Insuffisance des données sur la vacance pour identifier les sous et non utilisations

Rédigé par

Sarah Dubeaux

3595 Dernière modification le 24/05/2023 - 12:00
Insuffisance des données sur la vacance pour identifier les sous et non utilisations

 

La sobriété foncière est un objectif de plus en plus partagé, mais les modalités pratiques pour y parvenir ne pas toujours évidentes. L'insuffisance et la disparité des données complexifiant la tâche, l'enjeu de la qualification du foncier, et notamment des friches, ouvre la voie à de nouvelles perspectives et expérimentations.  

La qualification des usages réels des bâtis existants dans une ville relève parfois du casse-tête : bases de données complexes et décalées dans le temps, méthodes chronophages, partielles, non géoréférencées... Pourtant, des solutions existent, notamment chez nos voisins wallons. 
Appuyé sur les retours de territoires formalisés dans un réseau des inventaires territoriaux de friches (RITF) en cours de constitution, le Lifti propose d’organiser la connaissance sur les friches au plus près du terrain, en impliquant les acteurs locaux que sont au premier chef les collectivités locales. L’identification de ces friches pose des problèmes méthodologiques et notamment la possibilité de mobiliser des données sur les fluides (consommation d’électricité et d’eau potable) pour connaître le gisement réel de friches et les intégrer dans des stratégies foncières efficientes.

Mieux qualifier l’offre foncière du territoire

Il est désormais du langage commun d’affirmer que 80 % de la ville de 2050 est déjà là (Grisot, Leconte, 2021), mettant ainsi en questionnement nos capacités de rénovation ou de réhabilitation des cadres bâtis existants progressivement obsolètes. La forte réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) dans un premier temps (-50 % à l’échelle des régions), et l’objectif du ZAN (Zéro artificialisation nette) d’ici 2050, renforcent cette préoccupation de l’existant en réduisant les possibilités de construction sur des terrains nus facilement mobilisables (souvent agricoles, naturels, forestiers). 

Dans cette optique, une double transformation est de mise, celle d’une meilleure qualification des besoins du territoire – définis parfois de manière très optimiste comme l’illustre la jurisprudence – et une meilleure identification voire caractérisation de l’offre présente. La mise en place plus systématique des observatoires fonciers depuis la loi Climat et résilience du 22 août 2021 témoigne de cette deuxième dynamique. Ces observatoires visent à nourrir voire prolongent des obligations réglementaires déjà présentes de longue date dans les documents de planification tendant à justifier la consommation d’ENAF.

Des friches protéiformes, enfin dotées d’une définition juridique

Bien qu’apparaissant déjà fortement dans les discours des années 1970 (https://dixit.net/la-ville-s-enfriche/), les friches restent des objets encore flous par leur hétéroclisme ; friches agricoles, industrielles, commerciales, ferroviaires, urbaines, logements vacants… induisant des champs d’intervention sectoriels. La loi Climat et résilience nous dote enfin d’une définition juridique des friches, ouvrant les perspectives bien au-delà des traditionnelles friches industrielles (polluées). Cette définition reconnait la diversité des types de friches quelle que soit leur vocation d’origine (commerciale, résidentielle, artisanale, industrielle, agricole, etc.) ou leur forme (bâtie, non bâtie, etc.). Le caractère dégradé voire insalubre, c’est-à-dire induisant une intervention pour un réusage, devient alors le critère clé d’identification. 

Des données existantes insuffisantes

Paradoxalement, la connaissance et la reprise de plus en plus incontournable des friches ne bénéficient pas actuellement de bases de données solides. Ces dernières souffrent encore des approches historiques morcelées, ce qui entraine encore bien des flous dans les discours comme l’illustre l’actuel projet de loi du Sénat à propos du ZAN. Ces données sont également issues d’autres perspectives d’utilisation rendant fragile leur « réemploi ». Plus précisément, les données actuelles de référence proviennent de quelques sources variées : les bases fiscales transitant par la DGFiP et le CEREMA, l’Insee, les remontées de terrain à l’échelle nationale, en particulier via le fonds friche, l’état environnemental des anciens sites d’activité (BASOL BASIAS), les observations et données locales, des données privées.

Des données trop spécifiques

Mettons tout d’abord de côté des bases très spécialisées, plus difficiles à mobiliser pour l’alimentation de stratégies foncières territoriales, les bases Insee, Basias et Basol. Concernant les données de l’Insee, l’approche est celle du logement avec une logique d’extrapolation de recensements partiels rendant la donnée assez discutable par rapport à son usage actuel. C’est d’autant plus vrai qu’elle n’est pas géoréférencée à la parcelle mais directement agrégée à l’échelle des communes ou des Iris lorsqu’ils existent, ce qui n’est pas toujours suffisamment précis, en particulier dans les communes rurales. Concernant les bases relatives à l’état environnemental des anciens sites industriels (pollution), historiquement détenues par le BRGM, elles sont très focalisées sur les friches industrielles et ne sont actuellement plus mises à jour. 

La référence : les bases fiscales réemployées

Penchons-nous plus précisément sur les bases dites fiscales (fichiers fonciers, LOVAC, LOCOMVAC) qui sont actuellement très utilisées, notamment parce qu’elles sont géoréférencées et régulièrement actualisées. Les informations proviennent de données remplies par les particuliers et les entreprises à propos de leurs taxes (foncière, CFE, etc.) au 1er janvier. L’inoccupation (la vacance) n’y est donc pas toujours indiquée, pour plusieurs raisons. D’abord parce que certains territoires taxent désormais les logements vacants et/ou les friches commerciales, rendant leur déclaration tactiquement moins intéressante. Ensuite, il s’agit parfois d’une méconnaissance de la vacance par le déclarant.

Ce dernier pouvant expliquer pourquoi le bien est vide, il ne le déclare pas comme vacant… et ces raisons peuvent être multiples, bien au-delà de la rétention foncière. Par exemple, mamie vient de décéder, l’appartement est toujours en vente, papi est à l’EHPAD, nous ne sommes pas d’accord sur la succession, etc. À cela s’ajoute une zone plus grise qu’est la sous-utilisation. Dans l'un des territoires étudiés, Ambert-Livradois-Forez, une analyse réalisée dans le cadre d'une étude Popsu Territoires (Miot, Dubeaux, 2023 https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/agir-face-a-la-vacance-l-experience-d-ambert-a2734.html) indique que plus de 30 % des logements sont classés en résidences secondaires, ce qui est bien au-delà des réalités touristiques observées. Enfin, rappelons que ces bases subissent également les réformes fiscales en cours les fragilisant potentiellement : il n’est pas complétement certain que la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales n’ait pas de répercussion sur les données, leur fiabilité voire leur existence. 

Nécessité de consolider les bases 

Ces données fiscales sont donc souvent complétées par des travaux statistiques rapprochant d’autres bases de données, voire un arpentage de terrain. La première manipulation, statistique, est à la fois complexe et questionnable : l’interopérabilité sert d’abord ici à fiabiliser la donnée et non à la compléter dans des objectifs d’analyse. L’exercice est périlleux ! Le recensement de terrain passe par des interprétations d’orthophotographie (laissant donc de côté les friches ne relevant pas de grands tènements fonciers inoccupés), ou de l’arpentage, ce qui est à la fois complexe (comment déterminer qu’un bien est inoccupé ?) et chronophage. Cette dernière partie de la méthodologie tend enfin à faire glisser l’observatoire dans une dynamique de recensement ponctuel, à reprendre de manière récurrente. Cela pose autant de questions de méthodologie que d’ingénierie. 
Pourtant, d’autres données permettraient une plus grande fiabilité de l’approche statistique. 

En Wallonie, des données de compteurs comme nouvelle perspective

En Wallonie, une volonté forte existe depuis quelques années à propos des logements vacants. Jusqu’alors, les Wallons ne bénéficiaient pas de données permettant le recensement de ces logements, chaque commune utilisant sa propre méthodologie d’inventaire, ce qui posait des questions en matière de précision, de territoire couvert ou d’objets recensés mais également de comparaison entre les territoires. Depuis septembre 2022, il est désormais inscrit dans le code de l’habitat que les communes ont à leur disposition les données sur la consommation de l’eau et de l’électricité. Croisées aux données de domiciliation, ces informations permettent d’identifier de manière précise les logements vacants. Un seuil a ainsi été fixé pour pouvoir identifier de potentiels logements inoccupés ; une consommation d’eau inférieure à 5 m3 par an ou une consommation d’électricité inférieure à 100 kWh par an. 

Vers une expérimentation française ?

En ce sens, et à l’aune de l’expérience de territoires français, nous estimons au Lifti qu’il serait intéressant de travailler, au moins de manière expérimentale, sur une ouverture des données compteurs en France. Des expériences existent, notamment à travers les compteurs d’eau, parfois gérés en régie : certaines études d’agences d’urbanisme comme l’APUR et l’AURH s’appuient ainsi sur ces bases. Mais la multitude des opérateurs et les risques importants de fuites dans les friches rendent primordiale une réflexion à partir des données électriques détenues par ENEDIS. Dans l’optique du ZAN, une telle ouverture de données permettrait la mise en place d’observatoires fonciers territoriaux efficients, première étape d’une reconversion des friches (Lifti, 2023, Guide pratique de la reconversion des friches). 

Un article signé Sarah Dubeaux, Lifti 


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