Groupe ADP : l’État français se prépare à la vente du siècle

Rédigé par

Thierry Gaillard

1233 Dernière modification le 30/11/2018 - 12:01
Groupe ADP : l’État français se prépare à la vente du siècle

L’État français, encore détenteur de 50,6 % du capital de Groupe ADP — anciennement Aéroports de Paris, leader mondial dans la conception, la construction et l’exploitation des aéroports, prévoit de les céder dans les prochains mois. Une opération qui s’annonce profitable et délicate à mener à la fois.

Le 5 septembre 2018, les députés ont commencé à examiner en commission le projet de loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui autorise notamment le transfert au secteur privé d’une majorité du capital de Groupe ADP, dont l’État détient aujourd’hui 50,6 %. Pour Augustin de Romanet, le PDG de l’opérateur aéroportuaire, il n’y a « ni urgence ni nécessité de privatiser, mais à partir du moment où la décision est prise, il est opportun que ça se fasse rapidement pour que tout le monde soit fixé » (1). En tout état de cause, « cette cession de parts de l’État ne peut pas intervenir avant la promulgation de la loi, donc pas avant début 2019, et en tout cas sûrement pas avant la publication des comptes de l’entreprise mi-février 2019 », précise-t-il. Voilà qui laisse un peu de temps au gouvernement pour ficeler cette cession.

Un opérateur aéroportuaire convoité

Depuis l’été 2017, plusieurs scénarii sont à l’étude. Le scénario le plus lucratif serait la vente de la totalité du capital détenu par l’État. Dans l’hypothèse d’une privatisation partielle, l’État conserverait environ 30 % du capital. Autres options, une vente séparée des aéroports Charles de Gaulle et Orly pour améliorer la concurrence, ou une vente hors foncier pour que le futur propriétaire favorise l’essor des aéroports et non la spéculation immobilière (2).  En tout cas, « le mouvement de fond, c’est que les États se retirent de la gestion des aéroports pour les confier à des industriels », commente Bertrand Mouly-Aigrot, expert en aéronautique au cabinet Archery Strategy Consulting (3). D’un côté l’Etat a besoin de liquidités, de l’autre il faut des opérateurs privés solides pour réaliser les investissements que requiert le développement des plateformes aéroportuaires.

Partielle ou totale, cette privatisation suscite un vif intérêt. Car avec un résultat opérationnel d’un milliard d’euros, un bénéfice de 571 millions d’euros et un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros en 2017, Groupe ADP peut se prévaloir de la croissance du secteur aérien et des recettes tirées de ses zones commerciales, de plus en plus nombreuses dans les aéroports. D’importants candidats sont en lice pour reprendre ce numéro deux mondial du secteur, des groupements construits sur mesure avec des gestionnaires d’aéroports, des fonds d’investissement et, pour certains, des constructeurs (4). Les sociétés les plus en vue pour répondre à l’appel d’offres seraient au nombre de trois : un consortium dirigé par Global Infrastructure Partners (GIP), fonds basé aux Etats-Unis ; un autre mené par Vinci, déjà détenteur de 8 % du capital d’ADP, et le fonds australien IFM. Quant à l’opérateur italien Atlantia, il est plus que probable qu’il renoncera après l’affaire de l’effondrement du viaduc autoroutier à Gênes.

Une excellente affaire pour l’État

Aux cours actuels, la participation de l’État vaut environ 9,5 milliards d’euros, peut-être plus dans les mois qui viennent. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, déclarait en juin 2018 : « La privatisation du Groupe ADP sera une excellente affaire » (5). Il est vrai que la perspective d’un désengagement de l’État a fait décoller le titre boursier, augmentant ainsi la valeur de l’entreprise (6). Augustin de Romanet rappelle également : « L’État a 10 milliards bloqués qui pourront aller dans un fond pour l’innovation », ajoutant qu’il s’agira d’une concession, de telle sorte que « dans 70 ans, l’État récupérera ce bijou de famille » (7). Le PDG de Groupe ADP a, semble-t-il, une vision sereine. Ne déclarait-il pas lors du Paris Air Forum de juin 2018 avoir « toujours pensé qu’une entreprise n’appartenait pas seulement à ses actionnaires, mais aussi à ses salariés, à ses clients ainsi qu’aux territoires où elle opère. Le fait que notre actionnaire pourrait changer ne doit aucunement nous troubler. » ? (8) Pour sa part, Élisabeth Borne, ministre des Transports, se veut rassurante au sujet de la régulation qui sera mise en place pour garantir la protection de l’intérêt général.

Une opération sensible

“Techniquement, c’est sans doute l’opération de privatisation qui a été la plus compliquée à monter”, souligne François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes et animateur du site Fipeco (9).
Depuis la loi de 2005, qui a ouvert son capital, Groupe ADP dispose en effet d’un droit d’exploitation des aéroports de Roissy, Orly et du Bourget, sans limitation de durée. Le gestionnaire est également propriétaire des installations et du foncier. Il va falloir dédommager les actionnaires actuels “au titre des dividendes qu’ils perdront entre la soixante-dixième année, soit en 2089, et la fin des temps.” Pas simple, et pas sans risque contentieux.

Pour l’heure, rien n’est officiellement tranché sur les modalités exactes de cession. Quoi qu’il en soit, le PDG de Vinci, Xavier Huillard, même s’il est conscient de l’âpreté de la compétition, y voit “une formidable opportunité de créer un champion mondial français.” 

(1)www.boursier.com/actions/actualites/news/groupe-adp-a-quel-prix-774261.html
(2)www.air-journal.fr/2018-06-22-en-attendant-la-privatisation-adp-signe-avec-hong-kong-5200640.htm
(3)www.lantenne.com/Concessions-aeroportuaires-operateurs-et-investisseurs-aux-aguets_a42292.html
(4)www.boursier.com/actions/actualites/rumeurs/groupe-adp-la-participation-de-l-etat-attire-les-convoitises-773064.html
(5)investir.lesechos.fr/actions/actualites/a-la-recherche-d-un-juste-prix-pour-la-privatisation-1778646.php
(6)www.lerevenu.com/bourse/adp-pret-accueillir-de-nouveaux-actionnaires-lan-prochain
(7)www.lefigaro.fr/flash-eco/2018/09/05/97002-20180905FILWWW00067-privatisation-d-adp-pas-avant-mi-fevrier.php
(8)investir.lesechos.fr/actions/actualites/adp-n-appartient-pas-qu-a-ses-actionnaires-pdg-1773731.php
(9)www.la-croix.com/Economie/France/loi-Pacte-promet-grand-retour-privatisations-2018-09-10-1200967559

 

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