[Dossier Quartiers Bas Carbone] #4 - Exprimer la performance d’un quartier par l’usager

Rédigé par

Emilien PARON

6402 Dernière modification le 17/01/2020 - 12:30
[Dossier Quartiers Bas Carbone] #4 - Exprimer la performance d’un quartier par l’usager

Inspiré par le label E+C- à l’échelle bâtiment, le projet ADEME Quartier E+C- a pour objectif d’étendre l’évaluation de la performance énergie et carbone à l’échelle quartier. Ce changement d’échelle bouscule les indicateurs de performance usuellement utilisés à l’échelle bâtiment, ainsi que les unités fonctionnelles associées (le m²). Face à ces constats, l’usager pourrait être la clé de l’expression de la performance d’un quartier.

Qu’est-ce qu’un quartier ?

Evaluer la performance d’un quartier nécessite en préambule de répondre à la question suivante : « Qu’est-ce qu’un quartier ? »

Une première réponse pourrait être de dire qu’un quartier est une somme de bâtiments. Dans ce cas, le changement d’échelle serait simple : il suffirait de reprendre les indicateurs de performances du label E+C-, exprimés en m², et de les additionner au prorata des surfaces pour en déduire la performance d’un quartier.

Bien évidemment, un quartier est un objet beaucoup plus complexe. Entre les bâtiments se trouvent des parcs, des places, des routes, des voitures… En cherchant dans le dictionnaire la définition d’un quartier on trouve la formulation suivante : « Un quartier est une subdivision d’une ville ou d’un territoire ». Dès lors un quartier est un objet de même nature qu’une ville ou qu’un territoire (ou qu’un pays !), juste en plus petit. Il ne viendrait pas à l’esprit de résumer un territoire ou la France à « une somme de bâtiment ». On définirait plutôt un pays, un territoire, et par conséquent un quartier, comme une entité qui organise et fourni la plupart des services nécessaires à la vie des citoyens (logements, école, commerce, transports…).

 

Le quartier comme fournisseur de services

Une des conséquences de ce choix de définition est que, contrairement au bâtiment où la parcelle nous a habitué à un périmètre d’évaluation clair, les services (et donc leurs impacts) dépassent souvent le périmètre géographique du quartier. Un quartier peut produire des services et des infrastructures à destination d’usagers dans et hors de son périmètre géographique (fabrication de bien matériels, hébergement d’un datacenter, commerce, tourisme…).

 

L’autre difficulté provient de la variété des services fournis, et donc de la multitude d’unités fonctionnelles qui se côtoient pour évaluer de façon pertinente les impacts environnementaux de chaque élément du quartier :  les m² de surface de plancher pour les bâtiments, les km parcourus pour les transports, le nombre de repas servis pour la restauration ou encore le nombre de requête web que peut assurer un datacenter. Cette variété d’unités pose la question de l’agrégation des impacts à l’échelle quartier, pour caractériser une performance globale autrement qu’en valeur absolu (MJ consommés, tCO2e rejetés), au travers d’une unité commune à l’ensemble des services permettant ainsi de s’approprier le résultat et de pouvoir le comparer et l’objectiver entre quartier.

 

L’usager comme unité

Par chance, il existe bien une unité commune à l’ensemble des services et des périmètres : l’usager.

En effet, tous les services produits à l’échelle d’un quartier ont pour but final l’utilisation par un usager consommateur. Le service logement peut s’exprimer en m² de surface de plancher mais aussi en nombre d’usagers logés, les transports en nombre d’usagers déplacés, la restauration en nombre d’usager alimentés, et le data-center en nombre d’usager ayant accès à internet ou à un service bancaire par exemple.

L’ensemble des services peuvent donc s’exprimer en MJ/usager ou en tCO2e/usager et dès lors s’agréger et se comparer.

 

L’empreinte carbone de l’usager commune métrique d’évaluation de la performance quartier

Cette agrégation de la performance environnementale (ici carbone pour l’exemple) de l’ensemble des services fournis à un usager, par le quartier et en dehors du quartier, construit ce qu’on appelle « l’empreinte carbone de l’usager du quartier ». L’empreinte carbone est une représentation des émissions carbone annuelle d’un usager associées aux services ou familles de services consommés par ce dernier. A titre d’illustration, l’empreinte carbone moyenne d’un français est aujourd’hui supérieure à 11 tCO2eq.an[1].

L’échelle quartier fournissant une partie importante de ces services, il est cohérent d’évaluer un quartier au regard de son influence effective sur l’empreinte carbone de ses usagers (et donc de la société) : permet-il de loger avec un impact environnemental inférieur à la moyenne nationale ou régionale ? Les usagers de ses commerces (qu’ils soient résidents ou non) ont-ils une empreinte carbone réduite du fait de la performance du bâtiment dans lesquels ils effectuent leur course ? Les usagers qui surfent en utilisant son datacenter ont-ils un impact environnemental plus faible pour un mégaoctet échangé ?

En synthèse, ces exemples nous amènent au constat suivant : un quartier environnementalement performant est un quartier proposant à des usagers un nombre plus ou moins conséquents de services avec des impacts environnementaux réduits. En termes d’indicateur de calcul, la performance carbone d’un quartier pourrait-être définie comme l’empreinte carbone moyenne de ses usagers et s’exprimer en tCO2e/usager.

 

Les avantages d’une expression à l’usager

Si l’expression de la performance d’un quartier à l’usager est une solution méthodologique permettant de résoudre de nombreux obstacles calculatoires (périmètre, unité commune), elle présente d’autres avantages loin d’être négligeables.

En termes de leviers, l’approche par usager permet de valoriser des leviers de mutualisation : densité d’occupation, partage d’un bâtiment (ex : école la semaine, activités associatives le week-end), ou d’un espace (parkings) ce qui n’est pas possible avec les métriques habituelles au m².

En termes de communication, l’usager est une unité qui parle à tous, de l’expert technique à… l’usager du quartier justement. Exprimer les impacts à l’usager (et au travers de son empreinte carbone) permet un passage de relais vers celui-ci et incitant dès lors le futur utilisateur du quartier à devenir acteur d’une utilisation bas carbone qui ne se repose plus uniquement sur les prouesses techniques de ses concepteurs.

Mais cette unité est aussi celle utilisée pour communiquer sur les grands objectifs nationaux et internationaux que nous devons chercher à atteindre pour limiter le réchauffement climatique sous les 2°C d’ici 2100 par exemple. Dans le cas de la France, notre responsabilité pour contribuer à cette limite mondiale des 2°C consisterait à réduire nos émissions à 2tCO2e/an d’ici 2050 et 0.5tCO2/personne.an en 2100[2] . Un quartier ayant une performance de 5tCO2e/usager pourrait dès lors, grâce à l’utilisation de cet indicateur de performance, se placer le long de cette trajectoire et communiquer comme étant, par exemple, un quartier au niveau « Performance 2035 ».

 

 

La responsabilité du quartier et le choix de l’usager

Mais au fait, qui est cet usager du quartier dont on parle depuis le début ? La réponse est simple : tout utilisateur d’un service produit par le quartier est un usager du quartier.

Le problème dans ce cas provient du fait qu’a priori un usager très occasionnel du quartier (ex : quelqu’un qui vient juste acheter sa baguette dans le quartier) est tout autant usager qu’un résident du quartier qui consomme beaucoup plus de services produit par le quartier (à commencer par le service logement).

Faire la moyenne des empreintes carbone de l’ensemble des usagers d’un quartier permet certes de valoriser tous les impacts positifs (ou négatifs) du quartier sur l’ensemble des personnes qu’il touche mais peut aussi noyer certaines performances sur une catégorie plus restreinte d’usager, typiquement celles utilisant plus fortement les services du quartiers (à supposer que ces services sont plus performant dans le quartier qu’à l’extérieur).

Dès lors, un aménageur peut vouloir évaluer sa performance sur une catégorie spécifique d’usagers qu’il juge plus pertinent comme par exemple les résidents du quartier, ou les travailleurs, ou les deux. Il peut aussi décider de travailler sur une partie seulement de l’empreinte carbone pour exclure dans un premier temps des contributeurs qu’il juge hors de sa capacité d’intervention et ainsi mettre en évidence les performances obtenus sur les sujets sur lesquels sa responsabilité est engagée.

Ainsi l’approche par usager permet d’élargir la vision du jeu en analysant l’impact et la responsabilité que peut avoir le projet d’aménagement et ses acteurs sur les émissions carbones totale rapportées à un usager du quartier : qu’il soit habitant, étudiant, travailleur, touriste... tout en permettant de restreindre l’évaluation au périmètre d’action de chaque acteur si nécessaire. 

 

L'usager, une clé méthodologique et de communication à l'échelle du quartier

 Article signé Emilien Paron, Ingénieur R&D Performance énergétique des bâtiments au CSTB



[1] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-01/document-travail-n%2038-empreinte%20carbone-avril-2018.pdf


[2]  Calcul d’après les projections de population publiées par l’ONU (https://esa.un.org/unpd/wpp/), les données d’émissions historiques du World Resource Institute (https://www.climatewatchdata.org/) et les budgets carbone publiés par le GIEC.

 

 Crédit photo :  © Altarea Cogedim

Consulter l'article précédent :  Saint-Julien-en-Genevois : premier quartier bas carbone de Haute-Savoie


           

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