« Il n’y a plus de solutions faciles et reproductibles partout », Laurent Germain, directeur général d'Egis

Rédigé par

Stéphanie Obadia

Directrice de la rédaction

3377 Dernière modification le 17/04/2023 - 11:21


A l’occasion de l’annonce des résultats 2022 en forte croissance d’Egis, Laurent Germain, le directeur général, nous partage ses ambitions pour 2023 et confirme vouloir rester un des leaders mondiaux de l’ingénierie verte. 

Egis a annoncé des résultats en forte croissance. Quelles sont les grandes ambitions en 2023 ?

2022 est une année de forte croissance. Un chiffre d’affaires de 1,48 milliard d’euros et des prises de commandes Ingénierie atteignant le niveau record de 1,5 milliard d’euros (soit respectivement +27% et 35% par rapport à 2021). Parmi les prises de commandes exceptionnelles des projets pour le compte de la Société du Grand Paris en France, ou encore les gains des contrats Al Ula et Neom en Arabie saoudite. Nous conservons une visibilité forte sur notre activité pour les prochains mois. Pour 2023, nous souhaitons poursuivre la stratégie de croissance organique mais également externe afin d’apporter de nouvelles compétences et expertises. Egis a réalisé en 2022 huit nouvelles acquisitions (soit 1 900 collaborateurs basés au Royaume-Uni, au Moyen-Orient, aux Etats-Unis, en France, en Colombie, et aux Pays-Bas). Cette dynamique se poursuit en 2023, avec la conclusion de trois nouvelles acquisitions depuis le début de l’année. Pour 2023, nous misons sur une nouvelle année de croissance rentable, avec une prévision de chiffre d’affaires de 1,8 Md€, et des perspectives de croissance dans des métiers stratégiques tels que le nucléaire, les énergies renouvelables et dans des zones géographiques en fort développement, tels que le continent nord-américain ou le Moyen-Orient.

Vous souhaitez augmenter le nombre d’architectes au sein d’Egis. Une nécessaire évolution ?

Toutes les grandes sociétés d’ingénieries internationales sont composées d’ingénieurs et d’architectes, ce qui est essentiel pour apporter le meilleur conseil à nos clients et répondre aux différents enjeux de leurs projets. Les architectes et les ingénieurs sont complémentaires et leur association répond d’autant plus à la nécessité d’avoir désormais une conception intégrée.  

Depuis l’entrée en application de la RE2020, y a-t-il des changements d’approches entre les différentes ingénieries de spécialités, notamment environnement et plus de passerelles et collaborations ? Et notamment avec les architectes ? Quels changements ? Le métier évolue-t-il ?

La RE2020 n’est pas encore internationale même si on travaille justement à mettre en place une méthode européenne. Mais si cette règlementation n’existe pas à l’étranger, le carbone est un sujet présent ailleurs et qui nécessite une approche « méthodologique » assez similaire à la France (et avec des investisseurs de plus en plus demandeurs d’informations). Nous avons effectivement toute une culture à transmettre comme par exemple la fresque de la ville qui a été organisée il n’y a pas longtemps par la Fondation Egis. Tout l’intérêt d’avoir des architectes et des ingénieurs chez Egis c’est justement de promouvoir la conception intégrée. En France nous voyons bien que les projets les plus avancés d’un point de vue carbone (type RE2028) sont ceux qui ont eu une approche bas carbone dès le tout début de la conception avec une équipe de maitrise d’œuvre très impliquée et proactive. Nous ne pouvons plus séparer l’ingénierie de l’architecture comme du temps de la RT2012.
Il y a aussi une forte responsabilisation de toute l’ingénierie car on tend à ce que les ACV de la RE2020 soit faite par les ingénieurs spécialistes de chacun de leur lot. L’ingénieur structure fait l’ACV du lot structure et l’ingénieur fluide celle du lot fluide. D’où aussi l’intérêt d’avoir intégré Sustainecho pour faciliter la collaboration et le travail, Sustainecho pouvant faire des ACV partagées à plusieurs, dans les métiers d’Egis et avec les architectes.
L’évolution c’est qu’il n’y a plus de solution facile reproductible partout, cela redonne un sens à l’ingénierie du bâtiment.

Comment construire aujourd’hui en prenant en compte les critères de la RE2028. Quelles sont aujourd’hui les possibilités, sachant que les matériaux et technologies évoluent rapidement ?

Concernant la RE2028, ce qui est sous-entendu est l’impact carbone au seuil 2028. Très difficilement atteignable à l’heure actuelle pour le tertiaire mais faisable pour le logement. On attend plusieurs choses. A commencer par des habitudes de travail et de collaboration entre architectes et ingénieurs pour viser tous ensemble ces seuils et sans doute se requestionner sur une architecture non compatible (les façades rideaux par exemple sont à proscrire). Un travail plus complet de l’ingénierie doit être mené notamment sur les lots techniques qui n’ont pas eu le droit au sept ans d’expérimentation du E+C-. Il y a donc tout à apprendre. Je pense également à l’évolution des filières matériaux qui bougent très vite avec des trajectoires prévisibles de filière (brique, béton…) et des industriels qui s’y mettent. Il n’y a qu’à voir le nombre de béton bas carbone qui sort chaque semaine. Aussi, le réemploi doit poursuivre son développement. Egis a intégré AD Ingé, spécialiste de la démolition pour réduire l’impact des matériaux mais aussi les déchets). A noter également tout le travail avec INIES et les solutions logicielles comme Sustainecho pour rester à la pointe. Quelques points d’attention néanmoins comme le passage à la norme NF EN15804+A2 qui devra être étudiée avec finesse. Mais l’essentiel est dans la démarche et tout devient presque possible !

Dans quelle mesure vous inscrivez-vous dans des projets en faveur de la transition écologique ?

Penser la ville de demain, mettre en place des zones à faibles émissions mobilité pour améliorer la qualité de l’air en ville, développer des outils de séquestration du carbone… Nous proposons de plus en plus de solutions en ingénierie verte au service de la transition écologique et environnementale (45% du CA de 2022). Nous souhaitons pouvoir éclairer les décideurs publics et privés sur les meilleures décisions à prendre et les accompagner dans la mise en œuvre de trajectoires soutenables pour les territoires. Nous nous sommes d’ailleurs engagés à mener l’intégralité de nos projets de conception avec une démarche d’éco-conception en 2030. 

Vous avez rappelé votre implication dans la reconstruction de l’Ukraine. S’agit-il d’une reconstruction verte essentielle, notamment en termes de technologies plus vertes afin de diminuer son indépendance énergétique ?  

Après avoir pris toutes les mesures pour nous assurer de la protection des salariés ukrainiens, nous nous tenons aux côtés de l’Ukraine pour reconstruire le pays. En décembre dernier, le Gouvernement ukrainien a choisi un consortium mené par Egis pour reconstruire les zones urbaines endommagées par l’invasion, dans la région de Tchernihiv. Un projet pilote que le Groupe espère bien étendre à d’autres régions du territoire. La décarbonation et la résilience sont au cœur de notre démarche et s’inscrivent pleinement dans les priorités du Président Zelensky qui prône une approche « Build Back Better » pour la reconstruction de l’Ukraine. Ainsi nous contribuons, dans le cadre d’un contrat d’assistance technique financé par l’Union Européenne, à la mise en place de nouvelles réglementations Ukrainiennes pour le recyclage des débris de guerre en matériaux de construction.  Nous préparons également, grâce à un financement du Trésor Français, un projet pilote pour la reconstruction de la région de Tchernihiv, qui met en avant les meilleures technologies Françaises en matière de sobriété énergétique et de mobilité durable.

Concernant le nucléaire, Egis est bien engagé sur la question et a remporté plusieurs marchés en France. Il est pourtant question de stress hydrique qui peuvent être un frein, notamment pour les centrales qui ne sont pas en bord de mer… 
Plusieurs éléments. Tout d’abord, les centrales nucléaires prélèvent de l’eau pour refroidir… et la rendent à 98% (100% en cycle ouvert). Les hypothèses de réchauffement climatique seront prises en compte à la conception des nouveaux réacteurs. Pour donner un ordre de grandeur, sur un fleuve comme le Rhône, les quatre centrales nucléaires prélèvement 2 m3/s comparé à un débit du Rhône à Beaucaire de 1700 m3/s. Les sites envisagés pour les six réacteurs EPR2 sont deux sites bord de mer et un site bord de rivière. Enfin, il est évident que si, dans un futur lointain, nos fleuves venaient à disparaitre, il y aurait des problèmes de nature écologique, sociale et économique plus graves pour la France que les coupures d’électricité…

Quelle est votre vision du futur énergétique de demain…

Globalement un mix alliant nucléaire (>50%), énergies renouvelables… et économies d’énergie. La meilleure énergie est celle qu’on ne consomme pas. On ne doit pas opposer nucléaire et renouvelables, le grand défi (mondial) est de faire baisser la part des énergies fossiles dans le mix mondial. Les pays qui ont fortement développé les renouvelables comme l’Allemagne ou l’Espagne ont développé parallèlement les énergies fossiles (charbon ou gaz) comme base complémentaire (non intermittente) aux renouvelables (intermittentes). La France pourra développer le nucléaire en base et éviter ainsi les énergies fossiles en complément des renouvelables. L’énergie nucléaire est une énergie difficile d’accès voire inaccessible pour de nombreux pays, donc les pays comme la France qui maîtrise cette solution, par ailleurs pourvoyeuse d’emplois nombreux et qualifiés, ne doivent pas s’en priver.

…Et de l’architecture bas carbone d’aujourd’hui et demain, s’il en existe une ?

Une architecture bas carbone est d'abord une architecture qui utilise l'infrastructure existante dans le cadre d'une stratégie visant à éliminer le carbone gris dès le départ. La reconception de l'existant est devenue un enjeu majeur. L'avenir de l'architecture bas carbone doit se fonder sur les axes parallèles que sont d’abord l’optimisation de l'utilisation des matériaux et la capture du carbone dans les matériaux de construction. La maximisation de l'optimisation énergétique. Et une architecture faisant partie d'un écosystème urbain optimisé qui permet aux habitants de réaliser les ambitions de faible émission carbone à l'échelle de la ville.
 

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