Intensifier les usages dans les petites et moyennes villes : intérêts et méthodes

Rédigé par

Laurane Jeanjean

Consultante Villes et Territoires Durables

4084 Dernière modification le 23/05/2023 - 00:00
Intensifier les usages dans les petites et moyennes villes : intérêts et méthodes


En contexte métropolitain, différents facteurs encouragent l’intensification « naturelle » des usages et favorisent la mutualisation des espaces dans les projets urbains et immobiliers : coûts du foncier pratiqués, intégration croissante des enjeux de limitation de l’étalement urbain, etc. Lorsque la pression foncière est moins forte, l’intensification des usages se réalise plus lentement. Néanmoins, elle présente l’opportunité de constituer des points d’intensité pour (re)créer de l’attractivité sur un territoire, mais aussi de requestionner les besoins en production de nouvelles surfaces artificialisées.

De l’intérêt d’intensifier les usages dans les zones peu denses 

L’intensification des usages dans les villes moyennes ou petites, ou encore les zones éloignées ou déclassées, permet en premier lieu d’adresser un besoin dans un contexte de ressources limitées – qu’elles soient humaines (compétences techniques, savoir-faire) ou spatiales. Dans certains territoires dévitalisés, l’intensification peut participer à recréer des lieux de sociabilité, à repenser des communs oubliés. Elle constitue une nouvelle manière de mutualiser les besoins comme les ressources et de favoriser de nouvelles dynamiques de collaboration et d’emploi. En outre, dans la perspective du Zéro artificialisation nette (ZAN), l’intensification des usages peut être actionnée comme un véritable levier de sobriété foncière en donnant une limite à l’extension urbaine. La remobilisation d’espaces sous-occupés correspond à autant de surfaces qui ne cherchent plus à être construites ailleurs. Mais pour actionner ces différents leviers d’attractivité et/ou de sobriété, les programmations et les montages de ces opérations particulières supposent de nouvelles démarches et méthodes de travail faisant remonter l’usage et l’exploitation au cœur de la conception de la ville.

Repenser l’occupation des espaces et des équipements publics

La collectivité dispose de leviers intéressants pour intensifier les usages, en mobilisant les espaces et les équipements qu’elle possède et en garantissant leur accès à différents publics sur des tranches horaires élargies, tout en assurant la sécurité des lieux et la non-accessibilité des espaces privés.

En considérant que les écoles sont en moyenne utilisées 20 % du temps, il est possible d’optimiser l’occupation des espaces intérieurs (réfectoire, gymnase, salle de cours, etc.) et extérieurs (cours, jardins, espaces publics). C’est ce que montre l’étude menée sur le groupe scolaire de Flayosc dans le cadre de la démarche Territoire pilote de sobriété foncière. Dans ce village du Var, le déplacement du groupe scolaire en périphérie de village sur d’anciennes terres agricoles a été remis en question au profit d’une rénovation sur site qui faisait la part belle à l’intensification des usages. L’ouverture de l’école en dehors des temps scolaires (bibliothèque, salle polyvalente, cour d’école…) offre l’opportunité de répondre aux besoins des associations locales et des habitants. En plus d’éviter l’extension urbaine, ce projet permet de recomposer une centralité et de redynamiser le cœur de village.

Du point de vue de la programmation spatiale, l’intensité des usages invite à concilier des besoins spécifiques en fixant des modalités de mutualisation ou à l’inverse d’exclusivité, en questionnant les besoins surfaciques propres à chaque usage. Cela pose d’abord la question de la dissociation des espaces et des accès dans différentes configurations d’occupation, que le maître d’œuvre doit anticiper auprès des usagers. De la même façon, la sécurisation des espaces privatisés et l’entretien des locaux doivent être réfléchis en amont afin d’assurer la bonne cohabitation de tous. A noter que si ces questions peuvent facilement être traitées dans le cas de la construction neuve, elles sont plus complexes à résoudre dans un contexte de réhabilitation.

L’intensification des usages ne pourra cependant pas se faire sans la levée de certains freins réglementaires. Les normes s’appliquant aux établissements recevant du public (ERP) variant suivant la typologie d’activité concernée, la conciliation de certains usages peut par exemple être complexifiée. Mais au-delà du fait de ne pas l’entraver, il s’agit même d’imaginer un cadre réglementaire étant favorable à l’intensité des usages – une piste d’amélioration de la loi Climat et résilience ? 
A l’échelle des territoires, la planification doit également se saisir du sujet de l’intensité. Pourquoi ne pas inscrire dans nos PLU les espaces ou équipements sous-occupés ?

Imaginer des lieux hybrides pour répondre aux besoins multiples d’un territoire

À une échelle macroscopique, un lieu hybride assemble, mutualise et mixte des fonctions a priori contrastées, qui se superposent au sein d’un même espace « atypique ». À l’image d’un projet de tiers-lieu à Gimont, où plusieurs fonctions ont vocation à cohabiter (office du tourisme, médiathèque, ludothèque, hébergement pour les pèlerins et escape game) dans un bâtiment à réhabiliter donnant sur la place du marché.
Par la diversité d’usages et de services qu’il propose dans le temps, un lieu hybride peut être considéré comme levier d’agilité en faveur d’une plus grande intensité d’occupation. En particulier dans le contexte des petites et moyennes villes, ces lieux hybrides, souvent à fort impact social, présentent alors des opportunités variées, notamment la création de nouvelles formes de sociabilités et de solidarités ou encore la réintroduction d’activités productives en ville. Au sein de ce programme unique, l’intensité se trouve par la mutualisation d’espaces de travail (atelier, salle de réunion, etc.), de services (programme d’activités et d’animation partagés, etc.), de moyens (salariés, facilitateurs mutualisés) ou d’espaces support (reprographie, sanitaires, vestiaires).

L’intensification des usages, par la mixité de fonctions et de services proposée, permet aussi de regénérer des centralités, qu’elles soient de proximité ou de destination. Leur positionnement stratégique doit d’ailleurs être déterminé au préalable, au regard du rayonnement du lieu et du caractère inédit de l'offre proposé. Un équipement de proximité rendra un service à un public endogène, tandis qu’un équipement de destination sera destiné à un public exogène attiré par une offre qui ne serait pas présente ailleurs. Dans cette logique, les études en cours sur le projet de tiers-lieu sportif et culturel de la caserne Chanzy à Châlons-en-Champagne proposent de créer un lieu de vie sur une friche en cœur de ville. La proposition s’articule notamment autour de la mutualisation d’espaces et de services au sein d’une conciergerie au profit de plusieurs employeurs et habitants. Elle explore aussi la piste de la modularité des espaces pour permettre l’accueil d’activités sportives comme le basket, pour faire de cet équipement un pôle d’excellence qui puisse aussi s’ouvrir aux amateurs habitant le quartier. Ici, le lieu hybride fait à la fois figure de pôle de proximité et de destination.

Afin de qualifier l’opportunité de la création d’un tel lieu, il est nécessaire de bien comprendre les dynamiques d’un territoire tout en identifiant des usagers cibles et en fédérant un écosystème d’acteurs mobilisés et engagés. La qualité du site (histoire du lieu, visibilité, animation, etc.) joue également un rôle important dans la compréhension de son potentiel d’attractivité, mais c’est finalement sa capacité à évoluer qui conditionnera la réalisation d’un projet intense en son sein. L’engagement des acteurs et la flexibilité d’un lieu sont donc les deux conditions à réunir pour créer des synergies et parvenir à des consensus quant à l’occupation des espaces. Dans ces conditions, tout le travail ultérieur de co-design avec de potentiels usagers et porteurs de projet permet de concevoir des espaces modulaires et adaptables, prenant en compte la complémentarité des différents temps de vie (sur les heures ouvrées ou en soirée, le weekend, etc.). 
Par exemple, le projet de tiers-lieu à Plombières-les-Bains préfigure un lieu proposant une offre de services variée (cinéma, expositions, espaces de convivialité, informations sur le territoire, évènements culturels). Ce projet est porté collectivement par des parties prenantes croisant les énergies et les compétences : acteurs institutionnels (commune, communautés de commune, département, etc.), office de tourisme, cinéma associatif, associations locales, artistes et artisans, entrepreneurs. Dès l'émergence du projet, la co-construction de la programmation et de la gestion du projet participe à créer l’émulation autour du lieu.

Co-construction : l’exploitation et l’usage, outils clés de la conduite de projet

La programmation de l’intensité d’usage intègre une notion forte de service rendu, nécessitant leur implication tout au long de la démarche de projet. Dès la programmation puis tout au long de la conception, il s’agit d’associer et de coordonner les futurs gestionnaires, exploitants et utilisateurs dans un projet commun. L’identification des mutualisations possibles et des points de blocage éventuels doit se faire en travaillant à la mise en musique de tous les acteurs-usagers publics, privés du monde citoyen, associatif, institutionnel, privé et/ou de la recherche sur toute la chaîne d’un projet. Dans ce cadre, les ateliers de co-design sont des outils intéressants à convoquer, comme l’ont prouvé ceux menés à Saint-Pierre-de-Chartreuse pour le projet de réhabilitation d’un équipement hybride (pôle médical, médiathèque et lieu de vie associatif et culturel) en cœur de bourg.
Les modalités de gestion du site, la modularité des espaces et des usages, doivent également être anticipées à travers des contractualisations ou conventionnement de l’exploitation pour éviter les conflits d’usages. Intensification des usages ne doit pas rimer avec suroccupation. Un/des gestionnaire(s) pourra alors jouer le rôle de facilitateur. Il aura pour mission d’assurer le bon fonctionnement du site et les bonnes relations entre les occupants en planifiant l’occupation, mettant au point les conventions avec les structures-usagers, gérant les conflits, garantissant la sécurité et le maintien en l’état des espaces, etc.

Penser un autre partage des coûts

Une intensification des usages par la mutualisation des espaces permet a priori une économie des ressources et un effort d’investissement moindre à un plus haut niveau de service et d’équipement, par le partage des coûts d’investissement et d’exploitation. Au moment de la construction, la mutualisation peut permettre de rendre acceptable financièrement une rénovation, de mieux partager le risque ou l’incertitude d’un projet, voire de permettre à certains de voir le jour, lorsqu’ils ne trouvaient pas seuls de modèle économique viable.
En prenant en compte l’exploitation globale, l’équilibre peut se trouver à l’échelle d’un ensemble de programme. La restauration ou le bar d’un lieu peut jouer le rôle de locomotive pour un site et générer des recettes, afin de dégager des loyers plus faibles pour des activités culturelles. Par ailleurs, les surcoûts que peuvent engendrer une plus grande occupation doivent être relativisés par rapport aux coûts de fonctionnement qu’imposeraient des bâtiments autonomes à un même niveau de service. L’ensemble des coûts de fonctionnement (ressources humaines sur une plage horaire élargie), d’utilisation (factures énergétiques), d’entretien (nettoyage) et de gardiennage (systèmes de gestion des accès, personnel dédié) doivent être considérés.

Anticiper des montages d’opérations complexes

Un programme intense impose enfin de réfléchir dès l’amont à des montages fins et complexes, comportant des incertitudes puisque prenant en compte une plus grande diversité d’acteurs. En premier lieu, différents modèles de propriétés peuvent être envisagés suivant le rôle que souhaite jouer la collectivité et les volontés d’engagement dans le projet de chaque partie prenante : gestion publique, bail emphytéotique, propriétaire exploitant privé, etc. Il s’agit d’anticiper les modes de gestion adaptés aux exploitants et aux usages potentiels : portage par un acteur public ou parapublic assurant une gestion globale et directe, création d’une société ad hoc garantissant une gestion coopérative regroupant des parties prenantes publiques et privées, ou portage par un ou plusieurs partenaires privés extérieurs. 
En un mot, la co-conception et la co-construction restent les conditions sine qua none à la réalisation d’un programme intense hors contexte métropolitain, afin d’optimiser l’occupation de lieux offrant agilité et services au plus proche des besoins actuels et futurs.
 

Un article co-signé Laurane Jeanjean, Sarah Brenac et Lucie Gorce, EGIS

 


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