Fin de vie des produits de construction biosourcés : un enjeu environnemental, technique et économique pour les filières

Rédigé par

Florian Rollin

Associé Fondateur

11072 Dernière modification le 08/06/2017 - 11:32
Fin de vie des produits de construction biosourcés : un enjeu environnemental, technique et économique pour les filières

Pour bien comprendre ce que l’on entend par « fin de vie »

Pour un produit, la fin de vie est une notion issue de l’Analyse de son cycle de vie (ACV[1]) par laquelle il est possible d’étudier ses impacts environnementaux sur un cycle dont les frontières sont définies. L’ACV permet de raisonner en « cradle to grave »[2] et de prendre en compte l’ensemble du cycle de vie[3]  d’un produit, dont l’étape ultime :  la fin de vie. Dans cette étape, le produit ne sert alors plus sa fonction de départ (pour laquelle l’impact est évalué), il devient  un déchet[4]. Ce déchet peut être soit éliminé, soit traité en vue d’une valorisation (une nouvelle matière première, énergie…) il sort alors de son cycle de vie initial.

Figure 1: Cycle de vie d'un produit

Pour les produits de construction, l’évaluation environnementale s’effectue selon la norme Européenne EN15804 qui définit les principales étapes de fin de vie.

 

Quels enjeux pour les déchets du bâtiment ?

Nous avons vu qu’en fin de vie un produit de construction passait au statut de déchet, il convient, dès lors, de s’interroger sur les volumes en jeu et le devenir de ces déchets.

Une étude de 2016 réalisé par FEDEREC (Fédération des entreprises de recyclage) porte le tonnage de déchets du bâtiment collectés à 39,2 Mt pour l’année 2015. Cela représente environ 6% des déchets produits en France. Ces déchets du bâtiment se répartissent de la manière suivante entre les 3 catégories de déchets : 72% de déchets inertes[5] ; 26% de déchets non dangereux[6] et 2% de déchets dangereux[7] . On estime qu’un peu moins de 50% des déchets du bâtiments sont aujourd’hui recyclés.

Nous disposons donc d’une marge de progrès forte, pour inscrire les produits de construction dans une logique d’économie circulaire.

C’est pourquoi, une autre étude[8] s’est intéressée plus particulièrement au recyclage des éléments de second œuvre issus des chantiers de démolition/réhabilitation. En effet dans le domaine du recyclage, le taux de valorisation des déchets du second œuvre sont faibles (pas plus de 35% selon l’ADEME). Pourtant ces déchets de second œuvre représentent plus de 10 millions de tonnes chaque année et disposent de filières de valorisation dans la majorité des cas.

Figure 2: Part du recyclage dans les déchets du bâtiment (source Etude DEMOCLES)

 

Il apparait que la collecte en mélange en benne est le principal frein au recyclage des déchets du second œuvre. 90 % des déchets de réhabilitation sont collectés de cette manière alors qu’elle est incompatible avec le recyclage des déchets du second œuvre : certains déchets mélangés sont dangereux (par exemple des déchets d’équipements électriques) et on observe une dégradation de la qualité des déchets en mélange. Ainsi selon l’ADEME lorsque déchets inertes et déchets dangereux sont collectés en mélange dans une benne, les taux de valorisation ne dépassent pas :

  • 35 % pour les déchets inertes (verre, faïence, carrelage, sanitaires…) alors que l’on pourrait atteindre facilement 80 % à 90% sans mélange ;
  • 15% pour les déchets non dangereux (plâtre, bois, revêtement de sol, isolants...) ;

L’un des leviers d’amélioration est donc un tri à la source plus efficace et mieux organisé.

Et les biosourcés dans tout ça ?

Les matériaux et produits biosourcés ont connu des développements relativement récents en France, Peu de bâtiments dans lesquels ils sont intégrés sont arrivés en fin de vie et les déchets de matériaux biosourcés sont donc encore en faible quantité.

Pour monter une filière de recyclage, économiquement viable, entièrement dédiée aux matériaux biosourcés, il faudrait une quantité d’environ 10 000 tonnes de déchets/an. Or, d’après une étude de l’ADEME[9] mené en 2013, les matériaux biosourcés n’atteignent pas aujourd’hui ce quota en termes de gisement.

Pour les matériaux isolants biosourcés, des premiers gisements compris entre 5 000 à 15 000 tonnes pourraient apparaitre entre 2025-2030.En revanche, en prenant l’hypothèse d’une durée d’utilisation minimale de 50 ans pour les bétons biosourcés, les premiers gisements en fin de vie devraient apparaître à compter de 2045 et commencera à augmenter significativement à partir de 2055 – 2060.

 

Une fin de vie idéale existe-t-elle pour les produits biosourcés ?

Les matériaux biosourcés sont des matériaux issus de ressources renouvelables mais pour s’inscrire complétement dans une logique d’économie circulaire, il est nécessaire d’anticiper dès à présent en évaluant et organisant les valorisations de ces gisements. Les grands scénarios possibles sont les suivants :

  • Mise en décharge
  • Valorisation énergétique
  • Valorisation matière (transformation en une nouvelle matière première utilisable pour fabriquer des produits de construction ou des produits pour d’autres secteurs, amendement, réemploi…)

Dans tous les cas comme les autres produits de second œuvre un tri à la source mieux organisé est la condition première pour que la(les) filière(s) de valorisation puisse fonctionner.

 

Le choix des scénarios de fin de vie est aussi stratégique du point de vue de l’enjeu « réchauffement climatique » et plus précisément pour augmenter la durée de stockage de carbone biogénique par la matière première biosourcée. En effet, le carbone biogénique est le carbone constitutif d’un végétal, provenant du processus de photosynthèse à partir du CO2 de l’air. Il est prélevé initialement par la plante dans l’atmosphère contribuant à la diminution « du stock total » de GES et se retrouve dans le produit fini mis en œuvre dans le bâtiment. Mais pour qu’il présente un bénéfice important sur le changement climatique, il faut limiter et retarder au maximum son relargage en fin de vie.

Que se passe-t-il pour le Carbone biogénique en fonction des scénarios de fin de vie ?

  • Cas de la mise en installation de stockage de déchets non-dangereux (ISD) (Mise en décharge)

Dans ce cas, une partie du carbone biogénique est réémis dans l’atmosphère sous forme de CO2 ou de Méthane (biogaz). A noter que les ISD doivent aujourd’hui capter le biogaz et le transporter vers une installation de valorisation ou, à défaut, vers une installation de destruction par combustion. Une partie du CO2 reste séquestré dans le matériau

 

  • Cas de la valorisation énergétique

Dans ce cas le carbone biogénique est totalement réémis sous forme de CO2. Toutefois, du point de vu normatif, ce scénario peut être valorisé en considérant les bénéfices qu’il représente par rapport à la production d’une même quantité d’énergie par voie classique. Les bénéfices et charges peuvent être calculés dans le module D de la norme EN 15804.

 

  • Cas de la valorisation matière

Dans le cas de valorisation matière, le carbone biogénique reste séquestré, toutefois en fonction du scénario de valorisation, il peut être plus ou moins réémis. En effet, les quantités réémises dans l’atmosphère sont différentes entre un scénario compostage et un scénario réemploi. Toutefois, comme dans le cas de la valorisation énergétique, du point de vu normatif, ce scénario peut être valorisé en considérant les bénéfices qu’il représente par rapport à la production de la matière à laquelle il se substitue. Les bénéfices et charges peuvent être calculés dans le module D de la norme EN 15804.


[1] La méthodologie de réalisation des ACV est décrite dans les normes ISO 14040 et ISO 14044
[2]  « du berceau à la tombe » , il est aussi possible de raisonner en « cradle to gate » : « du berceau à la sortie d’usine"
[3] Cycle de vie : phases consécutives et liées d’un système de produits, de l’acquisition des matières premières ou de la génération des ressources naturelles à l’élimination finale » (Source : ISO 14040)
[4] Déchet : substance ou objet que le détenteur a l'intention d'éliminer ou qu'il est tenu d'éliminer (définition issue de la norme EN15804) 
[5] Déchets stables dans le temps, qui ne se décomposent pas, ne brûlent pas, ne produisent aucune réaction chimique, physique ou biologique durant leur stockage.
[6] Déchets ne présentant pas de caractère dangereux ou toxique mais ne pouvant pas être considérés comme inertes.
[7] Déchets qui contiennent des substances toxiques et nécessitent des traitements spécifiques lors de leur élimination
[8] DEMOCLES : Etude de 18 mois coordonée par Récylum et financée en majorité par l’ADEME (septembre 2016)
[9] ADEME, Avril 2014, Identification des gisements et valorisation des matériaux biosourcés en fin de vie en France

Pour en savoir plus

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