation agile qui sert de référentiel à notre équipe, et produisons systématiquement plusieurs scénarii d’usages pour accompagner nos préconisations de projections concrètes.  

L’approche en coût global

Nos maîtres d’ouvrage sont très préoccupés par les questions économiques et opérationnelles… et en première approche, la construction d’un bâtiment neuf est souvent plus simple, et parfois moins coûteuse que la restructuration en site occupé d’un bâtiment existant. 

Comme le logigramme du coût carbone, l’approche en coût global permet de faire entrer dans le coût de l’opération non seulement le montant de l’investissement, mais également les charges d’exploitation et surtout une analyse du cycle de vie, ce qui remet dans la course l’hypothèse de restructuration d’un bâtiment existant par rapport à une construction neuve, en prolongeant sa durée de vie et le poids de sa déconstruction


Si, en théorie, le principe du maintien de l’existant s’impose de plus en plus dans les esprits, les donneurs d’ordre restent encore largement guidés par des objectifs court-termistes lorsqu’ils programment des opérations. En tant que conseil, nous considérons qu’il est de notre responsabilité de leur donner à voir leurs ouvrages différemment : révéler leur potentiel d’intensification d’usage, projeter leur agilité d’usage dans l’espace et dans le temps, faire entrer de nouveaux indicateurs (coût carbone et coût de la déconstruction) et leur redonner de la pertinence face à l’hypothèse d’une construction neuve.  

Par exemple, dans le cadre de la programmation d’une école à Tsingoni (Mayotte), cette approche en coût global a permis de montrer l’intérêt du scénario de maintien et restructuration d’un maximum de bâtiments existants plutôt qu’une démolition-restructuration, avec un écart d’environ 25 % du coût économique entre ces deux hypothèses, du fait notamment de l’intégration du coût de la démolition. L’impact carbone est également fortement réduit dans cette troisième hypothèse.

 

Un article co-signé Emilie Bajolet, Hiba Debouk et Grégoire Robida


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